L’obligation d’évaluer les incidences environnementales des projets

Les strictes limites des exonérations d’évaluation des incidences environnementales des plans et programmes

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CJUE, 10 septembre 2015, C-473/14, Dimos Kropias Attikis 

Dans cette affaire, le Conseil d’État grec a posé quatre questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne à propos de l’applicabilité de la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement à un plan adopté postérieurement à un plan plus général en vue de préciser les règles applicables à un des périmètres déjà protégés par le plan plus général. La requérante devant le Conseil d’État est la commune de Kropias en Attique qui s’oppose au ministère de l’Environnement, de l’Énergie et du Changement climatique et demande l’annulation du décret présidentiel n° 187/2011, du 14 juin 2011, portant fixation de mesures de protection de la zone du massif montagneux de l’Ymittos et des parcs métropolitains de Goudi et Ilisia. Le motif principal est que ce décret présidentiel n’a pas été précédé d’une évaluation des incidences environnementales en application notamment de la directive 2001/42/ CE précitée mais aussi de la directive 92/43/CEE “habitats”.

Une loi n° 1515/1985 arrête le plan directeur de l’aménagement pour la grande région d’Athènes et un programme de protection de l’environnement. Ce plan couvre la grande banlieue d’Athènes, et inclut le massif de l’Ymittos. La loi prévoit la possibilité d’adopter des décrets présidentiels pour compléter, préciser, clarifier ou modifier partiellement le plan directeur et le programme de protection sans toutefois pouvoir en modifier les objectifs et les orientations.

C’est ainsi qu’un décret présidentiel de 1978 adopte un régime complet de protection du massif de l’Ymittos en prévoyant deux zones de protection (A et B) et les utilisations autorisées. Par ailleurs, au vu de sa remarquable biodiversité notamment aviaire, le site du massif de l’Ymittos est inscrit à la fois en site d’intérêt communautaire (SIC) et en zone spéciale de conservation (ZSC) au sens de la directive 92/43/CEE “habitats” mais aussi en zone de protection spéciale (ZPS) au sens de la directive 2009/147/ CE “oiseaux sauvages”. Le décret présidentiel de 1978 a fait l’objet d’une procédure de révision, sans évaluation environnementale préalable, en vue d’améliorer la protection de l’Ymittos, procédure qui a abouti à l’adoption du décret présidentiel de 2011 querellé devant le Conseil d’État. Dorénavant, le massif est divisé en cinq zones, dont la zone A, étendue par rapport au décret de 1978, dans laquelle la protection est absolue, et quatre autres zones dans lesquelles, à des degrés divers, des activités sont autorisées. Visiblement, tout en ne contestant pas le fait qu’il s’agisse de l’adoption d’un plan et d’un programme, le Conseil d’État grec est divisé quant à la question de savoir si ce décret présidentiel de 2011 devait faire l’objet, en application de la directive 2011/42/CE et/ou de la directive 92/43/CEE, d’une évaluation des incidences environnementales. Certains membres du Conseil d’État invoquent un arrêt rendu par le Cour de justice de Luxembourg en 2012 à propos du point de savoir si l’abrogation d’un plan requiert une évaluation des incidences environnementales en application de la directive 2001/42[1]. Dans cet arrêt Inter-Environnement Bruxelles, la Cour a considéré que, même si la directive 2001/42 ne visait que l’élaboration d’un plan ou sa modification, il se déduisait de la ratio legis de la directive que celle-ci devait en principe s’appliquer à l’abrogation d’un plan. En principe, car une telle abrogation pourrait échapper à l’obligation de l’évaluation préalable si le plan à abroger s’insère dans une hiérarchie d’actes d’aménagement du territoire, dès lors que ces actes prévoient des règles d’occupation des sols suffisamment précises, qu’ils ont eux-mêmes fait l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur l’environnement et qu’il peut être raisonnablement considéré que les intérêts que la directive 2001/42 vise à protéger ont été suffisamment pris en compte dans ce cadre. Le Conseil d’État grec s’interroge donc sur la possibilité, dans le cas d’espèce, de considérer que, dès l’instant où le décret présidentiel de 2011 s’inscrit dans une hiérarchie de plans d’aménagement du territoire, la directive 2001/42/CE ne s’appliquait pas quand bien même le plan directeur et le programme de protection de l’environnement de la grande région d’Athènes de 1985 n’avait pas fait l’objet d’une évaluation préalable des incidences environnementales, ce qui allait de soi puisque la directive 2001/42/CE est largement postérieure à 1985.

À titre subsidiaire, le Conseil d’État s’interrogeait également sur l’obligation ou non de procéder, préalablement à l’adoption du décret présidentiel, à une évaluation appropriée au sens de l’article 6, § 3, de la directive 92/43/CEE “habitats”. En effet, si le décret présidentiel de 2011 peut être considéré comme un plan directement lié ou nécessaire à la gestion du site Natura 2000, il n’est pas soumis à cette évaluation appropriée préalable. Ne fût-ce que partiellement, s’interroge le Conseil d’État, notamment en ce qui concerne la zone A de protection absolue. Pour la Cour de justice de l’Union européenne, on ne peut déduire de l’arrêt Inter-Environnement Bruxelles de 2012 – qui ne concernait que l’abrogation d’un plan – que les actes modificatifs d’un plan ou programme d’aménagement du territoire pourraient être exonérés de l’évaluation imposée par la directive 2001/42/CE sous prétexte qu’il existe un plan plus général que le plan modificatif vient préciser. La Cour relève que la directive 2001/42/ CE vise expressément, dans son champ d’application, la modification des plans et programmes. Le fait que la modification du plan concerne un plan qui précise le plan supérieur ne peut changer cette analyse. La Cour note en outre que l’arrêt Inter-Environnement Bruxelles visait à ne pas multiplier les évaluations, ce qui suppose que le plan supérieur ait fait lui-même l’objet d’une évaluation environnementale, ce qui n’est pas le cas du plan directeur de 1985. La Cour de justice aurait pu faire référence à l’article 4, § 3, de la directive 2001/42/CE qui prévoit expressément l’hypothèse de plans et programmes faisant partie d’un ensemble hiérarchisé. Dans ce cas, la directive permet à la fois de tenir compte de l’évaluation réalisée pour le plan précédent et de limiter l’évaluation à un certain niveau lorsque l’on sait qu’en aval interviendra une autre évaluation par exemple à propos d’un plan plus précis. Cette disposition en aucun cas ne prévoit un mécanisme de dispense sous prétexte qu’un plan ou un programme s’insère dans un ensemble hiérarchisé.

De même, la Cour ne mentionne pas spécifiquement le mécanisme de l’exonération visée à l’article 3, § 3, de la directive 2001/42/CE pour des petites zones au niveau local ou pour des modifications mineures. Nous n’avons pas d’information précise sur la portée des modifications apportées par le décret présidentiel de 2011. Pour la Commission européenne, le concept de « petite zone au niveau local » ou de « modifications mineures » doit tenir compte de l’importance des impacts négatifs du plan ou du programme[2]. Dans ce contexte, il est probable qu’une partie importante du décret de 2011 qui vise à renforcer la protection du massif montagneux de l’Ymittos aurait pu entrer dans ce concept et bénéficier d’une exonération explicite de l’évaluation environnementale.

[1] CJUE, 22 mars 2012, C-567/10, Inter-Environnement Bruxelles et crts, Études Foncières, n° 157, p. 54.

[2] Sur cette question, voyez F. Haumont, Droit européen de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 132 et s.