Incidence de la domanialité d’une propriété publique sur le régime des droits des occupants

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Tribunal des conflits 12 février 2018 n°C4112. Cour administrative d’appel de Paris 26 septembre 2017 n°16PA01540. Conseil d’État 26 janvier 2018 n°409618.

Le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) avait pour propos de mieux préciser les frontières de la domanialité publique, dans un paysage jalonné de décisions du Conseil d’État, du Tribunal des conflits et de la Cour de cassation, qui jettent autant d’ombres qu’elles éclairent des situations particulières. L’essentiel des situations sont nées avant l’entrée en vigueur du Code, conservant un rôle déterminant à la jurisprudence. Les décisions sont nombreuses, souvent intéressantes, mais ne permettent que difficilement à la doctrine de structurer les solutions à retenir. Les conséquences sont pourtant lourdes, qui concernent par exemple, le droit des occupants, les obligations de déclassement avant cession ou encore les perspectives de valorisation sans violation de la loi MOP et des règles de la commande publique.

Le Tribunal des conflits reconnaît avec netteté la domanialité publique de tout hébergement propriété des Crous, jugeant qu’ils « sont des établissements publics à caractère administratif chargés de remplir une mission de service public en vertu des articles L. 822-1, R. 822-1 et R. 822-14 du code de l’éducation, en accordant notamment, par décision unilatérale, des logements aux étudiants ; que même dans le cas où la résidence universitaire ne peut pas être regardée comme une dépendance du domaine public, toute demande d’expulsion du Crous vise à assurer le fonctionnement normal et la continuité du service public administratif dont il a la charge ».

La domanialité suivant la propriété publique, un bien géré par un Crous mais propriété d’une SEM titulaire d’un bail emphytéotique administratif, le Conseil d’État avait estimé que « la juridiction judiciaire est, en principe, seule compétente pour connaître d’une demande d’expulsion d’un occupant sans titre d’un bien immobilier appartenant à une personne morale de droit privé, alors même que l’occupation sans titre résulterait de l’expiration d’un contrat de droit public ayant antérieurement autorisé cette occupation » et avait renvoyé au Tribunal des conflits sur la question du Crous propriétaire (Conseil d’État 18 octobre 2017 n°408006). La cour administrative de Paris, faisant application des définitions données par les articles L 2111-1 et suivants du CG3P, a eu à se prononcer sur la domanialité des « Frigos », ensemble immobilier initialement squatt d’artistes ensuite pérennisé sous la houlette de la ville de Paris, au prix de travaux permettant notamment de respecter la réglementation des établissements recevant du public. La nature des droits d’une occupante était en cause. La cour retient « qu’il est constant que les locaux en cause, à l’origine à usage d’entrepôts frigorifiques et aujourd’hui à usage d’ateliers, présentent des caractéristiques, des dimensions et des volumes adaptés à l’exercice d’activités artistiques et culturelles, et ont fait l’objet d’aménagements indispensables à cet effet ; que l’accueil de ces activités doit être regardé comme relevant d’une mission de service public ; que Mme D… ne saurait utilement se prévaloir de ce que les aménagements dont les locaux ont fait l’objet résulteraient de travaux réalisés par les anciens occupants et non par la ville de Paris, de ce qu’une délibération du conseil de Paris des 26, 27 et 28 septembre 2016, postérieure à la décision attaquée, a approuvé un protocole d’accord avec le Semaest sur la conclusion, après déclassement du domaine public, d’un bail emphytéotique, ni faire état de la présence dans certains de ces locaux, d’activités étrangères à l’art ou à la culture, pour en déduire que les locaux en cause appartiennent au domaine privé de la ville ; que l’annulation par l’arrêt de la cour du 10 décembre 2013 mentionné ci-dessus, de la délibération du conseil de Paris du 17 décembre 2008, classant l’ensemble immobilier dans le domaine public de la ville de Paris, en raison d’une irrégularité de procédure, ne saurait davantage avoir pour effet, contrairement à ce que soutient Mme D…, de faire relever cet immeuble du domaine privé de la ville, l’absence de classement formel étant en l’espèce sans incidence ; que dans ces conditions, l’immeuble en cause dans le présent litige remplissant les critères mentionnés par les dispositions précitées, appartient au domaine public de la ville de Paris ; que Mme D… n’est donc pas fondée à soutenir que ces locaux relèveraient du domaine privé de la ville de Paris, ni, en tout état de cause, à soutenir que la ville devait conclure avec elle un bail de droit privé ».

Il est à remarquer que le service public reconnu est celui de «l’accueil d’activités artistiques et culturelles » ; associé aux aménagements indispensables à son accomplissement, il caractérise la domanialité publique des Frigos et la précarité des droits de l’occupante. Même s’il n’est pas récent pour la jurisprudence de distinguer les régimes domaniaux au sein d’un même ensemble immobilier (jurisprudence Brasserie du Théâtre de 2009), à nouveau la frontière semble ténue voire floue à la lecture par exemple d’un arrêt du 26 janvier 2018 qui a regardé une dalle du RER A comme relevant du domaine privé de la RATP au motif qu’elle n’était « pas elle-même affectée à l’usage direct du public ou à une activité de service public » ni ne constituait l’accessoire du tunnel. À ce dernier titre, la haute juridiction retient que « si le tunnel, y compris sa voûte, constitue un ouvrage d’art affecté au service public du transport ferroviaire des voyageurs et spécialement aménagé à cet effet, il ne résulte pas de l’instruction que la dalle de béton, qui est située physiquement au-dessus de la voûte du tunnel, présente une utilité directe pour cet ouvrage, notamment sa solidité ou son étanchéité, et qu’elle en constituerait par suite l’accessoire ». Sauf à séparer domaines public et privé par le recours à une division en volumes, subordonner une qualification domaniale lourde de conséquences à l’utilité de l’ouvrage conserve une insécurité dans l’accomplissement des projets de valorisation et d’aménagement.