Justification de la consommation foncière dans les documents d’urbanisme : analyse démographique et posture du juge administratif

par et | 28 Mai 2025 | Autres Articles

Lisa BOURDON, juriste spécialisée en droit de l’environnement et de l’urbanisme a effectué un stage[1] au Cerema entre avril et septembre 2024. Son encadrement a été réalisé par David-Marie VAILHÉ, chef de projets stratégies territoriales et foncières au Cerema (Direction Territoires et Ville). Ensemble, ils ont contribué aux travaux de l’établissement sur les sujets fonciers et de planification stratégique. Le mémoire de stage produit par Lisa Bourdon a été primé par le Groupement de Recherche sur les Institutions et le Droit de l’Aménagement, de l’Urbanisme et de l’Habitat (GRIDAUH) le 17 décembre 2024.
Cet article a pour but de rendre compte du mémoire et du croisement des sujets en matière de données démographiques, calibrage foncier du projet de territoire, justification du document d’urbanisme… tout en y intégrant le rôle et la place du juge administratif.

Documents d’urbanisme et prévisions démographiques : un enjeu clé pour la maîtrise du foncier

L’artificialisation se poursuit à un rythme quatre fois plus important que celui de la croissance démographique en France[2]. Si l’on considère que la croissance démographique justifie une politique urbaine dynamique en matière de construction de logements, comment expliquer que l’artificialisation des sols progresse à un tel rythme ? Considérant que depuis 2019, 20 000 hectares environ sont artificialisés chaque année[3] cette tendance interroge les véritables moteurs de consommation foncière. Il est possible de constater qu’encore récemment, la planification urbaine s’est organisée selon des données et une analyse démographique parfois disproportionnées voire obsolètes ou erronées, sans incidence juridique majeure.

Depuis 2021, à la suite de nombreux contentieux, plusieurs documents d’urbanisme ont été annulés dès lors que le juge administratif a considéré que leurs auteurs justifiaient l’aménagement de leur territoire par une analyse de données démographiques insuffisantes, incohérentes voire fausses. Ce fut notamment le cas du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal et de l’Habitat (PLUI-H) de Toulouse Métropole[4], dont il ressort une grande vigilance du juge administratif sur la question de l’analyse de la consommation des espaces naturels agricoles et forestiers (ENAF) et de la justification des objectifs de modération de cette consommation dans le projet d’aménagement et de développement durables (PADD).

Le rôle du juge administratif dans ce contexte est crucial. Une augmentation de l’annulation de documents d’urbanisme se fonde plus régulièrement sur des prévisions démographiques jugées insuffisamment justifiées ou obsolètes. Le juge exige alors des collectivités locales qu’elles justifient clairement les choix effectués en matière d’aménagement, notamment en ce qui concerne les besoins en foncier en lien avec les prévisions démographiques. La récence et la fiabilité des données démographiques utilisées dans ces documents deviennent alors des critères déterminants pour la légalité du document d’urbanisme.

Lors de l’élaboration, la modification ou la révision des documents d’urbanisme tels que les PLU(i), SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) ou SRADDET (Schéma Régional d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires), il est question pour les territoires de répondre aux besoins « réels »[5] des habitants que ce soit en habitations, en commerces ou encore en services. Cette détermination des besoins ne possède pas de méthode type, cependant toutes les collectivités doivent y procéder. De plus, pour ce faire, les collectivités territoriales doivent désormais intégrer les objectifs de sobriété foncière ou plus particulièrement de lutte contre l’artificialisation des sols portés par la loi climat et résilience de 2021. Lorsque l’on parle de « données démographiques », on fait spécifiquement référence aux informations collectées et analysées pour étudier les caractéristiques d’une population. Ces données sont exclusivement fournies par l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) suite aux recensements de la population et par les services ministériels. Ces recensements ont lieu chaque année pour les communes de plus de 10 000 habitants[6]. Autrefois perçues comme de simples outils techniques, il est important de rappeler que les données démographiques s’imposent comme des éléments stratégiques de l’élaboration des documents d’urbanisme. Elles font désormais l’objet d’un contrôle particulier par le juge administratif dans ce contexte où la sobriété foncière est devenue une exigence renforcée.

L’analyse des données démographiques est essentielle à l’évaluation des besoins en logements, des infrastructures et des équipements. Elle est portée par le diagnostic effectué par les documents d’urbanisme et permet aux collectivités territoriales de produire leurs projections démographiques. Ces dernières justifieront les choix en matière d’aménagement dans les autres composantes des documents d’urbanisme. Ainsi, il apparaît évident que l’utilisation de données obsolètes, erronées ou en inadéquation avec les « besoins réels » du territoire, peut avoir des conséquences importantes telle qu’une surconsommation d’espaces ce qui entre en contradiction avec les objectifs de sobriété foncière fixés par la loi Climat et Résilience.

Les principales conclusions du mémoire ont mené à déterminer la précision des perspectives et des prospectives démographiques comme un critère clé de légalité du document d’urbanisme dès lors que :

  • l’équilibre entre le développement urbain et la gestion économe des ENAF – qui est un des principes généraux du droit de l’urbanisme[7] – est respecté par les documents d’urbanisme;
  • le rapport de présentation est suffisant[8];
  • une cohérence entre les documents composants le document d’urbanisme est établi.

Existe-t-il une méthode ?

Passer d’une donnée brute à une justification des aménagements prévus sur un territoire concerné se réalise dans un cadre relativement souple. La loi ne prévoit pas de méthode spécifique concernant l’analyse des données démographiques, laissant aux collectivités une certaine liberté dans leur interprétation et leur intégration de ces données dans les documents d’urbanisme (PLU, PLUi, SCoT).
Cette absence de cadre méthodologique peut parfois conduire à des divergences entre les projections démographiques et la réalité du terrain. Il est essentiel que les données utilisées soient à jour et reflètent fidèlement la situation locale[9].

Cette évolution de la situation implique de trouver des réponses à cette « équation complexe »[10] visant à concilier les besoins en logement et la sobriété foncière. Bien que les documents d’urbanisme tendent aujourd’hui à refléter une certaine innovation face aux nouveaux enjeux et objectifs émergents, historiquement, le modèle d’aménagement reste encore majoritairement axé sur la construction neuve et en extension, en réponse aux projections démographiques.
Dans un contexte où l’artificialisation des sols progresse bien plus rapidement que la population, il est demandé aux collectivités territoriales de concilier la réponse aux besoins locaux avec les objectifs de sobriété foncière portés par le ZAN. Une évolution majeure est alors constatée ces dernières années quant à la posture du juge administratif vis-à-vis des collectivités, au moment de son contrôle de leur justification de leur document de planification et des perspectives foncières associées. Le rôle accru du juge administratif dans la chaîne de la planification s’illustre plus particulièrement à travers son interprétation de l’analyse démographique réalisée par les collectivités, afin d’établir notamment les « besoins réels » aussi bien en logements qu’en foncier.

Les effets d’une prévision démographique altérée sur la consommation foncière et la planification territoriale : une atteinte à la légalité du document d’urbanisme.

La donnée démographique est devenue un enjeu stratégique dans la planification territoriale, en raison de son influence directe sur la consommation des sols et les politiques de renouvellement urbain. Le Code de l’urbanisme prévoit que le diagnostic du PLU(i) s’effectue “au regard des prévisions économiques et démographiques et des besoins répertoriés en matière de développement économique, de surfaces et de développement agricoles, de développement forestier, d’aménagement de l’espace, d’environnement, notamment en matière de biodiversité, d’équilibre social de l’habitat, de transports, de commerce, d’équipements notamment sportifs, et de services[11].  Ainsi, la donnée démographique joue un rôle essentiel dans l’élaboration, la modification ou la révision des documents d’urbanisme, à travers les prévisions qui en sont tirées. Toutefois, le Code de l’urbanisme ne précise ni la source de ces prévisions ni la méthodologie à adopter pour leur élaboration.

Ce rôle est amplifié par l’évolution de la posture du juge administratif, qui impose une grande rigueur dans l’utilisation, l’actualisation et la justification des données démographiques dans les diagnostics territoriaux. Cette évolution traduit une volonté d’adapter la planification aux nouveaux impératifs codifiés par le législateur en matière de sobriété foncière. L’annulation de documents d’urbanisme fondés sur des données obsolètes ou inadaptées illustre la manière dont le juge administratif encadre désormais strictement l’utilisation de ces données.

Exemple de l’annulation du PLUi de Questembert Communauté

Dans l’affaire du PLUi de Questembert Communauté[12], la Cour administrative d’appel de Nantes, a annulé un document d’urbanisme au moyen de l’utilisation de données obsolètes par ses auteurs.
En effet, le diagnostic démographique sur lequel s’appuyait le rapport de présentation avait été établi principalement sur des données arrêtées en 2012, soit plus de 6 ans avant la date d’approbation du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), et faisait état d’une croissance démographique significative de +2,06% par an entre 2007 et 2012, alors que la commission d’enquête du PLUi avait souligné qu’entre 2012 et 2019, la croissance démographique de Questembert communauté ”s’était significativement réduite pour s’établir à environ 1 % par an, représentant 1 447 habitants sur une période de 7 ans“. Compte tenu d’éléments faussés, la communauté de communes Questembert communauté s’était fixé pour objectif, à échéance de 10 ans, de limiter l’accueil à 5 000 nouveaux habitants, portant ainsi la population totale à 29 000 habitants soit une croissance annuelle de 1,7 %.
La croissance projetée avait conduit à une estimation des besoins fonciers injustifiée puisque la commune avait la possibilité d’utiliser un autre référentiel pour établir ses projections démographiques. Le juge administratif établit dès lors que « Questembert communauté avait connaissance des évolutions démographiques récentes qui donnaient à l’objectif de croissance démographique retenu pour le territoire à l’échéance 2029 un caractère disproportionné » et qu’ « elle ne pouvait poursuivre l’élaboration de son PLUi sans en tenir compte au sein de son rapport de présentation qui vise, aux termes de l’article L. 151-4 précité, à expliquer et justifier les choix retenus pour établir le projet d’aménagement et de développement durables, les orientations d’aménagement et de programmation ainsi que le règlement.” Il conclut que “les insuffisances du rapport de présentation du plan local d’urbanisme intercommunal entachent d’illégalité la délibération contestée. ».

Cette décision démontre notamment deux points :

  • si les prévisions démographiques n’avaient pas été disproportionnées ou encore qu’elles avaient été justifiées elles auraient permis de sécuriser le projet de la collectivité ;
  • si une mauvaise prise en compte des dynamiques démographiques locales est réalisée cela peut affecter la validité d’un document stratégique.

Exemple de l’annulation du ScoT de l’Agglomération Thionvilloise 

 De manière similaire, dans l’affaire du SCoT de l’agglomération Thionvilloise, le juge administratif a annulé un document fondé sur des projections démographiques irréalistes[13]. Ce SCoT prévoyait une croissance de population de 20 % en 20 ans, soit 51 145 habitants, alors que les tendances réelles montraient un ralentissement démographique.
Le tribunal administratif indique dans un premier temps que : « Si les auteurs du schéma précisent que cet objectif volontariste tient compte des tendances nouvelles constatées depuis 2014, qu’ils ne détaillent toutefois pas, il ressort des pièces du dossier, et il n’est pas contesté, que les données disponibles de l’INSEE, pour la période s’étendant de 2013 à 2018, démontrent une tendance au ralentissement de la croissance démographique, pour une croissance annuelle moyenne, pour l’ensemble du territoire, de 0,40 %. Quand bien même ces données seraient moins exhaustives que celles issues du recensement général de la population, quant à la structuration de la population, elles confirment la tendance précédemment observée de ralentissement de la croissance. Plusieurs personnes publiques associées, dont la mission régionale d’autorité environnementale et le préfet de la Moselle, ont d’ailleurs émis des réserves sur ces projections de croissance démographique et leurs justifications, insuffisantes ». Ainsi, le juge administratif utilise ici les données de l’INSEE pour confirmer la situation de ralentissement démographique de la commune.

Le tribunal administratif affirme en dernier lieu qu’ « il ne ressort ainsi pas des pièces du dossier que cet objectif démographique ambitieux, entraînant une augmentation de la population de 51 145 habitants, parmi lesquels 36 500 nouveaux habitants, aux termes du document d’orientations et d’objectifs, et générant de la consommation foncière, serait fondé sur une analyse suffisante des données disponibles. [L’association requérante] est donc fondée à soutenir que le rapport de présentation est entaché d’insuffisance sur ce point. ». Ces prévisions erronées avaient conduit à planifier l’artificialisation de 744 hectares pour la construction de 28 738 logements, un chiffre considéré par le juge comme bien au-delà des besoins réels du territoire. Il a notamment souligné que les projections avancées, qualifiées de « volontaristes », reposaient sur une méthodologie floue et insuffisamment justifiée.
Cette annulation illustre l’importance de données démographiques fiables et contextualisées pour éviter des erreurs manifestes d’appréciation, notamment en matière de consommation foncière et d’aménagement durable.

Ces décisions mettent en évidence le rôle croissant des données démographiques dans la planification territoriale pour déterminer les capacités foncières mobilisables. La donnée démographique n’est plus seulement un outil de projection pour estimer les besoins futurs, mais peut devenir un levier fort de régulation pour orienter les politiques foncières vers des pratiques plus durables. C’est pourquoi, dans un contexte où les objectifs du ZAN visent à limiter l’artificialisation des sols en favorisant le renouvellement urbain et en réduisant les surfaces nouvellement urbanisées, les documents d’urbanisme doivent intégrer des données récentes, fiables et adaptées aux spécificités locales. Cela implique d’élaborer des diagnostics territoriaux fondés sur des prévisions démographiques rigoureuses, qui tiennent compte des dynamiques locales, mais aussi des marges d’incertitude inhérentes à ces projections.

L’évolution de la posture du juge administratif montre également que la donnée démographique devient un critère central pour évaluer la légalité et la pertinence des choix d’aménagement. Les juridictions administratives, en annulant des documents d’urbanisme reposant sur des données obsolètes ou erronées, posent des exigences strictes en matière de justification des diagnostics territoriaux. Par ailleurs, le juge administratif exige une cohérence entre les données démographiques mobilisées et les objectifs de sobriété foncière. Cette évolution de la jurisprudence reflète une volonté de renforcer la gouvernance territoriale en privilégiant des stratégies fondées sur des données objectives et actuelles.

Ainsi, la donnée démographique, en tant qu’élément clé des documents d’urbanisme, redéfinit la mobilisation du foncier en favorisant une planification plus sobre et plus adaptée aux réalités locales. Elle interroge également la posture du juge administratif dès lors qu’il intervient sur la qualification de la fiabilité de ces données. Il attend par conséquent une rigueur accrue dans l’élaboration des diagnostics territoriaux et dans la justification des choix d’aménagement. Le juge a pour mission d’analyser comment les collectivités recentrent les stratégies foncières vers une meilleure adéquation entre les politiques publiques et les besoins réels des territoires. Cette évolution, bien que pouvant être perçue comme contraignante pour certaines collectivités, ouvre la voie à une planification territoriale plus responsable et mieux alignée sur les enjeux environnementaux et sociaux contemporains.

Schéma n°1 – Lisa Bourdon / David-Marie Vailhé

Le juge administratif garant de la réalité des besoins en logement et foncier dans les documents d’urbanisme.

Dans le cadre des objectifs fixés par la loi Climat et Résilience, et en réponse aux besoins en logement, le renouvellement urbain et la résorption de la vacance immobilière se présentent comme des leviers incontournables. Toutefois, le modèle dominant des collectivités territoriales demeure tourné vers des volontés d’aménagement favorisant l’extension des espaces urbanisés, négligeant in fine une gestion plus rationnelle et optimisée du foncier déjà artificialisé.

Le Code de l’urbanisme encadre le contenu du rapport de présentation du PLU(i) de telle sorte que ce document doit exposer les mesures favorisant la densification des espaces urbanisés tout en limitant la consommation des ENAF[14]. L’article R.151-1 précise ainsi que ce rapport analyse « 2° (…) les capacités de densification et de mutation de l’ensemble des espaces bâtis identifiés par le rapport de présentation ».

Au regard de ces intentions, le juge administratif a procédé à l’annulation de plusieurs PLU(i) et SCoT présentant une analyse démographique et une justification des capacités du potentiel de densification et de renouvellement urbain insuffisantes. Une lacune compromettant la satisfaction des besoins « réels » en logements dans les communes concernées. La notion de « besoins réels », préservant une acception large, a été introduite par le juge administratif dans sa jurisprudence du 5 avril 2022 annulant le PLU de Fouesnant[15]

Bien que le juge administratif soit intervenu ces dernières années pour trancher sur ce qui constitue un « besoin réel » en matière de besoins en logement, ce sont d’abord les collectivités territoriales qui assument la responsabilité première de cette définition dans les documents d’urbanisme. Néanmoins, certaines collectivités persistent à s’appuyer sur des modèles d’aménagement anciens et peu économes en foncier. De même, elles recourent à des données démographiques ou économiques parfois biaisées pour justifier des besoins qui, en réalité, n’en sont pas, mais reflètent plutôt des craintes quant à l’avenir de leur territoire. Quant au juge administratif il privilégie une approche s’appuyant sur un ensemble de données et d’analyses afin de rendre une décision éclairée et conforme à la réalité du terrain.

Exemple du PLUi de Bitche 

Un jugement rendu par le tribunal administratif de Strasbourg le 21 octobre 2021[16], donnant lieu à l’annulation partielle du PLUi de Bitche (en sa partie Est), illustre cette problématique. Le tribunal annule au motif que les auteurs du PLUi ont méconnu le principe d’équilibre (L.101-2) qui consiste à concilier plusieurs objectifs d’urbanisme, parmi lesquels, entre autres, l’équilibre des populations résidant dans les zones urbaines et rurales, l’utilisation économe des espaces naturels et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières en estimant que la création de nouveaux espaces urbanisables n’était ni justifiée, ni nécessaire, et qu’elle allait à l’encontre des objectifs de maîtrise de l’étalement urbain et de gestion économe des sols.
Le tribunal administratif conclut que : « Les prévisions de croissance des auteurs du plan local d’urbanisme intercommunal, estimées à 0,35 % par an, apparaissent surévaluées, quand bien même il serait espéré une « vitalité démographique », notamment en se fondant sur l’attractivité économique de l’Allemagne. » Le tribunal a également considéré que les auteurs du PLUi « n’avaient pas suffisamment analysé le potentiel de mutation du bâti existant et ont exclu, à tort, de ces projections la totalité des logements vacants depuis plus de cinq ans, représentent 454 logements, circonstance susceptible de contrarier l’objectif de densification des enveloppes bâties et de surévaluer les besoins en extension urbaine. »

Cette décision démontre trois points :

  • On constate une décision forte concernant la surévaluation des besoins en logement et la consommation foncière excessive projetée par la commune.
  • L’importance d’une modulation des besoins en logement, qui s’effectue au regard de la réalité démographique et du potentiel des espaces existants, avant de se tourner vers une analyse économique qui mène à l’artificialisation des sols.
  • Mais également, une fois les besoins réels identifiés, il devient crucial de concentrer les efforts sur l’optimisation des ressources déjà existantes, et notamment les logements vacants et les espaces en mutation, tout en recherchant le potentiel de densification des zones déjà bâties.

Exemple du PLU de Cateau-Cambrésis

Un jugement rendu par le Tribunal administratif de Lille le 13 juin 2024[17] met en lumière un manquement similaire. En l’espèce, la commune du Cateau-Cambrésis connaît un déclin démographique qui « n’est pas ponctuel mais relève d’une situation généralisée aux communes d’envergure plus ou moins similaire situées dans le même secteur géographique. », Pourtant, les prévisions démographiques de cette même commune étaient établies sur une croissance de l’ordre de 6 % à échéance 2035. Dès lors, le tribunal administratif considère que « les prévisions démographiques sur lesquelles se fonde le PLU ne sont pas cohérentes avec le diagnostic démographique inclus dans le rapport de présentation. » Cette projection optimiste ne s’appuyait pas sur les tendances réelles observées dans le diagnostic démographique. L’impact de cette projection a conduit à la délimitation de zones d’urbanisation future, telles qu’une zone 1AU, et à la définition d’une OAP qui ne correspondaient pas aux besoins réels de la commune.

À partir de ces prévisions démographiques, la commune avait déterminé que sa politique d’urbanisme devait permettre la construction de 251 logements nouveaux d’ici 2035. Or, le taux de logements vacants sur le territoire, qui s’élevait à 13,68 % en 2017, était largement supérieur à la moyenne nationale et en constante augmentation depuis 1999. C’est pourquoi le tribunal a considéré que : « Même si la commune du Cateau-Cambrésis s’est donnée pour objectif d’abaisser la part de logements vacants à 8 % d’ici 2035, cet effort ne consiste à remettre sur le marché que 151 logements vacants selon le rapport de présentation, soit moins d’un tiers de ceux actuellement recensés. Dans ces conditions, et alors que la commune du Cateau-Cambrésis a choisi d’inscrire dans son PLU 9,6 hectares en zones à urbaniser dédiées à l’habitat en dépit d’une dynamique démographique défavorable et d’un taux de logements vacants extrêmement élevé, l’objectif retenu en matière de création de logements est manifestement exagéré. »

Une fois le besoin identifié, il convient de s’interroger sur la capacité du territoire à y répondre. Dans ce contexte, il devient impératif pour les collectivités territoriales de s’interroger sur les stratégies visant à réhabiliter et à transformer les espaces existants, qu’ils soient bâtis ou non bâtis[18]. Il est important de rappeler que même si le juge a pu être amené à déterminer les besoins de certaines communes, ce n’est pas son rôle premier et les décisions reviennent aux collectivités d’élaborer leur projet stratégique et territorial.

Pour exemple, la réhabilitation des friches[19] demeure un moyen pour l’atteinte des objectifs de sobriété foncière. Ce potentiel se doit d’être intégré lors de la production du document d’urbanisme (SCoT, PLU(i)) et la définition du projet de territoire. Les stratégies d’aménagement évoluent avec de nouvelles priorités, nécessitant préalablement une bonne connaissance des espaces mobilisables pour muter, afin de déterminer la faisabilité capacitaire en matière de projets économiques, résidentiels voire d’équipements publics. Ce genre de démarche et d’intégration dans les documents d’urbanisme illustre la manière dont une gestion stratégique du foncier peut contribuer à une planification territoriale plus sobre, plus adaptée aux enjeux locaux et plus respectueuse de l’environnement.


Le Programme Local de l’Habitat
A noter que les collectivités territoriales peuvent accompagner par ailleurs leurs stratégies locales par le recours à la programmation de l’habitat via les Programmes Locaux de l’Habitat (PLH) qui permettent la mise en place d’un plan d’action, chiffré et évalué dans le temps. Selon l’article L. 302-1 du Code de la construction et de l’habitation, le PLH « définit les objectifs et les orientations générales de l’habitat sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale, en tenant compte des besoins en logement et de la situation du parc existant ». Toutefois, comme précisé par l’article L. 302-2, « le PLH doit être compatible avec les documents d’urbanisme, notamment le PLU ». Par ailleurs, l’article L. 302-4 dispose que le PLH « doit être mis en œuvre dans une logique d’anticipation de l’évolution démographique et des besoins de logement, en prévoyant des réponses adaptées aux différentes catégories de population ». De plus, l’article L. 301-2 précise que le PLH « doit être établi en fonction de l’évolution démographique prévisionnelle et de l’évolution de la demande de logement dans le département », insistant sur l’importance d’une programmation qui, tout en restant compatible avec le PLU, tienne compte des évolutions démographiques à venir et réponde aux besoins d’habitat. Il convient de souligner que cette programmation, bien qu’essentielle pour orienter les choix en matière d’habitat, n’a pas de caractère opposable.


Conclusion : Une planification territoriale à réinventer

Alors que  la gestion du foncier est au centre des préoccupations du législateur, les prévisions démographiques apparaissent comme un outil indispensable mais exigeant dans leur usage. En effet, pour permettre de calibrer au plus précis les projets de territoires, les capacités d’accueil et in fine les besoins (notamment fonciers), les données démographiques s’avèrent être une matière complexe. Loin d’être de simples supports techniques, elles structurent jusqu’à la légalité des documents d’urbanisme et conditionnent leur mise en œuvre. Dans un cadre législatif en pleine mutation, les collectivités doivent également s’adapter à des attentes renforcées de la part du juge administratif. Cette évolution constitue une opportunité pour repenser la planification territoriale et construire un modèle d’aménagement durable, en adéquation avec les besoins réels des populations et les impératifs environnementaux.

Cette posture renforcée du juge administratif traduit une inflexion nette dans la manière dont la légalité des documents d’urbanisme est aujourd’hui appréciée. Ce ne sont plus uniquement les données démographiques brutes qui sont observées, mais bien la qualité de leur analyse, leur cohérence et leur mise en perspective justifiées par les besoins et les capacités d’accueil réelles des territoires. Cette exigence nouvelle pousse les collectivités à renouveler leur approche, tendant à davantage de rigueur, ancrée dans la réalité locale et en cohérence avec les objectifs de sobriété foncière issus du cadre législatif récent, notamment la loi Climat et Résilience.

Ainsi, la planification territoriale ne peut plus être envisagée comme une projection linéaire des besoins, mais comme une réflexion stratégique intégrant densification, renouvellement urbain et lutte contre l’étalement. Cette transformation, stimulée par le contrôle juridictionnel, engage une réécriture des pratiques d’aménagement.

Schéma n°2 – Lisa Bourdon / David-Marie Vailhé


[1] En tant qu’étudiante en Master 2 Droit et Métiers de l’Urbanisme Durable à la faculté de Droit et de Science Politique de l’Université Aix-Marseille
[2] Le “ZAN en 20 questions” : quiz grand public pour comprendre le Zéro Artificialisation Nette, Question 10 « Par rapport à la croissance de la population, l’artificialisation va… », Ademe, Cerema, CDC Biodiversité, SCET,
[3] Portail national de l’artificialisation des sols
[4] Tribunal administratif de Toulouse, 10 mars 2021 n°1902329
[5] Notion utilisée par le juge principalement mais on peut se référer pour les déterminer à L’article L.151- 4 du Code de l’urbanisme qui pose un cadre large et imprécis, et dispose que le rapport de présentation du PLU s’appuie sur : « Des besoins répertoriés en matière de développement économique, de surfaces et de développement agricoles, de développement forestier, d’aménagement de l’espace, d’environnement, notamment en matière de biodiversité, d’équilibre social de l’habitat, de transports, de commerce, d’équipements et de services »
[6] Sur un échantillon tournant de 8 % des adresses. Alors que dans les communes de moins de 10 000 habitants et dans certains DOM-TOM les échéances ne sont pas les mêmes, ce qui pose la question de l’uniformité des données selon les territoires
[7]  L.101-2 du Code de l’urbanisme
[8] L.141-3 du Code de l’urbanisme
[9] Cour administrative d’appel de Nantes, 5ᵉ chambre, 26 mars 2024, n° 22NT03863.
[10] Fondation pour la nature et l’homme, « Zéro artificialisation des sols : quel habitat pour demain », Mars 2024
[11] L. 151-4 du Code de l’urbanisme
[12] Cour administrative d’appel de Nantes, 5ᵉ chambre, 26 mars 2024, n° 22NT03863
[13] Cour administrative d’appel de Nancy, 15 février 2022, n° 21BX02287
[14] Article L.151-4 du code de l’urbanisme
[15] Cour Administrative d’Appel de Nantes, 5e chambre, 05/04/2022, 21NT00320
[16] Tribunal administratif de Strasbourg 14 octobre 2021 n° 2001288
[17] Tribunal administratif de Lille, 5ème chambre, 30 juin 2023, n° 2204438
[18] Cela inclut la revitalisation des zones sous-utilisées et l’exploration de potentiels de densification dans les zones urbaines déjà existantes
[19] L.111-26 du Code de l’urbanisme : « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables » – Pour aller plus loin sur les modalités : D.111-54 du Code de l’urbanisme

Les auteurs  : Lisa BOURDON, Juriste spécialisée en droit de l’environnement et de l’urbanisme – Université Aix-Marseille ; David-Marie VAILHÉ, Urbaniste, chef de projet stratégies territoriales et foncières – Cerema

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