Il ne faut pas chercher ici un traité sur l’aménagement des voies du type de ceux produits par des organismes comme le CEREMA. Ce livre parle peu de rues partagées, de pistes cyclables ou de couloir de bus. Le rôle des rues dans la division foncière et dans les lotissements est aussi peu abordé. L’aménagement des voies est ici abordé du point de vue de l’architecture. Ce livre le montre, le sujet est vaste. Balayant le temps long, de l’Antiquité romaine jusqu’à la fin du XXè siècle, le livre constitue une véritable somme, soutenue par une riche iconographie.
Ce livre permet de saisir la complexité de l’architecture des routes et des rues, bien au-delà des seules questions d’ingénierie du trafic. Éric Alonzo identifie ainsi trois « paradigmes » : l’édifié, le jardin et le flux. Le propos consacré à l’édifié, c’est-à-dire au traitement de la voie comme monument, est en large part dédié à la voie romaine. Mais Éric Alonzo montre comment la pratique du corps naissant des ingénieurs des Ponts et Chaussées s’est également inscrite dans ce registre.
Pour l’approche par le jardin, les inspirations et les modèles sont à chercher du côté de la desserte viaire des parcs et jardins. Éric Alonzo montre notamment comment le modèle de la parkway, et celui des allées de desserte des ensembles pavillonnaires suburbains s’inscrivent dans ce registre. On notera à ce propos que l’importance du paysagisme et des paysagistes dans la conception des espaces publics et notamment des routes n’est pas chose nouvelle.
L’approche par les flux vise enfin à concevoir la voie en fonction des besoins circulatoires. Et on note à quel point les modèles dont on associe l’émergence au développement de la circulation automobile sont en place bien avant le XXè siècle. Par ailleurs, les architectes et les paysagistes qui ont réfléchi à partir de la problématique des flux circulatoires ont joué un rôle majeur dans l’élaboration de dispositifs nouveaux adaptés à l’intensification et à la diversification des flux. L’exposé des apports d’Eugène Hénard et de Raymond Unwin le montre clairement : l’ingénieur n’a pas été le maître incontesté de la mise en place des modèles de référence pour la gestion des flux circulatoires.
La dernière partie est consacrée à l’automobile et cherche à déterminer si l’avènement de l’automobile a été accompagné de l’émergence d’un nouveau « paradigme » en matière d’architecture des voies. Pour Éric Alonzo, l’automobile a certes rebattu les cartes, mais en matière d’architecture, il n’y a guère de changements radicaux. D’un point de vue architectural, loin des ruptures clamées par les chantres de la modernité, l’avènement de l’automobile n’a conduit qu’à la reformulation d’un ensemble de savoirs et de modes de faire déjà établis.
Cette thèse, forte, néglige sans doute le fait que, par les distances parcourues et par sa vitesse, la voiture accentue les logiques de spécialisation des voies et appelle l’articulation des voies différentes dans un réseau. Sur ce terrain, Éric Alonzo aurait pu accorder un peu plus d’intérêt aux travaux d’un autre architecte qui s’intéresse aux routes et aux rues, avec un point de vue plus ouvert aux sciences de l’ingénieur et aux questions foncières, Antoine Brès, dont le nom ne figure malheureusement pas dans l’index. Il ne s’agit pas ici de jouer au jeu des trous dans la bibliographie, mais de souligner un parti pris qui écarte les travaux des urbanistes sur l’articulation de la circulation automobile avec les autres usages de la rue. Mais, selon la formule consacrée, cela n’enlève rien à l’intérêt de l’ouvrage.