Indemnisation de la dépréciation de la partie non expropriée d’un bien

Quel est le seuil de dépréciation indemnisable pour la partie non expropriée d’un bien ?

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CEDH, 25 juin 2015, Couturon c. France 

Jean Couturon est propriétaire d’une ensemble immobilier comprenant le château de Bach, ses dépendances et, avant expropriation, un terrain de 27 hectares. Le château et certaines dépendances sont classés depuis 1993 à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Fin des années 90, M. Couturon fut exproprié de 88 ares adjacents au portail du château dans le cadre de la construction de l’autoroute A 89 entre le Puy-de-Dôme et la Gironde. Le tribunal de grande instance de Tulle lui octroya environ 18 000 euros au titre d’indemnité d’expropriation remploi compris, mais le débouta de sa demande d’indemnité pour dépréciation du surplus de sa propriété en considérant que l’acquisition foncière proprement dite ne causera aucun dommage, seules les nuisances causées par la proximité de l’autoroute pourraient être à l’origine d’un dommage dont l’indemnisation n’est pas de la compétence du juge de l’expropriation. En appel, dont il fut débouté, il réclamait plus de 230 000 euros d’indemnité en se fondant sur l’estimation par un notaire de la moins-value (- 40 %) résultant de la traversée de l’autoroute. L’autoroute, ouverte en 2003, passe à 250 m du château.

M. Couturon saisit en conséquence le tribunal administratif de Limoges en vue de l’obtention, outre des plus de 230 000 euros précités, d’une rente annuelle de 5 000 euros en réparation du trouble sonore lié à l’utilisation de l’autoroute. La demande de rente fut rejetée mais le tribunal octroya une indemnité équivalente à la moitié de ce M. Couturon réclamait. La cour administrative d’appel de Bordeaux infirma ce jugement au motif que le trouble subi par le requérant n’était pas anormal et n’excédait pas le niveau que, dans l’intérêt général, les propriétaires résidant à proximité d’un tel ouvrage doivent subir. Le pourvoi du requérant devant le Conseil d’État fut rejeté.

C’est la raison pour laquelle M. Couturon allègue devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, la violation de l’article 1er du protocole n° 1 à la Convention qui protège le droit de chacun au respect de ses biens. Pour la Cour, la moins-value est avérée. Elle se réfère à l’estimation du notaire (- 40 %) et au jugement du TA de Limoges (- 20 %) non contredit sur ce point par la CCA de Bordeaux. En toute logique, la Cour estime que c’est la règle générale de l’article 1er qui est en cause – le droit au respect de ses biens – dès lors qu’il n’y a ni privation de propriété, ni limitation de l’usage qui peut en être fait.

La Cour reconnaît la légitimité de l’ingérence des autorités françaises dans le droit de propriété dans le cadre de leur politique d’aménagement du territoire pour laquelle les États ont une marge d’appréciation importante. Sur la question de la proportionnalité de l’ingérence, la Cour rapproche le cas d’espèce d’arrêts qu’elle a rendus à l’encontre de la Grèce dont les juridictions refusaient d’indemniser la dépréciation de la partie non expropriée due à la nature de l’ouvrage ayant nécessité l’expropriation[1]. Elle note cependant que, dans ces affaires, la nature des ouvrages avait directement contribué à la dépréciation substantielle de la valeur des parties restantes.

Dans le cas de M. Couturon, la Cour considère que, certes, la moins-value est avérée (- 20 % ou – 40 %) mais que les effets du voisinage de l’autoroute sur la propriété du requérants sont sans commune mesure avec ceux dont il est question dans les deux affaires grecques. On ne peut donc dire, poursuit la Cour, que le requérant ait à supporter une charge spéciale et exorbitante. Quant au respect des droits procéduraux du requérant, la Cour note que les juridictions françaises ont dûment examiné les arguments de M. Couturon. Celui-ci est donc débouté de sa requête.

[1] CEDH, 24 novembre 2005, Ouzounoglou c. Grèce ; CEDH, 9 février 2006, Athanasiou et crts c. Grèce.