Interview de Simon Goudiard : « BRS : Affiner le dispositif avant de chercher à le « massifier » (ou pas) »

par | 24 Juil 2023 | Entretiens, Foncier et modèle d'accession à la propriété

Un interview de Simon Goudiard, directeur de l’Office Foncier Solidaire (OFS) des Yvelines, par Jeanne Bazard le 26 juin 2023 et Publié le 5 juillet 2023 par Adéquation, membre de Fonciers-en-débat.

Rediffusé avec l’accord d’Adéquation

Comment se passe la production de BRS (bail réel solidaire) par l’OFS des Yvelines ?
SG : Nos premiers engagements ont eu lieu dès le printemps 2021, trois mois après la création de l’OFS. À ce jour nous avons engagé 26 opérations soit 481 logements, et 195 de ces logements sont en cours de commercialisation. Si l’on regarde les mises ventes au détail de la promotion immobilière dans les Yvelines, en moyenne sur les trois années écoulées, cela représente 7 % à 10 % du marché.

À quoi attribuez-vous ces résultats ?
SG : D’abord au fait que les élus locaux ont bien saisi les avantages du BRS : les maires sont nos premiers apporteurs d’affaires. Les promoteurs ont également bien compris l’intérêt qu’ils avaient à travailler avec nous pour toucher une clientèle à laquelle ils n’auraient pas accès sans le BRS. Il faut préciser que l’OFS des Yvelines acquiert ses logements auprès d’opérateurs immobiliers, dans des opérations souvent mixtes qui offrent de nombreuses d’opportunités.

De manière plus générale, le produit BRS a démontré son attractivité. Au rythme actuel, les BRS proposés dans les Yvelines par l’ensemble des OFS agréés devraient atteindre 15 % du marché des ventes au détail en logement collectif dans ce département à court terme. Je ne serais pas surpris que ce taux s’élève rapidement à 20 % ou 25 %.

La commercialisation se passe donc bien ?
SG : La commercialisation de nos programmes a connu une accélération depuis la signature de conventions entre l’OFS et plusieurs réseaux bancaires, sept aujourd’hui, presque tous issus du mouvement mutualiste. Les acquéreurs ont dorénavant plus de choix pour négocier et obtenir un prêt alors que, avant ces conventions, les banques ne voulaient même pas regarder les dossiers de BRS. Nous sommes allés voir ces banques pour leur expliquer ce qu’est le BRS et les rassurer. Le fait que le Crédit Logement accepte maintenant de cautionner les prêts des banques aux acquéreurs de BRS (annonce faite lors des dernières journées nationales de Foncier Solidaire France) nous y a beaucoup aidés.

Malheureusement, nous n’avons pas encore retiré de ces conventions tout l’élan qu’elles devaient nous apporter, car l’augmentation des taux de crédit est venue jouer en sens inverse. Au moment où nous avons lancé nos premières commercialisations, nous avions une banque partenaire et les taux étaient proches de 1,5 %. Aujourd’hui nous avons sept banques partenaires, mais ils sont remontés au-delà de 4,5 %. En un an, nous avons perdu près de 20 % de solvabilité. Autrement dit, pour un appartement en BRS au prix moyen de 250 000 € dans les Yvelines, il faut aujourd’hui disposer de revenus équivalents à 3 SMIC contre 2,5 un an auparavant.

Certains des premiers réservataires, qui n’avaient pas trouvé de banque pour financer leur BRS, auraient peut-être pu acheter un logement ancien il y a un an. Aujourd’hui, ils ne sont plus finançables tout court. Cela fait une très mauvaise publicité pour le BRS en général, pas seulement dans les Yvelines.

Cela s’est donc ressenti sur les ventes ?
SG : Sans doute mais c’est difficile à dire car dans le même temps l’accès au financement a été facilité par les conventions que j’évoquais. Le BRS tire quand même son épingle du jeu tandis qu’on voit les promoteurs immobiliers consentir des aides à la vente colossales pour écouler leur stock (5 % du chiffres d’affaires dans certaines opérations, soit à peine moins que le niveau attendu de marge).

Les prévisions de ventes de la promotion immobilière en Île-de-France sont extrêmement préoccupantes : là où il se vendait presque 38 000 logements il y a quatre ans, le volume atteint à peine 21 000 logements en 2022 et les prévisions pour 2023 misent sur 12 000 à 15 000 ventes. Nous ne sommes donc pas face à un problème d’offre, le stock s’étant évidemment reconstitué, mais face à un problème de financement, dont les institutions financières sont en partie responsables. Les taux directeurs proches des taux d’usure ne permettent pas aux banques de faire mieux qu’une marge très faible et elles ont logiquement « fermé le robinet » des prêts.

Mais le coût du crédit n’est pas le seul en cause, la crise est bien plus profonde que cela. On assiste manifestement aussi à une crise de la demande, qui résulte de la perte de confiance des ménages dans l’avenir. Ils se demandent jusqu’où ira l’inflation, s’ils vont conserver leur emploi et s’il est bien raisonnable dans ces conditions d’investir dans l’immobilier. Nous devons probablement nous attendre à une crise profonde et durable, avec une dizaine d’années difficiles. Dans ce contexte et d’une manière générale, le BRS ne saurait être l’alpha et l’oméga de la politique du logement. Il faut mobiliser une somme de solutions différentes.

Le conseil national de la refondation a pourtant émis plusieurs propositions visant à « massifier la mise à disposition de logements en BRS en convertissant 100 000 logements en deux ans » : quelle est votre position sur le sujet ?
SG : Pour commencer, cela paraît tout à fait irréaliste dans la mesure où la production de BRS doit aujourd’hui avoisiner les 10 000 engagements par an à l’échelle nationale. Imaginer multiplier ces volumes par dix en deux ans, c’est ignorer complètement la réalité opérationnelle du fonctionnement des OFS, leur nombre et leurs moyens.

En outre, parmi ces 100 000 logements, 20 000 seraient des invendus de la promotion immobilière, dont forcément pas mal d’opérations mal conçues qui ne trouvent pas preneur. Je ne vois pas pourquoi les OFS devraient se satisfaire de ces produits. Nous nous efforçons au contraire de travailler main dans la main avec les promoteurs immobiliers pour concevoir des logements adaptés à notre clientèle, nous n’achetons pas de produits clé en main. Je suis tout à fait contre l’idée que les OFS soient mis à contribution pour venir en aide aux promoteurs immobiliers en rachetant des opérations privées en difficulté, objectif auquel le groupe Action Logement et la Caisse des dépôts ont déjà largement contribué, et qui consiste à mettre une rustine sur une filière malade.

Le CNR propose aussi « un plan d’acquisition de 50 000 logements à rénover avant de les proposer en BRS ». Il s’agit de logements présentant des DPE de catégorie F et G.
SG : L’idée va dans le sens de l’histoire dans la mesure où les OFS vont en effet devoir travailler de plus en plus sur du foncier existant, et où il est judicieux de coupler cela avec des rénovations énergétiques.

Mais, là encore, l’objectif quantitatif est irréaliste et je vois mal comment les OFS qui existent aujourd’hui pourraient produire de la sorte plus de 500 logements. Cette idée reste très théorique et soulève énormément de questions de mise en œuvre, qui n’ont pas été suffisamment abordées.

Se pose déjà celle de la rentabilité : le BRS n’est pas un outil magique permettant de produire des logements abordables indépendamment du prix du foncier (en l’occurrence, celui des logements à acquérir). L’OFS des Yvelines veille justement à maîtriser ses prix d’acquisition et a développé pour cela des outils efficaces. À supposer que la rentabilité existe, et ce sera à vérifier au cas par cas, nous ne sommes pas structurés pour aller chercher ces logements un par un sur le marché. À supposer que ce soit le cas – avec des si… ! –, l’OFS se retrouverait partie prenante dans d’innombrables copropriétés avec la complexité de gestion que l’on imagine, et les coûts afférents.

Cela n’empêche pas l’OFS des Yvelines de s’intéresser au sujet. Mais à ce stade, nos réflexions vont plutôt soit vers l’acquisition de copropriétés de qualité dans des marchés valorisés, dans une logique patrimoniale, soit vers le sauvetage de copropriétés dégradées dans lesquelles l’OFS pourrait en effet avoir une utilité.

Une troisième proposition du CNR porte sur la suppression du PSLA…
SG : J’ y vois encore cette croyance, à laquelle je ne souscris absolument pas, selon laquelle le BRS devrait devenir l’alpha et l’oméga de la politique du logement. Les détracteurs du PSLA lui reprochent notamment de permettre aux acquéreurs de réaliser une plus-value sur le dos du contribuable. Ce n’est pas entièrement faux, mais ce dysfonctionnement se produit uniquement dans les zones les plus tendues. Dans les zones de marchés secondaires ou détendus, les plus-values n’existent pas ou sont très faibles, et il n’y a donc pas de crainte à avoir de ce côté-là. Inversement, le BRS est beaucoup moins attractif pour les ménages quand ils peuvent acheter un logement en pleine propriété en PSLA.

À votre avis jusqu’à quel point peut-on « massifier » le BRS et quels seraient les principaux freins à lever ?
SG : D’abord, faut-il le massifier ? Cet objectif résonne un peu comme un aveu d’impuissance quant à la possibilité de réguler le marché du foncier. Sans tomber dans une économie administrée, il est clair que des mesures d’encadrement des prix devraient être prises car ils sont aujourd’hui complètement déconnectés de la valeur réelle du foncier. Ensuite, le BRS n’est pas une solution miracle universelle. Je suis plutôt pour la mise en œuvre d’une multiplicité de solutions, dont beaucoup existent déjà et d’autres mériteraient d’être développées.

Il reste que la production de BRS peut encore accélérer : un levier essentiel est son appropriation par les élus locaux. Ils doivent être sensibilisés à l’intérêt du BRS de manière à pouvoir lui donner sa place dans les opérations immobilières, et en premier lieu dans les PLH. Le BRS doit devenir un produit comme les autres. Il devrait être présent dans toutes les opérations d’aménagement quelle que soit la part qu’on lui attribue. Un autre levier, déjà évoqué, est l’implication des banques, dont le rôle est majeur.

Mais il faut aussi laisser du temps au temps pour permettre un retour d’expérience, tenir compte du comportement des acquéreurs dans la durée et procéder aux réglages qui doivent être faits. Encore une fois nous ne sommes pas dans une crise de l’offre appelant une production massive, contrairement à ce que l’idée de massification du BRS suggère.

Ces mesures n’ont d’ailleurs pas été retenues par le Gouvernement, qui a néanmoins déclaré vouloir rendre le BRS accessible à davantage de Français : qu’en pensez-vous ?
SG : Cette annonce est pour le moins floue, mais on peut y voir une bonne intention mal formulée. Elle serait de mettre en cohérence les plafonds de ressources et les plafonds de prix de vente qui pour le moment sont décorrélés les uns des autres, et pour partie de la réalité du marché.

Cela donne lieu à des situations absurdes. Par exemple, les plafonds de ressources sont identiques entre les zones A bis et A, mais les plafonds de prix de vente sont très différents, respectivement de 5 800 €/m2 TTC et de 4 400 €/m2 TTC. Pourquoi ? Mystère. Aujourd’hui, en tout cas, il n’est pas possible de vendre du BRS en zone A bis plus de 4 900 €/m2 TTC, donc très en-dessous du plafond de prix. Même avec un apport de 10 %, un ménage éligible de 4 personnes n’est pas finançable.

On sait bien qu’il y a en outre beaucoup d’incohérences dans le zonage. Dans les Yvelines, certaines communes sont classées en B1 en totale incohérence avec la situation du marché et donc avec les prix auxquels nous pouvons proposer des logements en BRS, compte tenu des prix du foncier. Résultat : les ménages finançables en BRS, mais pas en accession privée, ne sont pas éligibles au BRS !

Il faudrait donc réviser ces deux plafonds pour « rendre le BRS davantage accessible ? »
SG : Ils sont révisés chaque année dans la loi de finance, mais selon une logique opaque qui tend plutôt à aggraver le décalage. Ainsi, début 2023, les plafonds ont été relevés de 8 % pour les prix de vente et de 6 % seulement pour les revenus ! Le sujet est assez préoccupant et je souhaite qu’il soit mis à à l’ordre du jour des prochaines rencontres du réseau Foncier Solidaire France.

Pour ma part, je serais plutôt pour une sorte de big-bang qui requestionne la logique des plafonds, mais aussi celle du zonage pour mieux prendre en compte la réalité des marchés locaux. Il faudra aussi apporter une réponse à la fluctuation des taux d’intérêt, facteur non négligeable de perturbation du système.

Certains ont lu l’annonce du Gouvernement comme l’intention de rendre le BRS moins « social »…
SG : Quelle est la cible du BRS ? Pour certains, ce seraient les locataires du parc social. Pour d’autres acteurs dont le Département des Yvelines, où il faut composer avec des prix de foncier élevés, c’est aussi la classe moyenne qui est ciblée.

Notre philosophie est très claire sur ce point. Il faut sortir du vieux débat qui oppose deux catégories de ménages : d’un côté ceux qui doivent se voir proposer un logement social ou une accession sociale, de l’autre ceux qui ont les moyens d’’accéder à la propriété. Cela revient à ignorer la classe moyenne. Or il n’est pas normal de ne pas proposer aussi à ces ménages un parcours résidentiel adapté à leurs revenus. Si l’on regarde bien, les accédants des classes moyennes le payent de sacrifices importants ; leur reste à vivre est parfois plus modeste que celui des locataires du parc social.

Il faut combattre cette idée selon laquelle le BRS devrait être réservé uniquement aux ménages à faible revenu, qui seraient les seuls à ne pas pouvoir accéder à la propriété. Par définition les ménages qui adoptent le BRS sont ceux qui n’ont pas le choix d’accéder à la pleine propriété : s’ils avaient le choix, ils le feraient ! La clientèle du BRS est une clientèle captive. Il n’y a pas d’’effet d’’aubaine, ici.

Le BRS serait donc plutôt un produit d’accession intermédiaire ?
SG : Il faut distinguer trois catégories de ménages : ceux qui peuvent accéder à la propriété classique, ceux qui ne le peuvent pas et pour qui le BRS est une solution, et ceux qui ne le peuvent pas mais qui n’ont pas forcément intérêt à accéder à la propriété s’ils peuvent se loger dans le parc social en conservant un reste à vivre digne, pas forcément compatible avec une acquisition. Le BRS que nous proposons concerne les ménages des classes moyennes au sens large, des ouvriers aux cadres moyens, dont les revenus se trouvent entre les troisième et septième déciles.

Au-delà du big bang que vous évoquiez, avez-vous d’autres idées pour ouvrir le BRS à davantage de ménages ?
SG : Une piste consisterait à essayer de corriger les effets de seuil subis par les ménages qui ne peuvent pas se loger dans le libre tout en dépassant le plafond de revenus du BRS.

Cela pourrait consister à créer une catégorie spécifique de BRS, qui ne présenterait pas tous les avantages du BRS actuel. Par exemple, il ne serait pas assimilable à un logement social en PLS dans l’application de la loi SRU, et il serait soumis à une TVA moins réduite.

Sa mise en œuvre serait beaucoup plus légère et mieux encadrée que celle du bail réel libre proposé il y a quelques années par le député Lagleize, puisqu’il ne serait pas nécessaire de créer d’organismes spécifiques : un OFS pourrait proposer les deux types de produit.

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