La notion d’accord visant à restreindre la concurrence

par et | 15 Jan 2016 | Jurisprudence européenne

CJUE, 26 novembre 2015, C-345/14, SIA Maxima Latvija c. Konkurences padome

L’ arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne répond à des questions préjudicielles posées par la Cour suprême de Lettonie dans le cadre d’un litige opposant la SIA Maxima Latvija au Conseil de la concurrence de Lettonie au sujet d’une amende infligée par celui-ci à la SIA Maxima Latvija pour avoir conclu une série de baux commerciaux avec des centres commerciaux, baux qui contiennent une clause ayant un objet anticoncurrentiel.

La SIA Maxima Latvija, acteur letton du secteur de commerce de détail à dominante alimentaire, exploite des magasins à grande surface. Cette société a conclu une série – 119 – de contrats de bail commercial avec des centres commerciaux situés en Lettonie, portant sur la location d’espaces commerciaux dans ces centres. Après analyse, le Conseil de la concurrence a constaté que 12 d’entre eux contenaient une clause accordant à SIA Maxima Latvija, en sa qualité de « locataire de référence », le droit de consentir à la location par le bailleur à des tiers des espaces commerciaux non loués à Maxima Latvija. Le « locataire de référence » est la grande surface offrant des biens de consommation courante qui, au sein d’un centre commercial, occupent habituellement la plus grande partie ou une partie essentielle de la superficie de ce centre.

Le Conseil de la concurrence a donc estimé que les contrats qui octroyaient un droit de véto à Maxima Latvija constituaient des accords verticaux ayant pour objet d’entraver, de limiter ou de fausser la concurrence sans qu’il soit nécessaire de démontrer les éventuels effets sur la concurrence. Il a en conséquence infligé une amende à Maxima Latvija de plus de 35 000 euros.

La cour administrative d’appel ayant rejeté le recours de Maxima Latvija, cette dernière s’est pourvue en cassation devant la Cour suprême qui, avant de rendre sa décision, a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne pour savoir si les clauses litigieuses pouvaient être qualifiées d’accords ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

L’article 101, paragraphe 1, énonce que « sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur (…) ». Conformément à sa jurisprudence, la Cour de justice de l’Union européenne examine, en premier lieu, si l’objet de l’accord est d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. En effet, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence. Si l’analyse de la teneur de l’accord ne révélait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait alors d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible. La notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière restrictive. Cela implique que le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord comporte une restriction de concurrence « par objet » réside donc dans la constatation qu’un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, pour considérer qu’il n’y a pas lieu d’en rechercher les effets.

En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que Maxima Latvija n’est pas en situation de concurrence avec les centres commerciaux avec lesquels elle a conclu les contrats en cause au principal. Si la Cour a déjà jugé qu’une circonstance de cette nature ne fait nullement obstacle à ce qu’un accord puisse contenir une restriction de la concurrence « par objet », il y a toutefois lieu de constater que les accords en cause au principal ne comptent pas parmi les accords dont il est acquis qu’ils peuvent être considérés, par leur nature même, comme étant nuisibles au bon fonctionnement de la concurrence.

En effet, pour la Cour, compte tenu du contexte économique dans lequel les accords concernés doivent être appliqués et des éléments qui lui ont été communiqués, « quand bien même la clause en cause au principal aurait potentiellement pour effet de restreindre l’accès des concurrents de Maxima Latvija à certains des centres commerciaux dans lesquels cette société exploite une grande surface, une telle circonstance, à la supposer établie, n’implique pas de manière manifeste que les contrats contenant cette clause empêchent, restreignent ou faussent, par la nature même de cette dernière, le jeu de la concurrence sur le marché de référence, à savoir le marché local du commerce de détail alimentaire. »

La Cour répond donc à la première question que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la seule circonstance qu’un contrat de bail commercial portant sur la location d’une grande surface située dans un centre commercial contient une clause octroyant au preneur le droit de s’opposer à la location par le bailleur, dans ce centre, d’espaces commerciaux à d’autres locataires n’implique pas que ce contrat a pour objet de restreindre la concurrence au sens de cette disposition. Dès lors que le type de contrat incriminé n’a pas juridiquement un objet anticoncurrentiel, il reste à voir dans quelle mesure il a ou pourrait avoir un effet anticoncurrentiel. À cet égard, la Cour estime que l’appréciation des effets d’un accord sur la concurrence implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence.

En l’espèce, l’appréciation de l’incidence des contrats en cause sur la concurrence implique, en premier lieu, de prendre en compte l’ensemble des éléments qui déterminent l’accès au marché de référence, aux fins d’apprécier si, dans les zones de chalandise où se situent les centres commerciaux couverts par ces contrats, il existe des possibilités réelles et concrètes pour un concurrent de s’y implanter, notamment grâce à l’occupation d’espaces commerciaux situés dans d’autres centres commerciaux implantés sur ces zones ou par l’occupation d’autres espaces commerciaux en dehors des centres commerciaux. À cette fin, il y a lieu notamment de prendre en considération la disponibilité et l’accessibilité du foncier commercial dans les zones de chalandise concernées, ainsi que l’existence de barrières économiques, administratives ou réglementaires s’opposant à l’entrée de nouveaux concurrents sur ces zones.

En second lieu, dit la Cour, il convient d’apprécier les conditions dans lesquelles s’accomplit le jeu de la concurrence sur le marché de référence. Il importe, à cet égard, de connaître non seulement le nombre et la taille des opérateurs présents sur ce marché, mais également le degré de concentration dudit marché, la fidélité des consommateurs aux enseignes existantes et les habitudes de consommation. Et de poursuivre : « Ce n’est que si, au terme d’une analyse approfondie du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrivent les contrats en cause au principal, ainsi que des spécificités du marché de référence, il est constaté que l’accès à ce marché est rendu difficile par l’ensemble des contrats similaires relevés sur le marché, qu’il conviendra ensuite d’analyser dans quelle mesure ceux-ci contribuent à un éventuel cloisonnement de ce marché, étant entendu que ne sont interdits que les accords qui contribuent de manière significative à ce cloisonnement. L’importance de la contribution de chacun des contrats en cause au principal à cet effet de blocage cumulatif dépend de la position des parties contractantes sur le marché en cause et de la durée des contrats. »

Cet arrêt est important dans la mesure où, même si en tant que tel, la Cour ne valide pas ce type de clause dans les contrats de baux commerciaux au sein de centres commerciaux, concrètement, elle souligne les conditions strictes dans lesquelles de tels accords seraient contraires à l’article 101, paragraphe 1, du TFUE. Ce qui revient à considérer que dans de nombreux cas, ce type de clause sera valide.

Dans la même catégorie :

Les plans d’urbanisme et le commerce

CJUE, 30 janvier 2018, C-360/15 et C-31/16, commune d’Amersfoort et Visser L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne porte en fait sur deux affaires qui ont été jointes en raison, semble-t-il, de ce qu’elles portent toutes les deux sur...

Les incertitudes urbanistiques indemnisables

CEDH, 7 juillet 2015, Odescalchi et Lante delle Rovere c. Italie Dans cette affaire, les requérants, propriétaires d’un terrain de près de 10 hectares, dénoncent la situation suivante. En 1971, la ville de Santa Marinella adopte un plan général d’urbanisme qui affecte...