Champ d’application de l’expropriation pour risques

par | 15 Sep 2018 | Analyses juridiques et judiciaires, Foncier juridique et judiciaire | 0 commentaires

Champ d’application de l’expropriation pour risques : la certitude du risque ne caractérise pas son imminence pour la vie humaine.

Le recul du trait de côte affecte une portion croissante du littoral français. Son issue est inéluctable pour les immeubles et donc les habitants concernés, mais sa progression est lente, décomptée annuellement en centimètres et plus rarement en mètres.

Parmi d’autres sites, la copropriété Le Signal à Soulac-sur-Mer a souvent été prise en exemple. Venant clore un long processus judiciaire qui a notamment conduit à la saisine du Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (décision n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018 Syndicat secondaire Le Signal). Le Conseil d’État reprend la solution dégagée le 17 janvier 2018 à l’occasion du renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel retenant que par les dispositions de l’article L. 561-1 du code de l’environnement « éclairées notamment par les travaux préparatoires de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement et de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement dont elles sont issues, que le législateur n’avait pas entendu étendre le régime d’expropriation qu’elles instituent aux risques liés à l’érosion côtière, lesquels ne sont assimilables ni aux risques de submersion marine, ni, par eux-mêmes, aux risques de mouvements de terrain, mentionnés dans cet article ».

Il vient ensuite censurer l’arrêt d’appel pour erreur de droit mais confirme sa solution en jugeant que « la faculté de mettre en oeuvre la procédure d’expropriation qu’elles prévoient est notamment subordonnée à la double condition que, d’une part, les risques en cause soient au nombre des risques prévisibles dont elles dressent limitativement la liste et, d’autre part, qu’ils menacent gravement des vies humaines. 

Or, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a également relevé que la bonne connaissance scientifique du phénomène naturel en cause, dont l’évolution régulière a pu être observée depuis près d’un demisiècle, a permis l’édiction de mesures telles que la mise en place d’un dispositif de surveillance, d’alerte, d’évacuation temporaire des résidents de l’immeuble et d’un périmètre de sécurité, propres à assurer la sécurité des personnes en amont de la réalisation de ces risques et qu’elle en a déduit que les risques en cause ne pouvaient, à la date de la décision contestée, être regardés comme menaçant gravement des vies humaines au sens des dispositions de l’article L. 561-1. La cour n’a pas commis d’erreur de droit en tenant compte des mesures de police administrative ainsi décrites visant à assurer la sécurité des personnes pour apprécier l’existence d’un risque pour les vies humaines. Ce motif ainsi retenu par la cour suffit, à lui seul, à justifier le dispositif de l’arrêt attaqué. »

Cette solution sur l’absence d’imprévisibilité d’un phénomène naturel dont l’évolution était observée depuis cinquante ans était…prévisible. Elle rappelle que la faculté d’expropriation suppose une cinétique du risque exposant directement les populations en cas de survenance, ce qui est le cas des mouvements de terrains, avalanches, crues torrentielles ou submersions marines qui empêchent tout temps de réaction.

Or ce n’est que dans ce dernier cas qu’une indemnisation pouvait être retenue par la voie de l’expropriation. Le Conseil constitutionnel avait rappelé dans cette affaire que « le législateur n’a pas entendu instituer un dispositif de solidarité pour tous les propriétaires d’un bien exposé à un risque naturel, mais uniquement permettre d’exproprier, contre indemnisation, ceux exposés à certains risques naturels. » Cette décision rappelle la complexité des facteurs qui nuancent les nombreuses approches possibles du risque. La progression des dunes étaient observées dès avant l’octroi du permis de construire l’immeuble Le Signal le 28 avril 1965, même si c’est une loi du 2 février 1995 qui a mis en place les plans de préventions des risques naturels et que celui en cause n’a été approuvé par le préfet que le 28 juin 2004. Le phénomène naturel connu, anticipé et circonscrit excluait que des vies humaines fussent directement exposées. Les propriétaires ont été évacués en 2014. C’est encore le principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme comme celui de la responsabilité administrative et privée qui sont interrogés.

Doit-on indemniser un dommage futur mais certain ? La collectivité nationale accepte-t-elle que l’on puisse tout perdre à raison d’un phénomène naturel ? Dans la négative, doit-elle accepter d’être débitrice d’une obligation indemnitaire, soit directement soit par un fonds ? Le législateur peut-il unilatéralement ériger une « culture du risque » uniforme à l’échelle nationale ? Qui a à traiter ces questions constate la diversité des approches selon les risques et les régions concernées comme les antagonismes existant entre « locaux » et « résidents secondaires ». Anticipant la décision du Conseil d’État des sénateurs ont tranché ces choix en proposant une proposition de loi « visant à instaurer un régime transitoire d’indemnisation pour les interdictions d’habitation résultant d’un risque de recul du trait de côte ». Son adoption n’aurait rien anodin.

Conseil d’État 16 août 2018 n° 398671.

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