Interview de Sébatien Miossec : Le littoral, un espace comme les autres au sein d’une intercommunalité ?

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« Il faut pouvoir mieux adapter l’urbanisme aux territoires, en particulier en secteur littoral où l’Etat reste omniprésent »

Entretien avec Sébastien MIOSSEC, maire de Riec-sur-Bélon (29) et Président de Quimperlé Communauté (communauté d’agglomérations de 16 communes), par Yann Gérard.

Diplômé de Sciences Po Rennes, Sébastien Miossec est maire de Riec-sur-Bélon (29) et Président de Quimperlé Communauté (communauté d’agglomérations de 16 communes). Il est administrateur de l’AdCF (Assemblée des communautés de France).

La loi Littoral aura bientôt 40 ans. Elle symbolise une forme de centralisation de la politique d’aménagement sur le littoral… régulièrement remise en cause. Dernier exemple en date : la loi portant Evolution de l’Aménagement et du Numérique (ELAN), donne aux Schémas de cohérence teritoriaux (SCoT) le rôle de délimiter des hameaux densifiables (« secteurs déjà urbanisés » -SDU)[1]. Au-delà de cette mesure, estimez-vous que le pouvoir d’urbanisme, dans les communes littorales, est décentralisé ?

La commune dont je suis Maire a adopté son premier Plan Local d’Urbanisme (PLU) en 2013 (il avait été prescrit en 2008). Et je peux vous dire que tout au long de la procédure, les services de l’Etat ont été très présents. C’est une période durant laquelle ces derniers avaient décidé de reprendre en main la mise en application de la loi Littoral[2]. Ils produisaient des cartes définissant, de manière unilatérale, les zones où ils estimaient la constructibilité impossible, sans prise en compte des documents existants (du moins à Riec-sur-Bélon). Ces cartes pouvaient notamment inspirer l’avis donné au titre du contrôle de légalité. C’est dans ce cadre très contraint que nous avons élaboré le PLU. Les marges de manœuvre étaient extrêmement réduites et c’est bien l’Etat qui tenait, pour l’essentiel et que nous soyons d’accord ou non, le crayon délimitant les zones constructibles.

L’Etat est donc trop présent en matière de politique du littoral ?

Oui. Mais cela n’est pas spécifique au littoral. Notre pays souffre, je crois et d’une manière générale, d’hypercentralisation. Il faut pouvoir mieux adapter l’urbanisme aux territoires, en particulier en secteur littoral où l’Etat reste omniprésent. Mais attention, si les élus locaux doivent décider, ils doivent aussi assumer. L’un ne va pas sans l’autre… C’est parfois le problème avec certains d’entre nous : vouloir décider, mais ne pas accepter la responsabilité qui va avec. Et même avec les contraintes que nous connaissons actuellement, certaines communes ont pu produire des politiques d’aménagement qui interpellent.

Dans ce cas, comment faire ?

La première des responsabilités, c’est d’accepter que nous n’avons pas les moyens – ou rarement – à l’échelle communale, pour prendre des décisions éclairées. En 2018, alors que nous étions plusieurs communes de Quimperlé Communauté à disposer de PLU récents, et que notre intercommunalité était couverte par un Schéma de Cohérence Territoriale « grenellisé »[3], nous avons décidé de passer au PLU intercommunal (PLUi). Cela nous a permis de disposer d’une ingénierie plus puissante (puisque c’est la communauté d’agglomération qui élabore le PLUi) et, notamment, de rééquilibrer le rapport de force avec les services de l’Etat, du point de vue tant technique que politique.

Cela nous permet également de mieux faire face aux risques de contentieux par exemple.

Vous avez donc un SCoT et un PLUi…Comment, dans ce cadre, percevez-vous la plus-value du SCoT, à qui la loi ELAN attribue le rôle de définir les « secteurs déjà urbanisés » susceptibles d’être densifiés ?

Oui, et les deux sont à l’échelle de notre établissement public intercommunal. Mais si prochain SCoT il y a, il sera forcément à une autre échelle.

Je suis interrogatif. Soit le SCoT est à l’échelle d’un seul EPCI, et alors, le PLUi est selon moi le meilleur outil pour travailler sur les secteurs de densification. Donc le SCoT ne sert pas à grand-chose. Soit le SCoT couvre plusieurs EPCI, et alors il devient difficile, sur de vastes territoires, d’effectuer le travail de précision que demande la définition des « secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages » (SDU).

Actuellement, les SCoT ont selon moi un rôle de mise en cohérence des politiques d’urbanisme à l’échelle de bassins de vie fragmentés en plusieurs EPCI… mais se pose la question de la légitimité des instances qui le portent (principalement des syndicats mixtes dédiés ou portant un Pôle d’Equilibre Territorial et Rural) qui sont mal identifiés par les citoyens.

« (…) il faut renforcer la territorialisation des politiques d’urbanisme. »

Même avec cet assouplissement de la loi Littoral, les documents-cadre (PLUi, SCoT), portent tous l’objectif de lutte contre l’étalement urbain[4]. Comment gérez-vous cette orientation ?

Dans une intercommunalité comme la nôtre, la partie littorale est minoritaire[5]. Cela permet peut-être de mieux réguler les tensions fortes de certaines communes littorales en jouant sur les complémentarités entre communes. Les gens ne sont pas immobiles, ils circulent entre communes pour travailler, consommer, pratiquer leurs loisirs, etc. Les terrains se vendent autour de 30 à 50 €/m² à Bannalec (commune non littorale), 80 à 90 €/m² à Riec et souvent plus de 150 €/m² à Clohars-Carnoët, surtout en dehors des opérations publiques d’aménagement[6]. Ces communes ne sont séparées que de quelques kilomètres. Les ménages n’ayant pas les moyens de résider dans les communes les plus chers peuvent donc aisément se reporter dans les autres, même si les communes littorales doivent pouvoir accueillir également des habitants. C’est aussi un avantage de penser les politiques foncières à l’échelle des intercommunalités : on peut penser l’organisation et les trajectoires résidentielles au-delà des communes littorales, qui sont soumises à pression. Quand nous avons élaboré notre premier PLU (cf supra), nous avons divisé par 10 les surfaces urbanisables. A l’époque, nous avons vu pas mal de ménages s’installer… dans la commune d’à côté, où les terrains étaient disponibles et le foncier moins cher. Le PLUi permet travailler sur ce phénomène.

Finalement, la question littorale paraît presque secondaire dans vos politiques foncières …

Du PLUi au Programme Local de l’Habitat, nous portons d’abord une politique de développement axée sur la centralité, donc sur les zones déjà bâties et le renouvellement urbain. Bien sûr, la loi Littoral renforce cette injonction, mais cet axe est valable partout.

Ensuite, pour mettre en œuvre cette politique tout en assurant la mixité sociale, nous accordons des subventions à la production de logement locatifs sociaux. Nous sommes en effet conscients que les opérations en renouvellement urbain coûtent cher, et le but est que l’argument économique ne puisse plus nous être opposé par les opérateurs pour ne pas produire les logements dont nous avons besoin. Dans le cadre du PLH, nous avons prévu de subventionner les opérations en « prêt locatif aidé d’intégration » (PLAI) / « prêt locatif à usage social » (PLUS) jusqu’à 12 500 € / logement en centre-bourg. Dans le PLH qui va entrer en vigueur à partir des prochains mois, nous avons volontairement décidé de gommer les différences initialement prévues entre des communes littorales qui disposaient de subventions plus élevées que les autres.

Cela est valable, encore une fois, chez nous, peut-être que ça l’est moins dans d’autres territoires davantage marqués par une dynamique littoral : et c’est bien pour cela qu’il faut renforcer la territorialisation des politiques d’urbanisme.

En matière d’urbanisme comme sur de multiples sujets de politiques publiques, la différenciation a du bon !


[1] Voir le texte de Laurent Bordereaux dans ce dossier.

[2] Ce phénomène a conduit à la création d’associations et à des mouvements de protestation regroupés sous le terme de « PLUmés » (ceux qui voyaient leurs droits à construire disparaître sous l’effet de cette action de l’Etat).

[3] L’expression renvoie à la mise en conformité du document d’urbanisme avec les deux lois issue du Grenelle de l’environnement du début des années 2010.

[4] Même si la doctrine du « zéro artificialisation nette », portée par le gouvernement Phillipe, a été légèrement allégée récemment.

[5] La communauté d’agglomération de Quimperlé comporte 3 communes littorales sur 16 communes. Le chef-lieu, Quimperlé.

[6] Ndlr : commune disposant d’un large front de mer déjà urbanisé.

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