Institut autonome de recherche et d’échange, créé à l’initiative de la SNCF et bénéficiant de son soutien, Forum Vies Mobiles conduit et publie régulièrement depuis 2011 des productions originales concernant les mobilités, prises aussi bien sous l’angle des déplacements physiques que dans leur portée sociale et culturelle. Il se place dans une attitude prospective, avec l’ambition de contribuer à éclairer et préparer une « transition mobilitaire soutenable ». C’est dans ce cadre qu’il faut placer sa dernière production, Enquête nationale Mobilités et modes de vie 2020, qui était présentée dans une conférence tenue à Saint-Denis (93) le 3 mars dernier (avant le confinement !).
C’est une enquête d’un poids certain – 13 000 personnes interrogées en France métropolitaine hors Corse – qui se place dans une approche contrastée avec l’autre principale source de connaissance dans ce domaine, l’Enquête Nationale Transports et Déplacements de l’INSEE (ENTD) dont les derniers résultats disponibles portent sur les années 2007/2008[1]. Les différences semblent porter sur le champ observé, les déplacements enregistrés sur deux semaines au lieu d’une, la prise en compte des déplacements effectués dans le cadre de l’activité professionnelle (on conçoit que cela change beaucoup les résultats pour les conducteurs de bus, les livreurs, les camionneurs, jusqu’au personnel navigant des compagnies aériennes !) ou encore la ventilation de chaque déplacement selon des « familles d’activités » plutôt que selon les caractéristiques des trajets ou leur motif direct. On doit s’attendre à ce que cette approche suscite bientôt discussions et peut être controverses académiques, lorsque les résultats complets et les données traitées seront accessibles.
En attendant, un premier rapport, peu détaillé, a été présenté à la conférence du 4 mars, et il est accessible en ligne sur le site de Forum Vies Mobiles. On y verra qu’une approche aussi novatrice de la question des mobilités débouche sur des premières conclusions qui divergent avec ce que l’on croyait savoir jusqu’ici. Ainsi, la mobilité d’ensemble, mesurée en temps passé comme en kilomètres parcourus apparaîtrait nettement plus élevée que ce qui, dans d’autres définitions, ressortait des travaux antérieurs : en moyenne, pour un adulte, 400 km et 10h par semaine. Ou encore, le niveau de diplôme et le revenu ressortent comme des facteurs décisifs et croissants de la mobilité, en distance ce que d’autres études tendaient déjà à montrer, mais aussi en temps passé, ce qui est plus nouveau. Les auteurs parlent d’une culture de la mobilité spécifique aux plus diplômés et/ou plus riches.
Un point ressort en particulier, utile à qui s’intéresse aux liens entre formes urbaines et soutenabilité des transports : le temps consacré à la mobilité est important, et peu différencié quel que soit le cadre de vie, ville centre, banlieue, ou péri-urbain et rural, à l’exception de l’ Île-de-France où il est globalement nettement plus élevé, avec un maximum pour Paris intra-muros. Mesuré en distance parcourue, c’est la banlieue qui est associée aux valeurs les plus fortes, et non le périurbain et la zone rurale qui seraient au même niveau que la ville centre d’agglomération. De quoi bousculer les idées répandues sur les avantages de la densité et de la centralité.
Ce sont donc des conclusions stimulantes, même provocantes, dont certaines s’esquissaient déjà lors des Rencontres organisées par le même Forum Vie Mobiles en Janvier 2013 sur le thème des mobilités dans le périurbain. Elles sont certes contestables – et elles seront contestées – mais nul doute que cette discussion enrichisse notre compréhension de phénomènes complexes trop souvent ramenés à des schémas simplistes. Souhaitons que ce débat s’instaure dès que seront disponibles les données détaillées, ce qui a été annoncé comme très prochain à la conférence du 4 mars.
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