CEDH, 7 juillet 2015, Odescalchi et Lante delle Rovere c. Italie
Dans cette affaire, les requérants, propriétaires d’un terrain de près de 10 hectares, dénoncent la situation suivante. En 1971, la ville de Santa Marinella adopte un plan général d’urbanisme qui affecte ledit terrain en parc public avec pour conséquence une interdiction absolue de construire et une expropriation. Le plan fut approuvé par la région en 1975 et un permis d’exproprier est délivré. N’ayant qu’une validité de 5 ans, ce dernier devint caduc en 1980.
Conformément au droit italien de l’urbanisme, ce permis d’exproprier peut être renouvelé ce qui induit un droit à une indemnité indépendamment de celle à valoir lors de l’expropriation proprement dite. Même si le permis n’est pas renouvelé, le terrain est soumis au régime dit des « zones blanches » qui implique le maintien de l’interdiction de construire.
En l’espèce, le permis d’exproprier ne fut pas renouvelé avec pour conséquence l’impossibilité pour les propriétaires d’être indemnisés. Les requérants ont alors mis en demeure puis assigné la ville en vue de l’obtention d’une décision mettant fin à l’incertitude urbanistique. Entretemps, le terrain fut soumis à partir de 2007 à des contraintes paysagères et intégré dans le réseau Natura 2000.
Le tribunal administratif régional ordonna à la ville de prendre une décision quant à l’affectation urbanistique du terrain. À défaut, le tribunal nomma un commissaire ad acta – un fonctionnaire régional – chargé de se substituer à la ville. En 2011, ledit commissaire renouvela le permis d’exproprier, confirma la destination de parc public et demanda à la ville de chiffrer l’indemnité due aux propriétaires. Le renouvellement du permis d’exproprier n’avait toujours pas été approuvé début 2015 de sorte que les requérants ne pouvaient toujours pas être indemnisés et que leur terrain est toujours en zone blanche inconstructible.
Pour la Cour européenne des droits de l’homme, c’est la règle générale de l’article 1er du Protocole n° 1 qui protège le droit de chacun au respect de ses biens qui est en jeu. En effet, il ne s’agit ni d’une expropriation, ni même d’une règlementation de l’usage du bien. Pour la Cour, il est « naturel que, dans un domaine aussi complexe et difficile que l’aménagement du territoire, les États contractants jouissent d’une grande marge d’appréciation pour mener leur politique urbanistique. Elle tient pour établi que l’ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens répondait aux exigences de l’intérêt général ». Mais il faut vérifier « si un juste équilibre a été préservé entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ».
Or, la Cour constate que les requérants sont restés pendant plus de 40 ans dans l’incertitude totale quant au sort de leur propriété : « l’administration n’a pas exproprié pendant la période de validité du permis d’exproprier. Une fois celui-ci expiré en 1980, le terrain pouvait être frappé d’un nouveau permis d’exproprier à tout moment ». La Cour estime en outre « que l’existence d’interdictions de construire pendant toute la période concernée a entravé la pleine jouissance du droit de propriété des requérants et a accentué les répercussions dommageables sur la situation de ceux-ci en affaiblissant considérablement, entre autres, les chances de vendre le terrain ». Elle conclut donc à la violation de l’article 1er du Protocole n° 1.
Il restait à la Cour à déterminer le montant de la satisfaction équitable due aux requérants en application de l’article 41 de la Convention. Aux yeux de la Cour, il y a lieu d’accorder une somme qui tienne compte de l’indisponibilité du terrain à compter de 1975, à savoir depuis l’approbation du plan général d’urbanisme affectant le terrain des requérants et le rendant indisponible. Le point de départ du raisonnement doit être la valeur probable du terrain à cette même époque, et la Cour écarte de ce fait les prétentions des requérants dans la mesure où celles-ci sont fondées sur la valeur actuelle ou actualisée du terrain. Une fois la valeur du terrain en 1975 déterminée, la Cour considère qu’en l’absence d’autres éléments, le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période considérée peut être compensé par le versement d’une somme correspondant à l’intérêt légal pendant toute cette période appliqué sur la contre-valeur du terrain ainsi déterminée, somme qu’elle fixe en équité à 1 000 000 d’euros.