Présentation. Martin Simard est géographe urbain, spécialiste des questions d’aménagement du territoire et de géographie régionale. Son document de travail, nous dit-il, « résume le débat entre deux écoles de pensée qui s’opposent sur les conséquences à long terme de la pandémie sur l’aménagement et l’urbanisme au Québec ». Il s’interroge sur les effets de l’épidémie sur le débat qui oppose deux écoles de pensée, qu’il présente tout d’abord, puis il conclut en donnant son point de vue personnel.
Extraits
« Dans la crise épidémique, la maison individuelle est présentée comme l’ultime refuge pour se protéger du monde extérieur, remettant potentiellement en cause 30 ans de lutte contre l’étalement urbain et ses conséquences environnementales. »
Plusieurs interrogations « s’imposent dans le champ de l’aménagement et de l’urbanisme : Est-ce que l’animation des zones centrales et les événements de foule reprendront leur vigueur habituelle ? Le télétravail affectera-t-il le marché des immeubles de bureaux et, par ricochet, la vitalité des centres-villes, voire des pôles d’emplois situés en banlieue ? Finalement, est-ce que le relativement timide retour des dernières années vers les moyenne et haute densités résidentielles se maintiendra ou assisterons-nous à une nouvelle vague d’étalement urbain ? ».
La dimension idéologique du débat … « L’étalement urbain donne lieu à un débat idéologique important. Pour les tenants de la libre entreprise et des droits individuels à tout prix, l’étalement urbain, voire l’établissement des urbains en campagne est le simple résultat de la conjonction des valeurs culturelles, des possibilités de mobilité, de l’offre du marché, en plus de constituer une occasion de développement économique axée sur la marchandisation du sol et du milieu bâti ». « À contrario, pour la plupart des spécialistes du territoire (géographes, urbanistes, etc.) et les militants environnementalistes, les impacts de l’urbanisation diffuse doivent conduire le gouvernement provincial et les administrations locales à limiter l’étalement urbain. Sous ce regard critique, ce fléau des temps modernes crée notamment ‘une distanciation sociale’ entre les habitants moins fortunés des quartiers anciens et ceux plus aisés de la banlieue pavillonnaire ». « En outre, des observateurs plus radicaux voient même dans l’étalement urbain un complot d’envergure mondiale orchestré par les grandes entreprises immobilières, pétrolières et automobiles, lesquelles y trouvent leurs profits ».
« Dans ce contexte, les gouvernements n’ont jamais vraiment voulu intervenir trop directement, sauf dans le cas de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles du Québec. Malgré ses atouts, cette loi affiche de nombreuses limites pour véritablement freiner l’étalement urbain ».
… Relayé par deux écoles de pensée. « Selon notre interprétation, deux écoles de pensée s’affrontent sur le sujet : ceux et celles qui croient que les multiples intérêts de la socialisation triompheront de la peur, groupe à distinguer de ceux et celles qui entrevoient l’avènement durable de comportements plus ou moins agoraphobiques. Appelons respectivement celles-ci l’école de la proximité et l’école de la distance. Pour les tenants de la première école de pensée, le caractère grégaire de l’humain reviendra au galop. À l’opposé de cette lecture plutôt optimiste du retour à la normale, l’école de la distance propose un autre discours, tant pour vanter la maison individuelle, voire la campagne, que pour dénoncer le non-accès aux logements de qualité pour une partie de la population. De la sorte, selon les témoignages d’agents immobiliers américains rapportés par le USA Today, on peut déjà percevoir une volonté de quitter la grande ville chez une partie de la clientèle ».
En conclusion, « Au-delà des écoles de pensée, si la peur de l’autre et l’appel du foyer pour le télétravail et les loisirs persistent dans de fortes proportions, les retombées urbanistiques seront nombreuses ». « Ces retombées pourraient constituer un recul de plus de 30 ans, en particulier en matière de dynamisme des centres-villes et de lutte à l’étalement urbain ». « En parallèle au possible mouvement en faveur de l’urbanisation diffuse, les espaces centraux des agglomérations pourraient subir une baisse d’attrait et d’achalandage parce qu’ils concentrent les espaces ludiques et les lieux de travail marqués par le rassemblement et la proximité d’une foule d’individus de tous horizons ». « Néanmoins, parler de désurbanisation et de mouvements de populations vers les régions périphériques paraît excessif. Les changements se feront aux échelles métropolitaine ou infrarégionale et non entre les régions, à notre avis. Il y a donc peu de chance que les travailleurs montréalais déménagent à Saguenay, par exemple. C’est plutôt les villages voisins de Saguenay qui risquent d’attirer de nouveaux ménages provenant de cette ville moyenne ».
Au Québec comme en France, le débat qui s’ouvre est donc le même.