L’ouvrage présente un pano- rama des questions foncières en Chine, en liaison avec le mou- vement d’urbanisation rapide que connaît le pays depuis plus de 30 ans. Les questions sur lesquelles l’auteur insiste particulièrement sont celles de l’effet de l’imprécision des droits fonciers (droit de propriété et droit d’usage du sol) et de l’objet auquel ils s’appliquent (mesures par GIS et cadastre), des plus-values ou moins values foncières du fait de l’urbanisation, de l’expropriation et de son indemnisation, en lien avec le pouvoir discrétionnaire des autorités publiques. Ces questions sont analysées du point de vue de la théorie économique, de l’examen des faits dans le pays et d’études monographiques à Guangzhou (Canton). Les droits fonciers sont fondamentaux pour comprendre le régime foncier chinois. Ils sont issus de l’histoire deux fois millénaire des empires durant lesquels l’essentiel de la terre appartenait à l’empereur et à sa famille (malgré quelques exceptions), histoire que la période maoïste a reprise après 1949 (après une parenthèse dans les années 1930) en nationalisant les moyens de production, conformément à son programme marxiste. Il apparaît donc « naturel » que les constitutions successives de la Chine socialiste consacrent la propriété de l’État pour les terres urbaines et celle des collectivités villageoises dans le monde rural, ce qui reste la règle constitutionnelle de nos jours. Cependant, un droit d’usage privé de la terre a été dissocié de sa propriété publique par la « loi sur la gestion de la terre » de 1988.
Le droit de propriété publique ainsi régi interfère avec le droit d’usage privé, qui n’est pas libre : il doit res- pecter un plan d’urbanisme et, en particulier, l’obligation de mainte- nir un usage agricole de certaines terres, sauf si le plan d’urbanisme autorise une conversion vers un usage urbain. Or, le droit de l’urbanisation est d’une grande complexité, combinant l’intervention de plusieurs ministères au niveau national (qui établissent ce qu’on pourrait appeler un plan cadre), provincial (établissant une sorte de schéma directeur) et celle des autorités locales qui donnent in fine le permis de construire en fonction du plan d’urbanisme local qui dépend d’elles. Cette organisation est source d’incertitude non pas sur le droit de propriété (régi par la constitution), mais sur celui d’usage, qui est essentiel car, d’une part, il détermine le rythme et les formes de l’urbanisation et, d’autre part, il crée des plus-values d’urbanisation importantes. Or, les autorités locales convoitent ces dernières. En indemnisant les paysans expropriés de leur droit d’usage agricole (ce qui est la source de nombreux conflits dans les campagnes) et en revendant à des pro- moteurs ou à des industriels le droit d’usage urbain au prix de marché, elles empochent des plus-values (plus des dessous de table d’argent noir), dont elles ont besoin pour boucler leurs budgets car les impôts locaux ne suffisent pas à couvrir les dépenses qui leurs sont imposées (éducation, santé, etc.). Les autorités locales, à la recherche de ressources budgétaires, cherchent à vendre à tout-va des droits d’usage urbains, en expropriant au nom d’une utilité publique mal définie (1). C’est l’origine d’un gaspillage de terres agricoles, qui alimente également une bulle immobilière (2). Les autorités nationales ont freiné ces politiques locales trop expansionnistes : des moratoires à la conversion de terres agricoles ont été édictés en 1997 et 2004, puis des quotas ont été imposés aux provinces et aux municipalités. Ces interventions politiques accroissent l’instabilité des droits d’usage du foncier, alimentant le flou sur les droits réellement attachés à une pièce de terre, flou qui a également une autre source dans une définition imprécise du détenteur des droits pour les nouvelles infrastructures et services publics construits par des promoteurs privés.
L’ouvrage développe, dans les premiers chapitres, des éléments de théorie économique du foncier assez classiques, exercice habituel d’une thèse de doctorat et, après avoir présenté les éléments généraux du droit foncier et du droit de l’urbanisation au niveau de la Chine, il développe ensuite le cas de la ville de Guangzhou, ce qui permet d’apporter des précisions qui n’existent pas pour l’ensemble du pays et présentant le plan d’urbanisme de la ville et le plan d’opérations ponctuelles. L’importance des plus-values d’urbanisation dans le budget de Guangzhou est ainsi quantifiée : 31,1 % du budget de la ville, ce qui a permis de financer 90,5 % des infrastructures publiques construites entre 1992 et 2010. À partir de ce cas et d’autres éléments, l’auteur considère que la croissance économique extraordinairement rapide du pays à été en bonne partie financée par ces conversions de droits d’usage collectifs agricoles en droit d’usage privés urbains. Cette focalisation sur le foncier est réductrice pour expliquer le « miracle chinois », mais elle met l’accent sur un de ses aspects.
(1) Hanna Ayi, Michel Prouzet, « Le concept d’utilité publique en République populaire de Chine », La revue foncière, n°2
(2) Natacha Aveline-Dubach, « Japon- Chine, d’une bulle l’autre », La revue foncière, n° 1.