L’artificialisation des sols et les émissions de GES

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A la suite de l’article sur « La nécessaire protection des sols pour atteindre la neutralité carbone », cette note apporte des éléments complémentaires sur les flux de carbonne dans les sols.


Une question conceptuelle et de mesure

La question qui est traitée dans cette brève ne concerne pas les stocks de carbone du sol, mais les flux engendrés par l’artificialisation des sols. C’est la question pertinente pour le protocole de Kyoto et pour les Conférence des Parties (COP) qui s’enchaînent chaque année : il s’agit de limiter les émissions nouvelles, jusqu’à les annuler. Il y a un effet induit par ces émissions sur les stocks de CO2 du sol, mais ce n’est pas l’objet de Kyoto et de ses suites.

La réponse tient, une nouvelle fois, à la définition de l’artificialisation.
Dans un sens strict, – celui de sols imperméabilisés par du béton, de l’asphalte ou du bitume- les sols, une fois qu’ils ont été artificialisés, ne sont ni émetteurs ni puits : leur scellement empêche les échanges avec l’air, à l’exception de quelques fuites (parkings partiellement perméables, etc.). Cela ne se traduit pas pour autant par un bilan égal à zéro, en termes d’émission de gaz à effet de serre (GES). En effet, l’imperméabilisation du sol supprime une fonction de séquestration de carbone par le sol, qui existait et qui dépendait de l’état initial de celui-ci[1]. La construction sur des forêts et zones humides est bien moins fréquente que sur des cultures, les prairies occupant une place intermédiaire. Pour fixer un ordre de grandeur, nous raisonnons sur deux hypothèses. Nous supposons, tout d’abord, que 30 000 ha sont annuellement bâtis à partir de cultures. Celles-ci séquestraient 5,4 KteqC02 (kilos tonnes d’équivalent CO2), soit 0,013% du total des 415 MteqCO2 (millions de tonnes d’équivalent CO2) d’émissions annuelles françaises, valeur très proche de zéro[2]. Si, dans une seconde simulation, 20 000 ha sont convertis à partir de cultures et 10 000 ha à partir de prairies, le volume des 30 000 ha artificialisées au total se traduit par la disparition d’un montant de carbone qui jusque-là était séquestré, qui est égal à 0,06% des émissions annuelles françaises, ce qui est également négligeable.

Un sens large de l’artificialisation des sols -qui est celui actuellement en vigueur- inclut des sols végétaux : jardins et pelouses attenants à des immeubles nouvellement bâtis, fossés, remblais, pelouses de réseaux ou voies ferrées qui se construisent, généralement sur des terres agricoles. Ces sols généralement rattachés à des terres nouvellement construites sont des puits à carbone : ils capturent plus de GES que les terres agricoles sur lesquelles ils prennent place. De nombreux travaux le montrent pour les jardins familiaux et toutes les pelouses. Ces sols de l’artificiel-végétal progressent annuellement (bâtiments et réseaux), ce qui assure le maintien du flux de GES capturé par les sols sous-jacents, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’artificialisation nette (ZAN).

Au total, l’artificialisation des sols réduit quelque peu la capture de carbone par les sols qui sont bâtis, mais cet effet sur les émissions est soit négligeable (imperméabilisation) soit plus que compensé par l’artificiel-végétal qui séquestre du carbone.

Au-delà du conceptuel : quels chiffres ?

Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) est une association sans but lucratif chargée par le Gouvernement de produire les données chiffrées qui sont transmises par la France aux Nations-Unies, en application du Protocole de Kyoto. Dans notre compréhension de ces données, il aurait été utile d’avoir un dialogue avec leurs producteurs, mais la réalisation de cette brève ne l’a pas permis (tout complément méthodologique d’un lecteur sera le bienvenu).

C’est d’autant plus vrai que, pour le poste qui nous intéresse ici, l’Utilisation des Terres, le Changement d’Affectation des Terres et la Foresterie (UTCATF), la méthode du CITEPA est approximative. L’émission de GES liée à l’artificialisation des sols, qui est un des postes de l’UTCATF, est d’un niveau trop faible et elle est obtenue avec une méthode imprécise. Pour pallier cette limite, le CITEPA a fait réaliser, avec l’Observatoire de l’environnement en Bretagne (OEB), une étude fine[3].

Artificialisation des sols en Bretagne : 0,1% des émissions bretonnes de GES

La méthodologie n’est guère précisée dans les rapports de l’OEB. En particulier, elle ignore les GES séquestrés par l’artificialisation des sols bretons, brièvement exposés dans la première partie de cette brève. Le rapport aboutit au résultat que le secteur USCATF séquestre en Bretagne 2109 KteqC02 (moyenne des années 2005 à 2015), soit un montant égal à 9 % des émissions régionales. Ce résultat est le solde de 2600 KteqC02 séquestrées par la forêt, diminuées de 232 KteqCO2 émis par l’artificialisation des sols et de 245 KteqC02 émis par d’autres sources. L’artificialisation des sols réduit dont annuellement de 0,115% la séquestration de CO2 dans les sols. Les émissions annuelles régionales de CO2 dans la région sont de 23 400 KteqCO2, sur lesquelles l’artificialisation des sols représente 0,1%.

Conclusion

L’état initial du sol (cultures ou prairies) et le type d’artificialisation (imperméabilisation ou jardins) joue un rôle important sur le bilan séquestration/émission. Mais, qu’il y ait séquestration de CO2 par le sol liée à l’artificiel-végétal, quasi-neutralité liée au sol-imperméable, ou émission nette de 0,1% du total régional, la différence tient presque à l’épaisseur du trait de plume.

Les maux environnementaux qu’on fait porter à l’artificialisation des sols sont déjà nombreux (y compris de la part d’auteurs liés à Fonciers-en-débat) sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter.


[1] Le CITEPA estime à 0,018 tonnes de carbone par hectare (tC/ha) le CO2 capturé par des cultures (0,03 par la biomasse et 0,15 par le sol lui-même), à 5,18 tC/ha (3,64 biomasse et 1,68 sol) par la conversion d’une forêt, les prairies ayant une valeur intermédiaire : 2,02 tC/ha (0,34 biomasse et 1,68 sol).

[2] Par ailleurs, l’opération de construction se traduit par des mouvements du sol (creusement, évacuation de gravats), qui doivent être affectés à la construction elle-même, entreprises et travaux publics. En effet, le CITEPA évalue annuellement des émissions de GES par secteur statistique. Par exemple, retourner le sol au moment d’un labour émet du CO2 qui n’est pas affecté au sol (qui n’est pas un secteur) mais à l’agriculture (qui en est un). Mutatis mutandis, ceci vaut pour les gravats : ils sont imputés au secteur de la construction (i.e. à l’industrie manufacturière), non au sol lui-même.

[3] L’évolution des stocks de carbone liés à l’UTCATF en Bretagne | Observatoire de l’environnement en Bretagne (bretagne-environnement.fr)