Zéro artificialisation nette : de la Convention citoyenne au texte de loi, une trajectoire en débat

A la suite des trois « brèves » portant sur la définition de l’artificialisation, cet article revient sur l’introduction, en droit français, d’un objectif quantifié de réduction de l’artificialisation des sols. Quelle a été son évolution depuis sa formulation par la Convention citoyenne pour le climat (CCC) jusqu’à sa promulgation à l’article 191 de la loi Climat et résilience ? Pour le comprendre les auteurs, jeunes chercheurs en économie écologique, proposent une analyse détaillée des débats parlementaires qui ont accompagné sa définition.

Enjeu majeur pour la biodiversité, la conservation de terres arables et l’adaptation aux effets du changement climatique, la lutte contre l’artificialisation des sols est progressivement entrée dans le vocabulaire politique. Elle apparaît désormais comme le nouvel avatar d’un programme politique de maîtrise de l’étalement urbain entamé avec la loi SRU (2000) et poursuivis par les lois ALUR (2014) et ELAN (2018) sous la bannière de la « sobriété foncière ». Ainsi, depuis 2015, le taux d’artificialisation des sols est l’un des 10 nouveaux indicateurs de richesse de la France, et l’objectif d’atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) [1] a été inscrit dans le Plan biodiversité en 2018.

L’opportunité de donner un fondement légal à l’objectif ZAN s’est présentée à la faveur des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. L’une des 149 mesures issues de cette expérience visait à instaurer une limite chiffrée au nombre d’hectares pouvant être artificialisés sur la prochaine décennie. Cohérente avec l’agenda du gouvernement, cette proposition a été retenue[2] et intégrée au projet de loi dit Climat et Résilience”. Comment l’objectif de réduction de l’artificialisation a-t-il évolué depuis la proposition de la CCC jusqu’à sa promulgation à l’article 191 de la loi[3] ? Quels ont été les enjeux soulevés par les débats parlementaires ? Pour répondre à ces questions, nous revenons, dans un premier temps, sur les formulations de l’objectif présentes dans le rapport de la CCC et les arbitrages opérés par le gouvernement lors de leur transcription dans le projet de loi. Nous étudions ensuite les débats parlementaires suscités par cet objectif de réduction de l’artificialisation. Enfin, nous comparons le texte promulgué à la proposition de la CCC, et donnons quelques perspectives à propos de l’effort de réduction impliqué par la loi.

De la mesure de la Convention citoyenne au projet de loi : ambiguïtés et premiers arbitrages

Dans son rapport final (juin 2020), l’assemblée de citoyens tirés au sort consacre un volet de treize mesures à la lutte contre l’artificialisation. La définition d’un objectif de réduction y apparaît en tête, avec la proposition SL3.1. Son intitulé, reproduit à la figure 1, énonce une réduction de moitié de l’artificialisation des sols. Toutefois, d’autres passages du texte évoquent des objectifs différents. L’introduction du volet artificialisation prévoit ainsi que « (…) sur la période 2021-2030, le nombre d’hectares artificialisés par commune soit limité au quart de ce qui a été artificialisé entre 2000-2020 » (p. 298). Quant au développement consacré à la mesure SL3.1, il indique, en utilisant les mêmes périodes de référence, que « (…) par commune : la consommation de terre exprimée en hectare doit être réduite du quart (…) » (p. 298).

La proposition de la convention présente donc plusieurs ambiguïtés. D’une part, elle amalgame artificialisation des sols et consommation de terre, des notions certes voisines, mais distinctes[4]. D’autre part, les diverses formulations de l’objectif apparaissent contradictoires : s’agit-il de réduire l’artificialisation de moitié, de 25% (réduction du quart) ou de 75% (limitation au quart) ? Cette confusion, nous le verrons, a eu des effets sur la suite du processus législatif, en favorisant des interprétations diverses. Du reste, elle a été relevée par le comité chargé de proposer une traduction légistique des mesures de la CCC. Dans sa retranscription, celui-ci opte pour une interprétation ambitieuse de l’intention des citoyens en énonçant que sur les dix prochaines années, une commune ne peut artificialiser plus du quart de la surface consommée entre 2000 et 2020 (p. 303, 304).

Dans le projet de loi déposé le 10 février 2021, la définition d’une trajectoire de réduction de l’artificialisation est inscrite à l’article 47, qui constitue l’objectif programmatique du volet artificialisation du texte. Dès cette étape, la formulation de l’objectif s’écarte de la proposition de la CCC sur trois points (fig. 1). À notre connaissance, le gouvernement n’a pas fourni de justifications par rapport à ces arbitrages, mais la lecture de l’exposé des motifs de la loi apporte quelques éléments de contexte.

D’abord, contrairement à la transcription proposée par le comité légistique, le gouvernement semble s’être référé à l’intitulé de la mesure SL3.1[5]. Sur la prochaine décennie, le projet de loi retient un objectif de réduction de moitié de la consommation d’espace par rapport aux 10 dernières années, plutôt qu’une réduction de 75% par rapport aux 20 dernières années. Cette nouvelle formulation modifie du même coup la période de référence : la réduction est calculée par rapport aux dix, et non plus aux vingt, années passées. Si l’exposé des motifs ne dit rien à ce propos, on peut faire l’hypothèse que ce choix a été motivé par des impératifs techniques. En effet, les données de l’Observatoire de l’artificialisation des sols, dispositif de suivi de référence, ne remontent pas avant 2008. L’exposé des motifs de la loi ne signale pas, non plus, l’ambiguïté du rapport de la CCC et présente la réduction de moitié comme une ambition « partagée avec « les 150 » (…) ». Cette interprétation n’est pas celle des auteurs de rapport d’information du Sénat[6] qui ont jugé la traduction par le gouvernement comme fidèle dans l’esprit mais présentant une différence notable dans les chiffres (p. 36).

Enfin, cet article 47 abandonne la mention de la commune comme l’échelon administratif auquel doit s’appliquer l’objectif de réduction. Cette question est renvoyée à un autre article du projet de loi – le n°49 – qui prévoit l’inscription de l’objectif de réduction de l’artificialisation dans les documents de planifications régionaux. Selon l’exposé des motifs, cette décision permettrait de définir l’objectif « au plus proche des réalités du terrain (…) ». Peut-être le gouvernement a-t-il été sensible à la mise en garde du comité légistique :

L’inconvénient de fixer seulement une norme par commune est que cela pénalise les communes qui ont été économes de l’espace naturel au cours des dernières années et permet à celles qui ne l’ont pas été de continuer.” (Rapport CCC, p. 303).

Source: Auteurs

Analyse des amendements : les enjeux du débat parlementaires

Ce projet de loi a fait l’objet d’une procédure accélérée, l’article 47 a donc été examiné une fois par chaque chambre, puis par une commission mixte paritaire[7]. Ainsi, la promulgation du texte de loi définitif a eu lieu en septembre 2021, moins de 6 mois après le début des débats. Afin de mieux comprendre les apports du travail parlementaire, nous avons étudié l’ensemble des amendements à l’article 47 discutés à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous nous sommes appuyés sur le travail des administrateurs des assemblées qui identifient et regroupent, en amont des débats, les amendements identiques ou similaires pour faire l’objet d’une discussion commune. C’est à l’échelle de ces « paquets d’amendements » (désignés par « paquets » dans la suite du texte) que s’est porté notre analyse, via une méthodologie détaillée dans l’encadré ci-dessous.

Dans la suite de cette partie, nous dressons un bilan général du travail des parlementaires sur la nature des amendements qu’ils ont soumis. Nous cherchons ensuite à savoir quels groupes parlementaires ont été porteurs d’une volonté de renforcement ou, au contraire, de réduction de cette ambition. Enfin, nous mettons en lumière le contenu des principaux amendements rejetés ou acceptés, ainsi que les arguments évoqués dans ces arbitrages.

Méthodologie et données

L’ensemble des amendements déposés pendant l’examen du projet de loi Climat & Résilience est téléchargeable en accès-libre sur les plateformes open-data de l’Assemblée nationale et du Sénat. Avant même d’être discutés, certains amendements sont déclarés irrecevables ou bien sont retirés par leurs auteurs[8]. Dans le cadre de cette analyse seuls les amendements effectivement discutés ont été pris en compte. Nous nous sommes également appuyés sur les dossiers législatifs relatifs à ce projet de loi qui donnent accès aux comptes rendus des discussions en commission et en séance à l’Assemblée nationale et au Sénat. Déterminer si un paquet d’amendements a pour effet d’assouplir ou de renforcer l’objectif programmatique est un exercice délicat et nécessairement subjectif. Pour attribuer une modalité à cette variable d’intention, nous nous sommes référés à l’exposé des motifs de ces amendements (accessible sur les plateformes citées) et aux comptes rendus des débats durant lesquels ces amendements furent discutés. Lorsque l’intention n’était pas clairement exprimée, ou que nous ne pouvions pas nous appuyer sur des éléments objectifs pour la qualifier nous même, la modalité “incertain” fut attribuée à cette variable Cette modalité fut aussi attribuée aux paquets qui ne concernaient pas directement l’objectif de réduction et introduisaient des discussions sur des aspects traités par d’autres articles du projet de loi. L’analyse qui suit présente des éléments de statistiques descriptives qui croisent cette variable ad hoc avec les variables déjà présentes dans les bases de données d’amendements du Parlement.

Au total, 209 amendements regroupés en 71 propositions uniques ou paquets ont été discutés (fig. 2). Une majorité significative de ces paquets (71%) ont été émis par des députés. La répartition globale des intentions de ces propositions est présentée à la figure 3. Elle révèle que le Sénat s’est montré plus conservateur : la proportion de paquets conduisant à assouplir l’objectif programmatique y est relativement plus importante (50%) qu’à l’Assemblée nationale (35%), et seul un paquet propose de renforcer le texte. Nous le verrons, le Sénat a joué un rôle plus important sur les modalités d’application territoriale que sur la hausse ou la baisse de l’ambition nationale en termes d’artificialisation.

L’ambiguïté du niveau d’objectif de la CCC, présentée précédemment, a rejailli à plusieurs occasions au cours des débats parlementaires. Les exposés des motifs de certains amendements discutés en commission à l’Assemblée nationale sont, à cet égard, particulièrement édifiants. Le n°4504 souhaitait, par exemple, revenir à la formulation retenue par le comité légistique, jugée plus ambitieuse que celle du projet de loi. Le n°1106 proposait quant à lui un objectif de réduction de 25%, au motif qu’il s’agissait d’un objectif à la fois moins contraignant et conforme à l’ambition de la CCC.

La figure 4 présente l’intention des paquets d’amendements en fonction des groupes parlementaires. Si l’analyse statistique de cette distribution ne permet pas de conclure à une corrélation entre orientation politique et intention, quelques tendances peuvent être dégagées. À l’Assemblée nationale, les groupes parlementaires de la majorité présidentielle et de la droite sont à l’origine de la majorité des paquets qui assouplissent et renforcent le texte. Cela peut être dû à un effet “taille” puisque ces groupes concentrent 85% des effectifs de l’Assemblée nationale. Dans les deux chambres, les députés de droite et du centre ont émis proportionnellement plus d’amendements visant à assouplir le texte qu’à le renforcer. À l’opposé du spectre politique, les groupes de gauche radicale ont cherché à renforcer l’article à l’Assemblée nationale, mais pas au Sénat.

Source: Auteurs
Assemblée nationale: gauche radicale = France Insoumise, Gauche démocrate et républicaine; Socialistes = socialistes et apparentés; Centre/ soutien présidentiel = La République en marche, Mouvement démocrate, Agir ensemble & Libertés et Territoires; Droite = UDI & Les Républicains; Non inscrits
Sénat: Gauche radicale = groupe communiste républicain citoyen et écologiste; Socialistes = Groupe socialiste; Centre/ soutien présidentiel = Rassemblement démocratique et social européen; Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants (LREM), les indépendants, République et Territoires; Droite = Union Centriste, Les Républicains
* Un paquet contient des amendements identiques possiblement issus de divers groupes parlementaires (GP). Dans cette figure, à chaque paquet est associé l’ensemble des GP qui ont signé au moins un des amendements qu’il contient. Par exemple, l’unique paquet « renforçant » au Sénat contient des amendements de 2 GP différents: il est donc associé aux Socialistes et aux Ecologistes

Dans les deux chambres, l’avis du rapporteur, issu du groupe majoritaire[9], a systématiquement dicté l’issue des votes et a conduit à écarter une majorité d’amendements (Fig. 5). Ainsi, à l’Assemblée nationale, les groupes parlementaires de la majorité présidentielle ont rejeté tous les amendements qui visaient à réduire la portée du texte, conformément à la stratégie énoncée par le rapporteur au début de l’examen en séance[10]. Ils ont néanmoins voté contre 13 paquets qui visaient spécifiquement à renforcer la trajectoire de réduction de l’artificialisation. Les propositions d’inscrire l’atteinte du ZAN en 2025, 2035 ou celle de réduire de 75% voire de 80% la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers sur la prochaine décennie ont par exemple été rejetées à la suite d’avis défavorable du rapporteur et du gouvernement. Les motifs invoqués faisaient allusion au caractère trop contraignant ou irréaliste de ces propositions, compte-tenu des délais de mise en œuvre de la loi et de révision des documents d’urbanismes.

Source: auteurs

Parmi les amendements rejetés, 44 proposaient de substituer la notion de sobriété foncière à celle de ZAN, au motif qu’elle serait plus claire et juridiquement plus robuste. Ils représentent 60% de l’ensemble des amendements visant à assouplir l’objectif. En effet, à l’instar des rapporteurs et du gouvernement qui leur ont systématiquement opposé un avis défavorable, nous avons attribué la modalité « assoupli » à ces propositions. Car si des efforts de sobriété foncière sont nécessaires pour atteindre le ZAN, cet objectif nécessite aussi des actions de réhabilitation et de renaturation d’espaces artificialisés. Tous ces amendements adoptent une formulation et un argumentaire identique, mais l’un d’entre eux se distingue en indiquant la source de cette proposition[11] : l’Union nationale des aménageurs (UNAM). Dès lors, il est difficile de ne pas y voir l’indice d’une activité de lobbying, d’autant plus que l’UNAM, par la voix de son président, n’a caché ni son opposition à l’approche adoptée par le gouvernement[12], ni son intention de peser dans les débats parlementaires[13].

Quelles ont été les modifications adoptées au cours de la navette parlementaire ? Alors que le projet de loi initial n’évoque qu’un objectif de réduction pour la prochaine décennie, l’Assemblée nationale a fait de cette réduction un objectif intermédiaire (redéfini à l’Amdt. n° 5152) en vue “d’atteindre” (Amdt. n° 3881) le ZAN “en 2050” (Amdt. n° 5411). Au Sénat, l’objectif enregistre deux modifications importantes concernant ses modalités d’application. D’une part, il est précisé que ces objectifs (intermédiaire + ZAN 2050) s’appliquent à l’échelle nationale (paquet de 14 amendements dont le n° COM-179). D’autre part la chambre haute a tenu à ce que la loi garantisse la déclinaison “différenciée et territorialisée” de ces objectifs (Amdt. n° COM-1842). Une proposition que le groupe majoritaire de l’Assemblée nationale avait déclinée à plusieurs reprises. En outre, le Sénat a amendé l’article afin d’en réduire la portée de l’objectif. Il s’agissait à nouveau de “tendre vers” plutôt “[qu’] atteindre” l’objectif ZAN (n° COM-766). C’est contre cette modification, adoptée en commission, que le seul paquet visant à renforcer le texte avait été émis au Sénat pendant le débat en séance publique (Fig.2). Chargée de concilier la position des deux chambres afin d’adopter un texte définitif, la Commission mixte paritaire reviendra sur ce recul, en apportant par ailleurs des amendements rédactionnels (Fig.1).

Mise en perspective de l’objectif de politique publique promulgué dans la loi

Par le jeu de renumérotation, cet objectif figure désormais à l’article 191 du texte de loi promulgué. Il est formulé de la façon suivante :

Afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix années suivant la promulgation de la présente loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les dix années précédant cette date. Ces objectifs sont appliqués de manière différenciée et territorialisée, dans les conditions fixées par la loi.

S’il est délicat de comparer rigoureusement cet objectif avec l’ambition de la Convention citoyenne pour le climat, disons, a minima, qu’il reprend l’esprit de la proposition SL3.1 en instaurant un effort de réduction dès la prochaine décennie. Il va même plus loin, puisqu’il inscrit l’objectif d’atteinte du ZAN en 2050 dans le marbre de la loi. En cela, il est aussi conforme avec les objectifs de la Commission européenne[14] et de l’Agenda 2030 de l’ONU dont l’objectif n°11 vise une “urbanisation durable” d’ici 2030[15].

D’après les données récentes (publiées le 21 septembre 2021) de l’Observatoire de l’artificialisation, la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers s’est élevée à 254 718 hectares entre 2010 et 2020[16]. La loi dispose donc que celle-ci se n’excède pas 127 360 hectares d’ici 2031. À titre illustratif, cet objectif peut être atteint en supposant une diminution annuelle de la consommation d’espaces de 8,4% à l’échelle nationale (fig. 6) ; soit un rythme de baisse deux fois supérieur à celui qui s’observe, en moyenne annuelle, sur la décennie 2010-2020.

Source: auteurs d’après données CEREMA
En l’absence de données pour la période 2020-2021 nous imputons à cette année la consommation de l’année précédente. La projection de la consommation d’espace est établie en supposant une diminution constante d’une année à l’autre de 8.4% de cet indicateur

En revanche, l’article de loi diffère avec l’intention de l’assemblée citoyenne quant aux modalités d’application de cet objectif. Pour en prendre la pleine mesure il faut aussi tenir compte de l’évolution de l’article 194 (ex 49 dans le projet de loi) qui décrit l’intégration de l’objectif dans les documents d’urbanismes. Nous l’avons signalé, le projet de loi prévoyait d’intégrer la trajectoire de réduction du rythme d’artificialisation à l’échelle régionale avec une déclinaison aux échelles inférieures par lien de compatibilité. Cette approche, confirmée par l’Assemblée nationale, a été qualifiée de « centralisatrice » par les rapporteurs du Sénat, soulignant au passage le caractère rigide et uniforme d’objectifs « fixés à une échelle qui apparait trop lointaine pour être opérationnelle et pertinente »[17]. Afin de moduler cette logique descendante, le Sénat a insisté sur le caractère national de l’objectif, et a souhaité confier aux schémas de cohérence territoriale (SCoT) le soin de fixer le niveau d’effort à réaliser en tenant compte d’un certain nombre de spécificités territoriales. Dans le texte promulgué, les SCoT et les schémas régionaux jouent un rôle important dans la déclinaison de l’objectif[18].

Pour finir, l’article précise que l’effort de réduction de l’objectif intermédiaire devra porter sur la “consommation d’espace” et pas “l’artificialisation”. Cette nuance avait été introduite dès le texte du projet de loi. Au cours de la navette, plusieurs amendements ont proposé de revenir sur ce qui s’apparentait, pour leurs auteurs, à une incohérence. Ceux-ci ont systématiquement reçu un avis défavorable des rapporteurs et du gouvernement, et leur ont offert l’occasion de s’en justifier. Jusqu’à la promulgation de cette loi « Climat et Résilience », l’artificialisation des sols n’avait aucune définition légale. Cette définition a été inscrite à l’article 192-2° de la loi, mais elle doit encore être précisée par décret avant d’être totalement opérationnelle. Afin de ne pas être tributaire du délai de mise en œuvre de cette nouvelle définition, le législateur a préféré indexer l’objectif intermédiaire sur une notion déjà en usage. En effet, la consommation d’espace naturel, agricole et forestier est un indicateur utilisé par la statistique agricole depuis de nombreuses années. C’est aussi celui sur lequel s’appuie l’observatoire de l’artificialisation. Par la suite, c’est bien la nouvelle définition de l’artificialisation qui servira de boussole pour le suivi de l’atteinte du ZAN en 2050.

Conclusion

Six ans après l’introduction de l’artificialisation des sols dans ses “nouveaux indicateurs de richesse”, la France fait un nouveau pas vers la consolidation d’une politique publique de lutte contre ce phénomène. La loi “Climat et résilience” comprend ainsi une définition juridique de l’artificialisation[19], un objectif national de réduction de cette dégradation, et propose de nouveaux moyens d’action. Elle inscrit en outre la lutte contre l’artificialisation des sols dans les grands objectifs de l’urbanisme et des documents de planifications. En dépit de quelques imprécisions, la contribution de la CCC à cette avancée aura été déterminante au moins à deux titres. Elle a d’abord permis de mettre cette question à l’agenda parlementaire et d’offrir un débouché aux réflexions du groupe de travail partenarial constitué en juillet 2019 par les ministères de la ville, de l’agriculture et de la transition écologique[20]. D’autre part, et c’est sans doute plus important, elle renforce la légitimité démocratique de cet objectif politique.


[1] Le terme « nette » implique que des mesures de compensation pourront être mise en œuvre.
[2] Cela n’a pas été le cas de toutes les mesures de la Convention citoyenne pour le climat.
[3]LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, JORF du 24 août 2021.
[4] Voir Fosse, J. (2019). Objectif « zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ?
[5] Voir Ministère de la transition écologique. (s.d.). Mesure SL3.1. Suivi de la Convention citoyenne pour le climat.
[6] Blanc, J.B., Loisier A.-C., Redon-Sarrazy C. (2021). Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires économiques sur l’objectif de zéro artificialisation nette à l’épreuve des territoires. Sénat.
[7] Voir : La navette parlementaire. (s.d.). Sénat.
[8] Le droit d’amendement est encadré par la constitution de la 5ème République. Un amendement peut être déclaré “irrecevable” pour des motifs financiers (article 40 de la Constitution) ou des motifs législatifs (article 41 de la Constitution). Voir Assemblée nationale. (s.d.). Fiche de synthèse : L’exercice du droit d’amendement (et annexe) – Rôle et pouvoirs de l’Assemblée nationale.
[9] Lionel Causse (LREM) à l’Assemblée nationale et Jean-Baptiste Blanc (LR) au Sénat.
[10] Voir: Compte rendu de la séance du mercredi 14 avril 2021. (s.d.). Assemblée nationale.
[11] Bien que facultatif, le “sourcing” des amendements est considéré comme une bonne pratique, malheureusement peu répandue. Voir Lisambert, C. (2021, 18 mars). De l’importance du « sourcing » des amendements. Le Monde – Les cuisines de l’Assemblée.
[12] Pheulpin, S. (2021, 18 mars). Lutte contre l’artificialisation : l’Unam plaide pour une approche pragmatique. lemoniteur.fr.
[13] Miguet, L. (2021, 8 mars). « Les restrictions foncières favorisent l’éparpillement », François Rieussec, président de l’Union nationale des aménageurs. lemoniteur.fr
[14] Commission Européenne. (2011, 20 septembre). Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources ; 52011DC0571 – EN – EUR-Lex.
[15] ONU et Ministère de la transition écologique (s.d.). ODD11 – Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables – L’Agenda 2030 en France. L’agenda 2030 en France.
[16] Nous nous appuyons sur la période 2010 – 2020, faute de données de consommation d’espace pour la période 2020 – 2021.
[17] Blanc, J.B., Loisier A.-C., Redon-Sarrazy C. (2021). Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires économiques sur l’objectif de zéro artificialisation nette à l’épreuve des territoires. Sénat. Page 97.
[18] Pour une analyse plus détaillée voir : CEREMA (2021, 2 septembre). La loi du 22 août 2021 intègre les enjeux d’artificialisation des sols dans le SRADDET.
[19] La définition de l’artificialisation a été analysée dans cette revue. Voir Bouteille, A. (2021, 27 septembre). Vers une définition légale de l’artificialisation ? Épilogue provisoire. Fonciers en débat.
[20] Ministère de l’Agriculture (2019, 25 juillet) Plan biodiversité : un groupe de travail pour lutter contre l’artificialisation des sols


Charles Claron est diplômé d’HEC et de l’Université Paris Saclay en économie de l’environnement ; il conduit actuellement un projet de thèse sur la transition écologique du régime foncier, sous la direction d’Olivier Coutard, Harold Levrel et Philippe Billet.

Morgane Gonon est diplômée de l’Institut d’études politiques de Grenoble et de l’Université Paris Dauphine en économie de l’environnement ; elle conduit actuellement un projet de thèse en économie sur la performance écologique de l’APD, sous la direction de Gaël Giraud et d’Harold Levrel. 

Luc Elie est docteur en économie ; il est actuellement post-doctorant au CIRED et travaille sur les conséquences environnementales des inégalités économiques.

Sarah Batellier est titulaire d’un double master en sciences et politiques de l’environnement à Sorbonne Université et Sciences Po Paris. En 2021 elle a réalisé un stage à l’UMS Patrinat sur les sujets de la résilience écologique, de la séquence éviter, réduire, compenser et de l’artificialisation.