La territorialisation du ZAN à l’épreuve

par | 1 Mai 2025 | Autres Articles, Décryptage et chiffres détaillés, ZAN

Chaque année depuis 2019 en France métropolitaine, 20 000  à 21 000 hectares sont artificialisés (Portail de l’artificialisation des sols, CEREMA, 2023) . La loi Climat et résilience fixe un objectif ambitieux : le « zéro artificialisation nette » (ZAN) en 2050 et, pour y parvenir, un seuil intermédiaire de réduction de 50% de ce rythme d’ici 2031[1]. Afin d’éviter que chaque commune ait à réduire sa consommation de 50%, un mécanisme de territorialisation a été proposé par le législateur. Ainsi, les exigences de réduction peuvent être différenciées au sein des Régions tant que chacune parvient à une diminution de moitié. Le dispositif semble prometteur en ce qu’il offre l’opportunité de redistribuer les hectares de communes qui n’en auraient pas l’utilité vers celles qui prévoient de consommer autant voire davantage qu’au cours de la décennie précédente. L’exercice, s’il est mené avec succès, pourrait consolider les coopérations territoriales tout en relâchant la contrainte représentée par le ZAN.

Cette possibilité offerte aux Régions de territorialiser le ZAN a été différemment appropriée (Doré, 2024). Pour autant, les Régions ont des difficultés à définir des rythmes différenciés de consommation d’espace par territoire : ils varient généralement avec une amplitude comprise entre -40% et -60%. Si cette faible redistribution reflète plus largement les « faiblesses institutionnelles structurelles » (Béhar, 2022) des Régions, le dispositif présentait et continue de présenter un potentiel important à l’heure où se profile un choc de densification. La Chaire partenariale GIF (Geodata, Immobilier, Foncier) d’Avignon Université[2] a développé un simulateur qui permet de tester des modalités de redistribution des hectares de sorte à réduire le nombre de communes qui se trouveraient limitées dans leurs capacités à urbaniser en l’absence de redistribution. Ce dernier peut être utilisé pour produire des cartes, des histogrammes et des tableaux afin de comparer la distribution des hectares à construire avant et après la territorialisation[3]. Les résultats issus des simulations conduisent plus largement à interroger le fonctionnement de ce dispositif de redistribution.

Le ZAN : un mot d’ordre, plusieurs lois

L’élaboration du simulateur a été motivée par le constat d’une complexification progressive du texte de loi au gré des réformes et des décrets d’application. En clair, les éléments à prendre en compte au moment de redistribuer les hectares se sont multipliés, de sorte qu’il devenait délicat pour les communes d’imaginer ce que la territorialisation pouvait leur apporter et donc de prendre part pleinement aux débats qui entourent actuellement les procédures de modification des schémas régionaux de développement durable et d’égalité territoriale (lesquels déterminent les enveloppes allouées à chaque périmètre infrarégional).

Depuis la promulgation de la loi Climat et résilience en 2021, un décret d’application a précisé les modalités de la territorialisation.
D’autre part, la loi du 20 juillet 2023 a introduit une garantie communale d’un hectare. Alors que la disposition initiale, qualifiée de « garantie rurale », devait offrir un hectare aux seules communes peu denses et très peu denses au sens de l’INSEE, cette garantie s’est généralisée à l’ensemble des communes couvertes par un document d’urbanisme prescrit, arrêté ou approuvé avant le 22 août 2026. Par-là, le champ d’application de la garantie s’est étendu : elle concerne désormais virtuellement l’ensemble des communes. Ces hectares se trouvent donc exclus de la territorialisation, sauf à considérer que les communes acceptent de les céder à l’échelle intercommunale. Cet élément a par exemple conduit la région Bourgogne Franche-Comté à sanctuariser les deux tiers de l’enveloppe potentiellement mutualisable afin d’assurer l’application de la garantie.
Deuxièmement, un forfait national de 12500 hectares a été réservé afin d’alimenter la réalisation de projets dits d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur. Ces hectares sont prélevés sur les fonds des Régions. Au terme de ces prélèvements, l’objectif est de réduire de -54.5% la consommation d’ENAF à l’échelle de chaque région par rapport à la consommation constatée pour la période précédente. Les hectares du forfait national se trouvent donc eux aussi exclus de la territorialisation.
Enfin, la liste des critères à mobiliser au moment de décliner les objectifs au niveau infrarégional n’a cessé de s’étendre. Si aux lendemains de la loi Climat et résilience, les Régions avaient carte blanche pour déterminer les critères d’allocation en concertation avec les collectivités locales et leurs groupements, cette situation a rapidement évolué. Un premier décret daté d’avril 2022 a identifié quatre critères[4]. Un second, le 27 novembre 2023, a précisé que les objectifs de réduction de l’artificialisation devaient être territorialement déclinés « en considérant les efforts de réduction déjà réalisés », entre autres. Les Régions, déjà largement engagées dans l’élaboration des plans de redistribution, ont dû revoir à la hâte leurs copies.

Cette effervescence autour du ZAN, et plus largement les difficultés à le mettre en œuvre dans les délais initialement escomptés, nous ont conduit à formaliser le problème et à proposer, avec le simulateur, des éléments de réponse quant au caractère éventuellement facilitateur de la territorialisation.

Tenir compte de critères observés dans la pratique

La question initiale qui a occupé les Régions est celle de l’échelle à laquelle territorialiser. S’il peut être tentant de retenir l’échelle de l’intercommunalité afin d’adapter précisément les taux d’efforts retenus aux dynamiques locales, l’échelle du SCoT met en interaction davantage de communes. Au 1er juillet 2023, 73% des Régions avaient ainsi choisi les SCoT comme échelon de territorialisation (Arambourou et al., 2023). Rares sont cependant les Régions intégralement couvertes par des SCoT, c’est pourquoi des agglomérats de différents périmètres administratifs ont parfois été retenus, comme en Normandie. Dans un souci d’équité territoriale, les Régions ont aussi pu chercher à observer une diminution de -50% à l’échelle de secteurs indépendants des périmètres administratifs. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur identifie par exemple quatre sous-espaces chargés chacun d’atteindre une diminution de 50%. Ces différentes possibilités ont été intégrées au simulateur qui permet ainsi aux utilisateurs de retenir différents échelons de territorialisation : les intercommunalités, les SCoT, les Départements, voire d’autres périmètres à l’intérieur des régions.

Les discussions dans les différentes Régions ont été animées par la question des bénéficiaires et des perdants à l’issue de la redistribution. Sur quelles communes faire peser un effort supérieur ou inférieur à la division par deux exigée par la loi ?  A partir des critères imposés par les décrets d’application, mais aussi d’indicateurs supplémentaires choisis par les exécutifs régionaux, les Régions ont fixé des taux d’effort différenciés pour chaque périmètre. En appliquant ainsi des taux de réduction uniformes à l’échelle d’EPCI ou de SCoT, ces exercices de territorialisation passent à côté de l’extrême disparité des dynamiques de consommation d’espace au sein de ces périmètres. Les profils de consommation d’espace permettent pourtant d’identifier certaines communes seraient en mesure de céder l’essentiel de leurs hectares, ce que la méthode des taux d’effort n’évalue pas. En clair, alors que les taux d’effort varient peu, la consommation d’espace au sein d’un même EPCI peut varier d’un à cent. C’est pour éviter de se priver de ces redistributions potentielles que le simulateur propose d’identifier des opportunités de transfert d’hectares au sein des périmètres plutôt qu’à partir de taux d’effort.

Dans la pratique, les Régions ont multiplié les critères d’allocation afin de déterminer quels périmètres devront aller au-delà de l’effort d’une division par deux et lesquels au contraire pourront se contenter de moins. Un périmètre administratif identifié comme moins « efficace »[5] que ses voisins se verrait par exemple attribuer un taux de réduction plus élevé. A pondération égale, les différents critères que le décret d’application impose et auxquels s’ajoutent ceux identifiés par les Régions, s’annulent mutuellement. Une intercommunalité pénalisée en raison de la faible efficacité de sa consommation d’espace se verra par exemple compensée parce qu’une partie significative de son territoire est classée en zone naturelle. À force de vouloir répondre indistinctement aux revendications de chaque territoire, la logique d’attribution perd en lisibilité et en efficacité : en cherchant à satisfaire toutes les demandes, elle risque finalement de n’en satisfaire pleinement aucune. Dans un contexte de rationnement des hectares constructibles, l’estimation des besoins nous ramène à la raison d’être du ZAN : certaines consommations d’espace peuvent être évitées ou réduits. En réaction aux impasses provoquées par la multiplication des critères, nous avons fait le choix de ne pas considérer ces critères d’allocation mais bien plutôt de nous concentrer sur l’écart entre la consommation d’espace issue des dynamiques passées et les perspectives de consommation d’espace de chaque territoire pour la décennie actuelle (Encart 1). Au terme de ce rapport entre consommation passée et besoins futurs, sont identifiées des communes excédentaires qui pourront céder une partie de leurs hectares et des communes qualifiées de déficitaires qui auront au contraire besoin que la territorialisation leur vienne en aide.

Encart : Le fonctionnement du simulateur

Le simulateur repose sur un calcul du nombre d’hectares à construire nécessaire à chaque commune pour poursuivre son développement selon les conditions observées au cours des quinze dernières années, et sans préjuger pour l’instant d’une amélioration généralisée de la sobriété foncière.

L’estimation s’appuie sur un modèle statistique qui calcule un nombre d’hectares à construire théorique pour chaque commune de France hexagonale en prenant en compte : la taille moyenne des ménages et leur éventuel desserrement, les projections démographiques, le parc de logements existant et la vacance, la consommation d’espace passée et la consommation moyenne par logement créé, les résidences secondaires, la consommation à vocation économique passée et le dynamisme de l’emploi.

L’étude des trajectoires locales de consommation d’espace nous conduit à identifier quelques centaines de communes ayant connu une consommation inhabituellement élevée au cours de la décennie précédente. Ces consommations, liées à des projets ponctuels (carrière, routes et autoroutes, LGV) n’ont pas vocation à se reproduire localement et viennent alimenter la redistribution des hectares.

Opportunités d’analyse offertes par le simulateur

Le premier apport du simulateur est de montrer à quel point le choix de l’échelle affecte les possibilités de redistribution des hectares. L’exemple ci-dessous (Figure 1), dans le pays de Sancerre (Centre-Val de Loire), constitue une comparaison entre une territorialisation à l’échelle de l’EPCI et une autre à celle du SCOT.  Comme l’illustrent les deux premières captures d’écran, les transferts d’hectares à l’échelle de la communauté de communes sont limités par le fait que les communes sont majoritairement excédentaires. L’élargissement du périmètre de territorialisation au SCOT (captures d’écran 3 & 4) conduit à identifier un déversoir potentiel : les communes rurales du nord du SCOT redistribuent leurs hectares aux communes limitrophes de Sancerre. Ainsi, alors qu’une territorialisation à l’échelle de l’EPCI ne permettrait qu’une redistribution vers deux communes de volumes d’hectares par ailleurs très faibles (0.94 en moyenne), l’extension de la territorialisation au SCOT aboutirait à redistribuer près de 124 hectares à 37 communes. Quand bien même on ne saurait préjuger du volontarisme des communes à redistribuer, les opportunités de redistribution sont mécaniquement plus importantes au fur et à mesure que les périmètres s’élargissent. Le choix opéré par la majorité des Régions de territorialiser à l’échelle des SCOT ou, en leur absence, en agrégeant des EPCI, se trouve donc justifié. Cependant, les SCOT actuels génèrent une diversité interne de consommation d’espace plus forte que celle obtenue par une répartition purement aléatoire de taille équivalente. Cet élément est lié au fait que les SCOT épousent fréquemment la forme des agglomérations et de leur périphérie. En cela, ils agrègent des communes très consommatrices et d’autres qui le sont beaucoup moins. Cette grande variété interne aux périmètres de territorialisation renforce l’intérêt de la redistribution, mais elle présente un défi politique, puisqu’il s’agit alors de convaincre les collectivités de renoncer à une partie de leurs droits à construire dans un effort de coopération intercommunale.

Figure 1. Comparaison entre une territorialisation à l’échelle de l’EPCI (Communauté de communes Sauldre et Sologne, cartes 1 « avant mutalisation » et 2 « après mutualisation ») et du SCOT ( SCOT Avord Bourges Vierzon, cartes 3 « avant mutualisaiton » et 4 « après mutualisation »). ZAN de juillet 2023, ratio de mutualisation 100%, réduction du nombre de communes déficitaires. Source Delattre/ chaire GIF

Le simulateur autorise également une analyse comparative des différentes versions du ZAN. Depuis la loi Climat et résilience, de nombreuses propositions de loi ont cherché à modifier le calcul des droits à construire et les possibilités de redistribution. L’outil intègre donc les versions du texte de loi qui ont effectivement eu cours, de même que des versions qui auraient pu aboutir si certaines propositions de loi avaient été adoptées. Il est loisible à l’utilisateur de sélectionner la première version du texte de loi puis la version actuelle afin de les comparer. Les deux tableaux ci-dessous, issus des données du simulateur, illustrent les potentielles redistributions d’hectares dans le SCOT Métropolitain d’Aix-Marseille (AMP) avant et après les dispositions de la loi du 20 juillet 2023 :

Avant Après
Communes déficitaires 62 16
Communes excédentaires 30 0
Communes à l’équilibre 0 76
Volume d’hectares moyen reçu par communes 7,07 hectares
Nombre de communes ayant reçu des hectares 47

Figure 2 – Simulation d’une territorialisation du ZAN dans le SCOT Métropolitain d’Aix-Marseille avant application des dispositions de la loi du 20 juillet 2023. Ratio de mutualisation 100%, réduction du nombre de communes déficitaires.

Avant Après
Communes déficitaires 66 25
Communes excédentaires 24 7
Communes à l’équilibre 2 60
Volume d’hectares moyen reçu par communes 5,89 hectares
Nombre de communes ayant reçu des hectares 42

Figure 3 – Simulation d’une territorialisation du ZAN dans le SCOT Métropolitain d’Aix-Marseille après application des dispositions de la loi du 20 juillet 2023. Ratio de mutualisation 100%, réduction du nombre de communes déficitaires.

Les dispositions issues de la loi du 20 juillet 2023 limitent significativement les opportunités de territorialisation, dans ce SCOT comme dans bien d’autres. Le simulateur permet ainsi de l’objectiver et de quantifier précisément les effets de ces dispositions en fonction du territoire considéré. Ainsi, pour le SCOT de l’AMP, alors qu’une territorialisation sur les bases du texte de 2021 aurait permis d’éviter à 76 communes d’avoir moins de droits à construire que de besoins pour la décennie, la même opération à l’issue de la loi de juillet 2023 aboutit à ce que 60 communes se trouvent à l’équilibre. Au-delà de la surface minimale de développement, la redirection d’une partie des hectares vers un fonds dédié aux PENE grève certaines communes de précieux hectares. La prise en compte de ce fonds induit, plutôt qu’une division par deux, une diminution de la consommation d’espace de -54,5% dans chaque région. Dans le simulateur, le choix a été fait de ponctionner les communes les plus consommatrices afin d’éviter que la contribution au fonds ne rende certaines communes éligibles à la garantie un hectare. Dans les faits, les régions ont parfois eu recours à une redistribution en plusieurs étapes afin d’ajuster les taux au fur et à mesure qu’elles prélevaient des hectares pour alimenter ce fonds.

Enfin, à titre expérimental, l’outil laisse la possibilité de mutualiser les hectares en s’affranchissant des périmètres administratifs existants. Les communes peuvent alors s’échanger des hectares d’un bout à l’autre des Régions. La carte ci-dessous (Figure 4) présente le résultat d’une simulation de territorialisation dans laquelle les communes de la Région Bourgogne-Franche Comté disposant d’hectares excédentaires les redistribuent. Avant les transferts, 1529 communes présentent un déficit d’hectares pour la décennie 2021-2031, contre 384 après le transfert.

Figure 4 – Simulation théorique d’une territorialisation du ZAN à l’échelle de la Région Bourgogne Franche-Comté. ZAN de juillet 2023, ratio de mutualisation 100%, réduction du nombre de communes déficitaires. chaire GIFFigure 4 – Simulation théorique d’une territorialisation du ZAN à l’échelle de la Région Bourgogne Franche-Comté. ZAN de juillet 2023, ratio de mutualisation 100%, réduction du nombre de communes déficitaires. Source: Delattre/ Chaire GIF

Une telle configuration, si elle maximise mécaniquement les possibilités de redistribution, s’éloigne des contraintes que les Régions se sont imposées et ressemble davantage à un marché de l’hectare (C. Claron, 2024).  Il s’agirait alors d’autoriser la vente des droits à construire, par exemple sous la forme de permis transférables d’un hectare. La solution n’est pas sans présenter d’évidentes limites, notamment parce qu’elle bousculerait la fiscalité locale puisque la vente de ces certificats pourrait constituer la principale source de recettes dans certaines collectivités (J.-B Blanc., 2022). Surtout, elle conforterait les tentatives d’évaluation monétaire de la biodiversité déjà à l’œuvre (V. Maris, 2014 ; C. Berté, 2022).  Ce marché aux hectares a été expérimenté avec succès en Allemagne (D. Grimski, 2019) : l’Etat fédéral, après avoir échoué à atteindre l’objectif de réduction de consommation d’espaces qu’il s’était fixé, a mis en œuvre une expérimentation en créant un marché dans lequel étaient échangés des certificats d’un hectare dont la vente finançait les politiques communales. Ce système présente l’avantage d’être compatible avec le maintien de la compétence communale en matière de planification, mais il reporte le débat sur l’algorithme utilisé pour l’allocation des certificats aux municipalités. Appliqué directement en France, ce système aurait pour conséquence de favoriser les communes ayant eu la plus forte consommation durant les dix dernières années, sans prendre en compte le type de projets à l’origine de cette consommation. Comme le montre en effet la Figure 4, les communes qui se trouveraient en possession du plus grand nombre de certificats à céder ne sont pas celles qui ont connu une forte croissance démographique, mais bien celles qui ont accueilli des projets particulièrement consommateurs. Massangis, commune de 311 habitants du département de l’Yonne, se trouverait par exemple en possession de 88 hectares à céder pour la simple raison que la commune a vu la création d’une carrière en 2014. Afin de pallier cet écueil, l’expérimentation allemande allouait plutôt les certificats en fonction des évolutions démographiques observées au terme de chaque recensement.

La combinaison, en France, d’une planification descendante et d’un système partiel de transferts d’hectares aboutit à un instrument perfectible. Pour être opératoire, la territorialisation supposerait soit de renforcer le caractère prescriptif des SRADDET, soit de faciliter les échanges de quotas. En l’état, les ajustements itératifs requis par l’imprévisibilité des trajectoires locales de consommation d’espace menacent de rendre les efforts de territorialisation purement indicatifs. L’exercice de redistribution risque d’être discrédité avant même d’être exécutoire : en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, par exemple, 13 SCoT ou intercommunalités ont déjà consommé plus de la moitié de leur quota en trois ans, et des dépassements même localisés peuvent compromettre la stratégie régionale. Pour autant, la loi TRACE, qui doit encore être examinée à l’Assemblée, ne modifie pas fondamentalement le fonctionnement de la territorialisation. En effet, quoique l’étape intermédiaire soit reportée à 2034, le principe consistant à confier aux régions un rôle de pilotage se trouverait même renforcé, puisque les régions auraient la possibilité de fixer leurs propres objectifs de réduction sur la période 2024-2034. Certaines régions réviseront alors probablement leur stratégie de territorialisation du ZAN et pourraient donc bénéficier de ce simulateur. Reste que ces premiers essais de territorialisation ont révélé d’importants écarts entre les mesures locales et les données de référence mobilisées par les régions. Si dans certaines régions (Bretagne, Normandie), le recours à une base de données régionale a permis d’évacuer cette question, dans d’autres (Provence-Alpes-Côte d’Azur), un décalage important existe entre les trajectoires territorialisées issues des données nationales et les données mobilisées par les communes dans leurs documents d’urbanisme locaux. Ces écarts impliquent encore une déconnexion entre les projections décennales des différentes collectivités.

La mise en ligne d’un simulateur de territorialisation conduit ainsi à souligner l’intérêt que pourrait représenter pour les collectivités une plateforme de suivi du respect des cibles de réduction de l’artificialisation. L’observatoire de l’artificialisation ne remplit pas tout à fait cette mission car il a d’abord vocation à renseigner les consommations d’espace de chaque commune. Le simulateur, dans son état actuel, nous semble déjà de nature à permettre aux communes de se saisir davantage des débats relatifs à la territorialisation et de considérer tout l’éventail des possibilités qu’offre ce dispositif.


Le simulateur de territorialisation du ZAN utilisé dans cet article est accessible à l’adresse suivante : https://simulateur-zan.chairegif.fr/

Bibliographie

Arambourou, H., Bouvart, C., Tessé, S., Avec la contribution de Gervais, É. (2023). Objectif ZAN : quelles stratégies régionales ? La note d’analyse de France Stratégie, n° 129(14), 1-20.
Berté, C. (2022). Une biodiversité négociée : L’aménagement urbain au défi de la mise en œuvre de la séquence Eviter-Réduire-Compenser. Thèse de doctorat, Ecole des Ponts ParisTech.
Béhar D., Czertok S., Desjardins X. (2022). Zéro artificialisation nette : banc d’essai de la planification écologique, AOC.
Blanc J-B (2022). Les outils financiers pour soutenir l’atteinte de l’objectif de zéro artificialisation nette, Rapport d’information n° 743.
Claron C., Jalabert, V., Coutard, O., Levrel, H. (2024). Transiger sur l’artificialisation. Permis transférables et neutralité de dégradation des sols : le cas de l’objectif ZAN en France. CIRED Working Papers n° 2024-95. ⟨hal-04625026⟩ Voir l’interview de Fonciers-en-débat
Doré G. (2024). Objectif ZAN : comment prendre en compte les objectifs de non artificialisation des sols dans les schémas d’aménagement régionaux ? Revue d’Économie Régionale & Urbaine, Février (1), 103-129. https://doi.org/10.3917/reru.241.0103.
Grimski, D. (2019). Tradable Land Planning Certificates to Reduce Land Take: Results of a Simulation Game with Communities in Germany
Maris V. (2014) Nature à vendre – les limites des services écosystémiques, Éditions Quae, « Sciences en question ».


[1] Le texte amendé de la loi TRACE reporte l’étape intermédiaire à 2034 et confie aux régions le soin de fixer leurs propres objectifs de réduction sur la période 2024-2034. Le texte doit encore être examiné à l’Assemblée nationale.
[2] https://chairegif.univ-avignon.fr/
[3] Une vidéo présentant le fonctionnement de l’outil est disponible ici
[4] L’art. 3 du décret n°2022 – 762 identifie en effet : « Les enjeux de préservation, de valorisation, de remise en bon état et de restauration des espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que des continuités écologiques » ;
« Le potentiel foncier mobilisable dans les espaces déjà artificialisés, en particulier par l’optimisation de la densité, le renouvellement urbain et la réhabilitation des friches » ;
« L’équilibre du territoire, en tenant compte des pôles urbains, du maillage des infrastructures et des enjeux de désenclavement rural » ;
« Les dynamiques démographiques et économiques prévisibles au vu notamment des données disponibles et des besoins identifiés sur les territoires. »
[5] L’efficacité de la consommation passée a généralement été mesurée par les régions à partir du rapport entre consommation d’espace et habitants supplémentaires.

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