Interview de Romain Buisine : Quel foncier pour les centrales photovoltaïques ?

par | 27 Mar 2023 | Entretiens

Romain  Buisine est responsable régional Développement de la société CS Solaire, producteur français d’énergie photovoltaïque. Il a intégré la société en 2019 pour ouvrir le bureau de Bordeaux et développer des projets photovoltaïques dans le tiers sud-ouest de la France.

 

Sonia Guelton (SG) : Pouvez-vous présenter votre activité ?

Romain Buisine (RB) : La société CS Solaire appartient au groupe CORSICA SOLE fondé en 2009 sur l’activité de mise en place de panneaux photovoltaïques pour la production d’Energie sur des hangars agricoles en Corse. Depuis, le groupe a développé des centrales solaires en toiture ou au sol, des lieux de stockage d’énergie, et d’autres solutions pour l’autoconsommation.  Il a développé ses activités dans les DOM : Guadeloupe, Guyane Martinique, Réunion, et en France continentale. Aujourd’hui il exploite 100 MWc (puissance maximale) d’énergie solaire et développe une capacité de stockage de 152 MWh. En 2022 la production photovoltaïque française est évaluée à 18,6 TWh (source:RTE). CS Solaire sur Bordeaux est une équipe de 7 personnes (début 2023) qui opère essentiellement en France métropolitaine pour la production et la gestion de grandes centrales photovoltaïques, sur des projets de stockage et plus récemment pour la réalisation d’ombrières de parking.

Moi-même Romain Buisine, j’ai la charge de la prospection et du développement : C’est-à-dire que je couvre le processus depuis la recherche des terrains d’implantation jusqu’à la fin du développement de la centrale. Cela inclus l’obtention du permis de construire et de la convention de raccordement au réseau national (auprès d’Enedis -pour la basse et moyenne tension- ou de RTE – pour la haute tension). Ce processus dure 3 ans. Ensuite l’équipe des ingénieurs prennent le relais.

« Pour les centrales au sol, le modèle d’accès au foncier est la location sous bail emphytéotique, qui permet d’avoir un droit réel sur les équipements sur une durée de 30 ans minimum, correspondant à la durée de vie estimée d’une centrale. »

SG : Quelles sont vos modalités d’accès au foncier ? Sous quel régime juridique ?

RB : La société mène une prospection foncière en parallèle des propositions qui sont faites spontanément par les propriétaires fonciers à la recherche d’une valorisation de leurs biens. L’accès au foncier se fait donc de gré à gré. A ce stade, il peut y avoir une concurrence avec d’autres usages du sol, souvent pour l’implantation d’une activité industrielle. Avec l’activité agricole, l’objectif est de chercher à organiser des complémentarités, des co-activités. L’accès au foncier peut aussi résulter d’un appel d’offre initié par une collectivité locale. C’est ainsi qu’on a pu développer la centrale de Picarreau (Jura) sur un terrain de 27 ha propriété de la commune.

La Ferme Solaire de Picarreau a été inaugurée en été 2022, c’est la plus grande en France : 27 MWc. Elle se situe sur un terrain communal, rendu constructible. La zone avait été initialement pensée pour l’agrandissement des activités mais ça n’a pas pu se faire. La commune a lancé un appel d’offre, que CS Solaire a remporté. CS Solaire loue le terrain, sur une durée longue. La commune a acheté des parts dans la société créée pour chaque projet : elle est actionnaire minoritaire de la centrale. Cela lui a permis d’obtenir un emprunt, adossé à la location. Les panneaux ne couvrent pas l’ensemble du site car il y a des enjeux environnementaux à protéger (faune ou flore). ©Corsica Sole

 

Pour les centrales au sol, le modèle d’accès au foncier est la location sous bail emphytéotique, qui permet d’avoir un droit réel sur les équipements sur une durée de 30 ans minimum, correspondant à la durée de vie estimée d’une centrale. Cela correspond aussi à la durée du contrat de revente de l’énergie à Enedis qui est d’une durée de 20 ans. La société peut ainsi garantir son prêt auprès des banques. Certains baux emphytéotiques sont conclus sur une durée plus longue. Pendant ce temps le propriétaire du terrain perçoit un loyer.

Il peut y avoir d’autres solutions. Les agriculteurs peuvent obtenir la construction gratuite d’un hangar moyennant la mise à disposition de la toiture pour supporter des panneaux photovoltaïques. La construction est totalement prise en charge par la société qui exploite les panneaux solaires sans demander de contrepartie à l’agriculteur. Ce modèle est très développé dans les DOM.

Panneaux sur hangar en Haute Corse

Hangar photovoltaïque en Haute Corse ©Corsica Sole

« Les revenus dépendent du prix de revente de l’électricité à l’Etat, qui est encadré par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). (…) De façon à assurer l’équilibre financier, il faut chercher du foncier à prix compétitif. »

SG : Comment se fixe le montant du loyer versé au propriétaire ?

RB : Le loyer est négocié, à partir d’un loyer-type construit en fonction du bilan financier : revenus du projet d’un côté et coûts de l’autre. Les revenus dépendent du prix de revente de l’électricité à l’Etat, qui est encadré par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Pour pouvoir faire un projet, il faut d’abord obtenir un permis de construire puis être lauréat d’un appel d’offre lancé régulièrement par la CRE. Les capacités de production totale sont limitées pour chaque appel d’offre. Par exemple en ce qui concerne les centrales au sol sur la période 2021-2026, la CRE lance 10 périodes de candidature entre décembre 2021 et début 2026, avec une fréquence de 2 périodes par an pour un volume total de 925 MWc par période. Les producteurs vont donc concourir pour tout ou partie du marché ouvert, être mis en concurrence, et la sélection se fait notamment par les prix de revente proposés. Le prix est actuellement autour de 60€/MWh. Mais l’appel d’offre précise « Dans le cadre des appels d’offres, ce sont les candidats qui proposent un tarif de référence en €/MWh afin de bénéficier d’un complément de rémunération ». Donc pour gagner l’appel d’offre, les producteurs vont tenter de proposer la valeur la plus basse possible. De façon à assurer l’équilibre financier, il faut chercher du foncier à prix compétitif. Car le bilan financier doit être « bancable », c’est-à-dire donner suffisamment de garantie pour le prêt bancaire. On estime qu’en moyenne le foncier représente 5% des recettes du bilan.

« La réglementation d’urbanisme laisse pas mal de possibilité de zones d’implantation. (…) nous pouvons nous installer sur les « terrains dégradés » :  les friches industrielles, les carrières ou les sites SEVESO »

SG : Alors comment choisissez-vous vos terrains ? Selon quels critères ?

RB : Il y a beaucoup de choses à prendre en compte. On cherche des terrains proches d’un raccordement au réseau électrique, à un poste-source de transformation électrique. C’est une condition technique, souvent ignorée, mais la faisabilité et le coût du raccordement sont à notre charge ! Il faut aussi s’assurer que le prix du terrain rentre dans nos équilibres économiques, avec la contrainte de prix de revente de l’énergie mentionnée plus haut. On cherche des terrains assez grands, supérieurs à 5 ha. Sachant qu’on peut développer une centrale d’une puissance de 1 mégawatt sur 1 ha en moyenne, les objectifs de rentabilité privilégient jusqu’à présent les terrains supérieurs à 5 ha. Depuis 6 mois, on regarde comment développer des centrales rentables économiquement sur des terrains plus petits, de 1 à 2ha. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) plafonne la taille des centrales à 30 MWc.

Ensuite je mettrai en avant la réglementation d’urbanisme. Dans la réglementation, dans les plans locaux d’urbanisme, les centrales photovoltaïques rentrent dans la catégorie des activités industrielles, des énergies renouvelables et des ouvrages d’intérêt collectif. Ce qui laisse pas mal de possibilité de zones d’implantation.

Mais pour candidater aux appels d’offre, et depuis 2011, la CRE ne permet les installations que sur 3 types de zonage au PLU :

– D’abord les terrains constructibles en zone U ou AU. Le site peut être occupé ou pas. A Saint Quentin du Dropt dans le Lot-et Garonne, on a pu s’installer sur une zone d’activité où il restait des espaces vacants.

La centrale de Saint Quentin du Dropt couvre 6.5ha sur une zone constructible en carte communale, la zone d’activité est maintenant dédiée aux énergies renouvelables ©Corsica Sole

– Ensuite nous pouvons installer les centrales en zone non constructible (N au PLU). Mais il faut exclure les zones soumises au défrichement, c’est–à–dire les forêts et les espaces plantés, ainsi que les zones humides.

– Enfin nous pouvons nous installer sur les « terrains dégradés » :  les friches industrielles, les carrières ou les sites SEVESO. Sur ces terrains, on bénéfice d’un bonus dans l’appel d’offre. Le site de Saint Auban dans les Alpes de haute Provence est un site SEVESO exploité par ARKEMA pour la production de solvant chloré trichloroéthane. La centrale est construite à l’intérieur du site industriel sur un vaste terrain vacant et extrêmement pollué pour lequel Arkema n’avait pas de projet de redéveloppement à l’étude. CS Solaire a construit une centrale solaire qui revalorise le sol, et apporte une meilleure image environnementale au territoire et à la société Arkema.

Il y a aussi beaucoup d’autres contraintes qu’on ne peut pas lister ici : on évite les pentes pour des raisons paysagères, la proximité des monuments historiques, les risques, on ne s’installe pas dans les zones inondables…

La centrale de Chateau-Arnaux/ Saint Auban (05) couvre 10ha au sein d’un site industriel qui existe depuis 1914 pour répondre aux besoins en chlore de la défense nationale. Il est exploité par Arkema depuis 2004. La centrale est construite à l’intérieur du site industriel Le site est classé Seveso, certains sols sont extrêmement pollués et sans aucune valeur pour Arkema. CS Solaire revalorise le sol, et permet une meilleure image environnementale du site et de la Responsabilité Sociale et Environnementale de la société Arkema. ©Corsica Sole

« Deux conditions pour ne pas être considéré comme surfaces artificialisées : il faut démontrer la réversibilité de la centrale et prouver qu’on ne change pas la nature du sol. »

SG : L’objectif ZAN a-t-il changé des choses pour vous ?

RB : C’est une réglementation relativement nouvelle et, sauf si je me trompe, pas encore effective dans les textes, le décret n’a pas encore été publié. C’est une réglementation qui ne nous concerne pas vraiment dans la mesure où les centrales photovoltaïques ne seraient pas considérées comme des surfaces artificialisées. Mais il y a bien deux conditions pour ne pas être considéré comme surfaces artificialisées : il faut démontrer la réversibilité de la centrale et prouver qu’on ne change pas la nature du sol. Ces conditions ne posent pas de problème : une centrale est facile à démonter et on ne touche pas au sol car les panneaux solaires sont fixés en hauteur sur des pieux.

Pour l’instant nous n’avons pas observé de changement d’attitude pour l’obtention des permis de construire. Nous n’avons pas rencontré de renforcement des conditions. Au contraire, sur une commune, nous avons un projet en cours de développement situé en zone AU. La commune n’a pas pu y développer de l’habitat et nous faisons une proposition de projet de centrale solaire. Nous réfléchissons ensemble à la possibilité de changer le zonage de AU en N, ce qui n’empêche pas l’implantation de la centrale. La commune gagnerait ainsi 5 ha de potentiel d’’artificialisation au profit d’un emplacement plus pertinent. Il nous semblerait qu’aujourd’hui le Zan joue plutôt à l’avantage des centrales solaires.

« Sur la question de la concurrence sur l’usage des sols, (…) il y a un besoin d’emprise au sol significatif pour cette forme de production énergétique. Le sujet est plus sensible avec les activités agricoles. On développe des complémentarités, des co-activités . »

SG : Quels problèmes rencontrez-vous aujourd’hui ?

RB : On a une question environnementale. Pour chaque projet il faut faire une étude d’impact avec un état environnemental du site. Cela prend un an et demi car l’inventaire de la faune et flore doit se faire sur les 4 saisons, et il y a une enquête publique pour les projets au-delà de 1 MW. Malgré les inventaires Natura 2000, ou autre état des lieux, on peut trouver des enjeux environnementaux non identifiés, une faune protégée, ce qui oblige à repenser la centrale. Et puis nous sommes soumis à la séquence « Eviter-Réduire-Compenser », qui compte surtout pour les travaux de construction de la centrale. Les services instructeurs peuvent penser que les travaux font des dégâts environnementaux et demandent une compensation. En revanche, il n’est pas tenu compte d’un retour à la nature sur nos sites, du fait de l’inoccupation, de la sanctuarisation de la nature sur la durée. Nous faisons un suivi de la nature, un suivi écologique et agronomique sur les centrales. On ne peut pas parler de dégradation environnementale.

Sur la question de la concurrence sur l’usage des sols, il faut relativiser l’importance des emprises foncières concernées : aujourd’hui, il y a à peu près 13 gigawatts installés en France, qui correspondent à environ 13 000 ha de surface. L’ADEME estime la consommation d’espace par les parcs au sol de l’ordre de 40 000 hectares d’ici à 2030. Mais cela reste important, avec un besoin d’emprise au sol significatif pour cette forme de production énergétique. C’est surtout avec l’agriculture que la question se pose. Pour les autres usages du foncier, on est plutôt en complémentarité. On installe les centrales sur les lieux où l’activité ne va pas, et aussi on peut mettre des panneaux solaires sur le bâti. Le sujet est plus sensible avec les activités agricoles. Pourtant on développe des complémentarités, des co-activités par exemple avec l’élevage sous les panneaux photovoltaïques. Une loi est en discussion sur l’agri voltaïsme. Elle pourrait poser une définition, et donner un cadre pour des projets qui combinent les deux activités, agricoles et production d’énergie solaire. Cela libérerait du foncier et permettrait aux agriculteurs de maintenir leur exploitation pendant la durée de la centrale, de garder leur revenu. Les discussions sont engagées.

On s’aperçoit qu’il y a une méconnaissance du sujet photovoltaïque. Nous allons à la rencontre des collectivités locales, et des acteurs publics pour expliquer comment fonctionnent les panneaux solaires et pour trouver des solutions. Il faut veiller à certains aspects comme l’insertion paysagère et réfléchir la conception des centrales.

Finalement il y a beaucoup de sujets auxquels on peut apporter des réponses.

 


(1) Discours d’E. Macron à Belfort en février 2022. 

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