Jean-Marie Quéméner, Chef du bureau des opérations d’aménagement, ministère de la transition écologique
Marie Courtet, Chargée de mission au bureau des opérations d’aménagement, DHUP/DGALN,
Trois collectivités : la Communauté de Communes de Coutances Mer et Bocage, la Communauté de Communes du Pays Basque et la Communauté de Communes du Médoc Atlantique, ont élaboré un Projet Partenarial d’Aménagement « trait de côte » (PPA Trait de Côte) visant à adapter leur territoire au recul du trait de Côte. Quels sont les objectifs de l’administration ministérielle poursuivis par cet outil ?
« L’expérimentation PPA « trait de côte » a permis à ces collectivités de réunir et coordonner tous les acteurs concernés autour de leur projet. »
Yann Gérard (YG) et Johan Vincent (JV): Pouvez-vous nous expliquer dans quel cadre s’inscrivent ces PPA « trait de côte » ?
Jean-Marie Quéméner (JMQ) et Marie Courtet (MC) :
Ces projets s’appuient sur un outil de droit commun : le Projet Partenarial d’Aménagement (art. L. 312-1 du Code de l’Urbanisme). Issu de la loi ELAN de 2018, il s’agit d’un contrat, conclu entre l’Etat et un Etablissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI).
Pour rappel, le postulat de départ du PPA est qu’il est de plus en plus difficile de mener à bien des opérations d’aménagement de grande ampleur en raison de leur complexité, du grand nombre d’acteurs à mobiliser et des coûts associés. Dans cette perspective, Le PPA est un contrat qui lie les parties prenantes de l’opération d’aménagement avec l’Etat. Dans ce cadre, le rôle de l’Etat est de faciliter la concrétisation du projet urbain, en participant à la gouvernance et donc au suivi du PPA. Il peut aussi faciliter le déroulement des procédures administratives, et dans certains cas apporter un concours financier (via une dotation nationale) pour aider les acteurs (collectivité, aménageur, promoteur, etc.) à équilibrer une opération déficitaire. A noter qu’un PPA peut permettre au président de l’EPCI d’activer la « Grande Opération d’Urbanisme » (GOU) prévue à l’article L312-3 du Code de l’Urbanisme, laquelle permet de faciliter la réalisation de l’opération en créant un cadre exorbitant de droit commun[1].
Pour en revenir aux PPA « trait de côte », on peut faire remonter la réflexion au Conseil de défense écologique du 12 février 2020, lors duquel la Ministre E. Borne remet sur la table le sujet de l’érosion (à travers notamment le cas du célèbre, et menacé de submersion, immeuble Signal à Soulac/Mer[2]). Au-delà de questions techniques : comment indemniser les propriétaires ? Comment l’Etat se saisit-il plus globalement du sujet de l’adaptation à l’érosion ? beaucoup de collectivités s’étaient déjà lancées dans des stratégies d’adaptation, mais aucune de ces stratégies n’avait réellement donné lieu à des opérations de recomposition des territoires, hormis des actions de confortement (de cordon dunaire ou de plage par exemple). C’est dans le cadre de ce Conseil de défense écologique qu’est lancée l’idée d’expérimenter la recomposition de territoires soumis au recul du trait de côte, dans le cadre de PPA.
A l’été 2020, un appel à manifestation d’intérêt national pour le lancement de PPA a été lancé, et 3 collectivités ont été sélectionnées pour expérimenter la mise en œuvre d’un PPA pour faire face au recul du trait de côte : Lacanau, Saint-Jean-de-Luz et Gouville-sur-Mer. Ensuite, en septembre 2020, le plan de relance a dédié une enveloppe de 10M€ destiné à soutenir les collectivités menant un projet de recomposition dans le cadre d’un PPA.
Dans le même mouvement lancé par le conseil de défense écologique de février 2020, la construction de la loi climat résilience a intégré des mesures sur le trait de côte (articles 237 à 248).
YG : Quelle est la genèse des trois PPA « trait de côte » cités précédemment ?
JMQ : Les trois territoires concernés avaient déjà conduit des études de stratégie locale de gestion de la bande côtière et s’étaient interrogés : Quels rôles des ouvrages de défense traditionnels ? Quelle adaptation du territoire ? Doit-on privilégier la recomposition à la défense ? La commune de Lacanau avait déjà esquissé et défini un projet urbain visant à transformer la station balnéaire en une ville océane à l’année. L’étude d’aménagement durable des stations menée avec l’appui du l’appui du GIP Littoral aquitain[3] avait permis de dégager des orientations précises visant à accompagner le développement de l’activité touristique, tout en reconquérant la qualité des paysages et de l’environnement, le tout en tenant compte de l’érosion du littoral. Parmi les actions identifiées : déplacement d’une station d’épuration, déplacement d’emplacements de campings, mise en place de mobilités douces…
Sur ces territoires, si le constat d’une action nécessaire n’est plus discuté, la définition concrète d’une stratégie opérationnelle fait encore débat, notamment pour articuler des mesures de confortement des ouvrages de protection dans une approche de court terme, avec des mesures de repli à plus long terme.
La seconde approche, que la dynamique du PPA permet d’expérimenter, est celle de la « recomposition du territoire » (comment je déplace mes campings, mon Pôle d’Echange Multimodal, etc. ?). Recomposer le territoire implique de s’interroger à la fois sur la programmation urbaine (on fait quoi ?) et sur une stratégie de maîtrise foncière : je me déplace où, dans des territoires particulièrement contraints où il s’agit de concilier le développement économique, l’habitat et la protection de l’environnement et des éléments qui font la qualité de ces lieux de vie, et à quel prix ?… ce qui positionne clairement les Etablissements Publics Fonciers (EPF) dans le débat.
L’expérimentation PPA « trait de côte » a permis à ces collectivités de réunir et coordonner tous les acteurs concernés autour de leur projet. Ce faisant, elles ont reçu le soutien financier du Plan de Relance. Ces collectivités seront des pionnières dans la mise en œuvre des mesures et des outils de la loi Climat et Résilience. Elle consacre en effet le PPA comme l’outil de la recomposition des territoires face à l’érosion, et prévoit de faciliter les opérations qui seront réalisées dans le cadre d’une GOU en facilitant l’intervention des EPF ou en permettant des dérogations, notamment à la loi Littoral.
A noter également que la loi Climat et Résilience crée un nouveau droit de préemption « trait de côte » (art. 244), et impose aux collectivités de cartographier et catégoriser leur bande côtière selon leur « espérance de vie » : de 0 à 30 ans, de 30 à 100 ans et à + de 100 ans, et d’intégrer ces cartographies aux documents d’urbanisme, incluant des contraintes allant de l’interdiction de nouvelles constructions à une servitude liée au permis de construire, imposant la déconstruction des bâtiments (avec gage à la Caisse des Dépôts et Consignations des montants nécessaires à la déconstruction).
« L’outil PPA « trait de côte » (…) permet à l’Etat d’apporter un soutien financier aux opérations d’aménagement qui visent la recomposition des territoires. »
JV : Les collectivités ne sont-elles pas inquiètes de leur capacité, notamment financière, à mener leurs projets de recomposition au bout ?
JMQ : Oui, bien sûr, les collectivités sont inquiètes, comme en témoigne le dernier congrès de l’ANEL (Association Nationale des Élus du Littoral). La question du financement et celle des moyens alloués sont centrales.
Un premier sujet que traite la loi Climat et Résilience dans le cadre d’une ordonnance, c’est l’estimation de la valeur des biens soumis au recul du trait de côte lorsqu’ils rentrent notamment dans un processus de préemption par les collectivités. La loi prévoit que la valeur des biens intègre leur espérance de vie compte tenu de l’érosion. Cette méthode servira de guide au juge de l’expropriation chargé notamment du contentieux en la matière. De fait, la valeur des biens sur les littoraux est un frein à l’intervention publique : j’ai en tête plusieurs exemples de maisons situées sur des zones à risque évaluées à plusieurs millions d’euros.
Un second sujet : les outils dont disposent les collectivités, pour les opérations de recomposition des territoires. L’outil PPA « trait de côte » dont nous avons parlé, je le rappelle, permet à l’Etat d’apporter un soutien financier aux opérations d’aménagement qui visent la recomposition des territoires. Dans le cadre de la loi de finance 2022, des crédits ont été fléchés pour de nouveaux PPA « trait de côte ». Cette enveloppe est déjà un bon début pour amorcer des projets et concrétiser des opérations. Un autre outil est en cours de création dans le cadre d’une ordonnance : le BRACC (Bail Réel d’Adaptation au Changement Climatique), qui ouvre des perspectives en termes de montage économique des opérations de recomposition. Le principe général du dispositif est qu’une structure publique ou parapublique acquiert des biens immobiliers dans une zones à relocaliser à moyen terme. Dans l’attente et pour valoriser le potentiel de ces biens, la structure pourra mettre à disposition ce bien dans le cadre de ce nouveau bail de longue durée dont l’échéance est calée sur le rythme de l’érosion du trait de côte. Le preneur à bail pourra céder son bail à d’autres preneurs successifs. Tout au long de la durée du bail, le bailleur percevra une redevance foncière qui lui permettra de couvrir les frais d’acquisition initiaux du bien et les frais de déconstruction et de renaturation à l’échéance du bail. Le BRACC devrait voir le jour à la mi-2022, conformément aux échéances fixées à l’article 258 de la loi Climat et Résilience.
Enfin, le 3e sujet c’est la mise en place d’opérateurs en capacité d’assumer l’ingénierie technique et financière d’opérations de recomposition des territoires. Si les établissements publics fonciers de l’Etat et les établissements publics fonciers locaux sont d’ores et déjà des acteurs majeurs de ce type d’opération, la loi Climat et Résilience renforce leur capacité d’action en la matière. Cependant, ils sont spécialisés dans le portage foncier. En complément, je pense que dans certains secteurs il pourrait être opportun d’étudier la création de structures telles des sociétés publiques locales d’aménagement. Sur ces sujets, de nombreuses questions sont encore ouvertes, et j’espère que l’expérience tirée des PPA d’ores et déjà en place nous permettra d’aller encore plus loin dans la mise en place d’une ingénierie de projet adéquate. S’agissant de l’économie des projets, je pense que des outils sont encore à inventer.
YG : En attendant les avancées sur ces outils opérationnels, les PPA « trait de côte » ont-ils vocation à s’étendre ?
JPQ et MC : Les PPA ont à accompagner des projets définis et de grande ampleur qui s’inscrivent dans une démarche de recomposition du territoire. Ils impliquent fortement les élus et l’Etat. Les 3 PPA trait de côte approuvés sont des pionniers et présentent un fort caractère expérimental : on apprend en marchant. Nous envisageons de mettre en place de nouveaux PPA sur d’autres territoires qui se lanceraient dans une démarche de recomposition. Par ailleurs, nous n’excluons pas que le périmètre des PPA approuvés soit étendu si le contexte local le nécessite
Si le PPA est fléché comme un outil important pour l’adaptation des territoires à l’érosion, il ne faut pas oublier que de nombreuses actions peuvent être réalisées avec les outils classiques de l’aménagement opérationnel, sans recourir à un PPA.
[1] http://outil2amenagement.cerema.fr/IMG/pdf/fiche_gou_ppa_v2_cle1ab533.pdf
[2] https://www.francebleu.fr/infos/environnement/soulac-sur-mer-et-maintenant-que-va-devenir-le-signal-1620816729
[3] Le GIP littoral est une structure pilotée par l’Etat et les collectivités territoriales pour renforcer l’expertise et la cohérence des programmes d’actions locales à engager dans le cadre d’une stratégie partagée. https://www.giplittoral.fr/