Les conditions de sortie d’un site du réseau natura 2000

par et | 8 Sep 2014 | Jurisprudence européenne

CJUE, 3 avril 2014, C-301/12, Cascina Tre Pini Ss

Premier du genre, l’arrêt rendu ce 3 avril 2014 par la Cour de justice de l’Union européenne est important puisqu’il porte sur la sortie d’un bien du réseau Natura 2000. La société Cascina Tre Pini Ss est propriétaire d’un terrain repris dans le site Natura 2000 « Brughiera del Dosso » à proximité de l’aéroport de Milan-Malpensa. Suite au processus prévu par la directive « habitat » 92/43, le site a été classé définitivement en tant que site d’intérêt communautaire (SIC) en 2005.

L’extension de l’aéroport de Milan-Malpensa a, selon la société Cascina, provoqué une dévastation écologique du site, raison pour laquelle elle a demandé, dès 2005, au gestionnaire du parc naturel de la vallée du Tessin, dans lequel se trouve le site, d’adopter les mesures nécessaires pour empêcher cette dégradation. En l’absence de réponse, la société Cascina a demandé au ministre compétent de déclasser le site qui ne remplissait plus les critères de sélection comme site Natura 2000. Cascina justifiait son intérêt aussi par le fait que les restrictions grevant son terrain l’empêchaient de réaliser des aménagements prévus par ailleurs par le plan d’aménagement de la zone de Malpensa.

Le ministre et la Région de Lombardie se renvoyant la balle, la société Cascina s’est retrouvée devant le Conseil d’État italien qui a posé dix questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. En premier lieu, la Cour examine les questions en lien avec le point de savoir si les autorités compétentes des États membres sont tenues de proposer à la Commission le déclassement d’un site inscrit sur la liste des SIC lorsque ces autorités ont été saisies d’une demande du propriétaire d’un terrain inclus dans ce site alléguant la dégradation environnementale de ce dernier.

Sur le principe du déclassement d’un site Natura 2000, la Cour de justice note que même si la directive 92/43 «habitats» ne prévoit pas spécifiquement de procédure à ce sujet, on peut déduire des articles 9 et 11 que ce déclassement est possible moyennant, sur la base de la règle du parallélisme des procédures, le respect des formalités à suivre pour le classement d’un site.

Pour la Cour, dès l’instant où il apparaît, dans le cadre du suivi opéré par l’État membre en application de l’article 11 de la directive que les critères qui justifient le classement en site Natura 2000 ne peuvent, de manière irrémédiable, plus être respectés, l’État doit nécessairement formuler une proposition d’adaptation de la liste des SIC qui vise à rendre cette dernière de nouveau conforme aux critères.

« Ainsi, lorsqu’un site inscrit sur la liste des SIC n’est définitivement plus en mesure de contribuer à la réalisation des objectifs de la directive 92/43 et que, partant, il n’est plus justifié que ce site reste soumis aux prescriptions de cette directive, l’État membre concerné est tenu de proposer à la Commission le déclassement dudit site. En effet, si cet État s’abstenait de proposer ce déclassement, il pourrait continuer à utiliser vainement des ressources pour la gestion du même site qui s’avéreraient inutiles à la conservation des habitats naturels et des espèces. En outre, le maintien au sein du réseau Natura 2000 de sites qui, définitivement, ne contribuent plus à la réalisation desdits objectifs ne serait pas conforme aux exigences de qualité de ce réseau.» Et la Cour ajoute : « L’obligation qui incombe aux États membres de proposer à la Commission le déclassement d’un site inscrit sur la liste des SIC, devenu irrémédiablement impropre à remplir les objectifs de la directive 92/43, s’impose avec davantage de force lorsque ce site inclut un terrain qui appartient à un propriétaire dont l’exercice du droit de propriété est restreint en raison de cette inscription, alors qu’il n’est plus justifié que ledit site continue à être soumis aux prescriptions de cette directive » [1].

Comme le souligne la Cour, toute dégradation environnementale d’un SIC ne saurait suffire, en soi, à déclencher une procédure de déclassement. En effet, en application notamment de l’article 6, § 2, de la directive « habitats », les autorités compétentes, face à une dégradation d’un site, doivent prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du site. En outre, tout plan, programme ou projet ne peut être adopté ou autorisé que s’il n’est pas susceptible d’avoir des impacts significatifs négatifs sur le site (art. 6, § 3) sauf dérogation aux conditions du § 4.

Il s’ensuit que les autorités nationales compétentes ne sont ainsi tenues de proposer le déclassement d’un site que si, malgré le respect de ces dispositions, ce dernier est devenu irrémédiablement impropre à remplir les objectifs de la directive 92/43, de sorte que son classement comme SIC n’apparaîtrait plus justifié.

Cet arrêt est évidemment important. Il ne constitue en rien un encouragement à ne pas prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde d’un site Natura 2000 dès lors que si la dégradation est due à une négligence des gestionnaires, il conviendra d’y remédier et le déclassement n’est certainement pas un remède.

En revanche, il se peut que la dégradation du site ne soit pas la résultante de négligences dans sa gestion auquel cas, en l’absence de possibilité de sauvegarde du site, son déclassement se justifie. La question va certainement se poser avec les conséquences des changements climatiques que nous connaissons. Certains sites humides, par exemple, pourraient s’assécher ou certains sites d’habitat d’espèces pourraient être désertés par ces dernières, soit autant de raisons possibles de procéder au déclassement du site.

[1]Voyez les conclusions de l’avocat général de Mme Kokot, pt 39, qui estime que tant que le site considéré répond par ses qualités aux conditions ayant permis son classement, les restrictions au droit de propriété sont, en principe, justifiées par l’objectif de protection de l’environnement visé par ladite directive (voir, en ce sens, arrêt Križan e.a., C-416/10, points 113 à 115). Cependant, si ces qualités disparaissent définitivement, le maintien des restrictions à l’usage de ce site pourrait conduire à une violation de ce même droit de propriété.

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