Depuis une dizaine d’années, Fonciers en débat recense les thèses soutenues sur la thématique foncière en France et dans l’espace francophone. Jean Cavailhès avait entrepris ce grand chantier et il est désormais poursuivi, après une interruption, par l’équipe de Fonciers en débat, en particulier grâce au stage effectué en 2025 par Léo Marchal.
Méthodologie
Le recensement des thèses a été effectué à partir du site Internet theses.fr, en utilisant le mot-clé “foncier”. Sur chaque notice de thèse portant le mot “foncier” nous avons relevé les informations suivantes : titre, nom de l’auteur.e, nom des directrices et directeurs, date de soutenance, discipline, université, école doctorale, laboratoire universitaire et les mots-clés contrôlés. Toutes ces informations sont disponibles sur le site de Fonciers en débat, dans la rubrique Thèses.
Au cours de cette décennie 2014-2024, 292 thèses ont été recensées. Elles ont été soutenues au sein des universités publiques, des établissements publics nationaux à caractère scientifique culturel et professionnel (comme l’École nationale des ponts et chaussées) et des établissements publics de coopération (comme les Agrocampus).
Les données de l’année 2024 ont été recueillies en avril 2025 et les écoles doctorales n’avaient pas toutes transmis les informations à cette date, en particulier pour les thèses soutenues en fin d’année 2024. L’analyse pour cet article porte sur le recensement effectué au 30 avril 2025.
Résultats
Les thèses sont soutenues en parité entre hommes et femmes. Il y a quelques disciplines où la parité n’existe pas : une prévalence des hommes en anthropologie, une prévalence des femmes en sciences de gestion. Toutefois dans les disciplines les plus importantes du champ, la parité est réelle, à l’exception d’un déséquilibre en aménagement et urbanisme (25 femmes/16 hommes).
Années de soutenance et universités
Le graphique sur les années de soutenance nous montre un pic lors de l’année 2017. La période antérieure comportait déjà un essor en cours, avec un niveau supérieur à 30 thèses par an. La période postérieure ne présente plus qu’une vingtaine de thèses par an.
Pour en comprendre potentiellement les raisons, nous avons opté pour une analyse par établissement et par année.
Il s’avère que ce pic de 2017 ne se retrouve que dans quelques établissements universitaires : Grenoble (6), Paris Est (8), Sorbonne Paris-Cité (5), Montpellier (4). Quelques établissements sont restés à un niveau important (à leur échelle), comme Lyon (4), au même niveau que 2016, avant que le nombre de soutenances de thèses ne diminue. Cela peut correspondre à la présence d’un enseignant-chercheur ou enseignante-chercheuses habilité(e) à diriger des recherches, ayant ensuite pris sa retraite. Alain Bourdin, Christian Lefèvre à Paris Est, Bernard Pecqueur à Grenoble, mais ce n’est qu’une explication partielle car cela ne concerne qu’un nombre restreint de thèses (en 2017, 2 pour Alain Bourdin, 2 pour Bernard Pecqueur). Il peut y avoir un glissement épistémologique, le mot “foncier” ne serait plus directement utilisé mais traité de façon transversale. Cela expliquerait la moindre visibilité du mot dans le nuage de mots (voir dernière partie de cet article). Il peut y avoir un épuisement des financements régionaux et nationaux. Il faut aussi rappeler la fin de l’action de l’association ADEF, disparue en décembre 2013, dont l’équipe promouvait et soutenait fortement les initiatives de recherche sur le foncier. Le pic peut correspondre aux conséquences d’un “chant du cygne” de l’ADEF, car il faut actuellement compter en moyenne 52 mois de préparation de thèse[1]. D’expérience, l’intérêt pour le foncier apparaît également cyclique.
Dans d’autres universités, le pic durant cette décennie a pu intervenir au cours d’une autre année : EHESS a fait soutenir de plus nombreuses thèses en 2014-2015 et en 2023 (4 thèses, contre 1 en 2017), Bordeaux en 2014 et 2016 (respectivement 4 et 5, contre 2 en 2017), Panthéon-Sorbonne (pas de soutenance de thèse avant 2019, année où 4 thèses ont été soutenues). Le graphique suivant présente les soutenances de thèses par année et par établissement, pour les neuf universités ayant eu le plus de soutenances.
Les universités qui ont connu le plus de soutenance sur la thématique foncière sont essentiellement parisiennes (EHESS, Sorbonne Paris-Cité, Paris Est, Paris-Nanterre), complétées par celles de Lyon, Grenoble et Bordeaux. Au total, 58 universités apparaissent dans le recensement (sur un total de 72 universités en France, selon Campus france). Environ un tiers ne comptabilise qu’une seule thèse soutenue, à des années diverses.
Quelles disciplines ?
La thématique foncière concerne, dans notre recensement, 17 disciplines.
Quatre disciplines se distinguent : géographie (92), droit (46), économie (45) et aménagement et urbanisme (41). Environ un tiers des thèses soutenues l’ont été en géographie. Cette discipline est citée deux fois plus souvent que la discipline suivante la plus importante, à savoir le droit (droit public et droit privé). Toutes les autres disciplines ont moins de 20 thèses soutenues et un tiers de l’ensemble a moins de 2 thèses soutenues durant la décennie. Quatre disciplines n’ont au cours de la décennie qu’une seule thèse soutenue.
Toutes les disciplines connaissent une érosion entre les années 2014-2015 et les années 2023-2024.
Cette érosion est continue et très marquée en économie. Mais en droit et en aménagement les soutenances ont un rythme plus irrégulier, avec des rebonds dans les années récentes. Les thèses en anthropologie et en sociologie, comparativement nombreuses en 2014-2015, disparaissent ensuite du paysage.
En géographie tout comme en aménagement et urbanisme, la thématique foncière est un champ disciplinaire traditionnel, pouvant trouver aisément des applications concrètes. En architecture, la majorité des thèses développe des perspectives en relation avec l’urbanisme. En économie, le foncier est un sujet important pour comprendre le développement d’un territoire ; en droit, pour travailler les questions de sécurité de la propriété foncière et de maîtrise foncière. En droit, de nombreuses thèses concernent des pays autres que la France, ce qui démontre un enjeu spécifique dans le champ.
Et sur quels sujets ?
A partir des mots-clés, un nuage de mots a été créé. Certains mots-clés qui étaient relativement similaires ont été réunis en un seul (singulier/pluriel, pour préférer le singulier, capitale/région/pays, pour préférer le pays pour une thèse portant sur un pays autre que la France, pour préférer la ville ou la région pour une thèse portant sur la France). Les mots-clés sur le site Internet theses.fr comportent des expressions et, pour éviter que le logiciel WordArt ne sépare les différents mots, ceux-ci ont été accolés.
Sur les 658 mots relevés, 448 (68%) ne sont cités qu’une seule fois. 124 mots-clés (20%) ont été cités trois fois et plus. 3 mots ressortent clairement : “propriété”, “droit” et “aménagement” (cités plus de 50 fois). A titre informatif, le quatrième mot “urbanisme” est cité 37 fois.
Le mot “foncier” n’est paradoxalement cité que 12 fois. Cela signifie clairement que l’identification du champ n’est pas pleinement officialisée, et qu’on lui préfère des dénominations plus traditionnelles comme “propriété”, “territoire”, “urbanisme”. On remarque aussi que “sol” est cité plus fréquemment que “foncier”.
Quelques sujets du débat public, qui interpellent la recherche depuis quelques années, ne ressortent pour l’instant pas clairement sur la période d’étude : si l’environnement ressort à 19 reprises (regroupant des mots-clés comportant le mot environnement en lien avec la protection, le global, l’évaluation du risque et le droit), les mots “biodiversité”, “écologie”, “friche”, “service d’écosystème”, sont pour l’instant en retrait ou émergeants. Il n’a pas été possible de faire l‘analyse WordArt à deux périodes différentes, du fait du recensement global des mots-clés sur toute la décennie, mais ce sera peut-être possible à l’avenir.
Conclusion
Une analyse rapide du recensement des thèses soutenues en France entre 2014 et 2024 révèle une production active mais déclinante. De nombreux établissements d’enseignement supérieur ont connu des soutenances dans le champ mais il existe une réelle prééminence des universités parisiennes. Géographie, droit, économie, urbanisme et aménagement, sont les disciplines où les thèses en foncier sont majoritairement soutenues mais nous notons qu’une recomposition disciplinaire est potentiellement en cours, avec un essor de l’urbanisme et aménagement, par exemple par rapport à la géographie. Un suivi régulier des soutenances de thèse comportant la thématique foncière sera entrepris pour comprendre les tendances et évolutions que peut connaître la recherche sur le foncier, tant d’un point de vue disciplinaire que sur les thèmes abordés.
[1] État de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n°17, 2023, https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T744/le_doctorat_et_les_docteurs/ (consulté le 26 mai 2025).