La précarité en col blanc : enquête sur les agents immobiliers [Lise Bernard, préface d’Olivier Schwartz]

Paris PUF, 2017, 320 p. + annexes

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L’ouvrage fait un portrait précis, et riche en détails, de la figure des agents immobiliers dans leurs qualités, leurs perceptions et leurs représentations, en les replaçant dans la réalité de leur quotidien. Nonobstant les ouvrages sur la technique professionnelle, les conditions de travail des agents immobiliers sont assez peu connues. Loic Bonneval (Les Agents immobiliers. Pour une sociologie des acteurs des marchés du logement, Lyon, ENS Éditions, 2011), avait soulevé le voile en centrant ses investigations sur le rôle d’intermédiation et la place de l’agent sur les marchés. Cet ouvrage complète la connaissance du milieu professionnel en pénétrant l’univers de vie des agents et des agences et donnant les clefs de leur fonctionnement. Il pointe, à travers la profession de ces intermédiaires du commerce, la question qui est au cœur de l’évolution sociétale des dix dernières années, exacerbées par la crise de 2008, du poids de la finance et du profit dans les pratiques quotidiennes commerciales, et interroge celles de tout un pan de la société.L’auteur, Lise Bernard, sociologue et chercheur au CNRS, explore le sujet selon trois approches. Sociologue, elle décrypte en finesse les comportements et leurs motifs. Chercheur, elle replace ses constats dans un contexte ethnographique plus général avec une approche rigoureuse et scientifique. Finalement Lise Bernard prend aussi l’habit d’une salariée d’une agence immobilière (où elle a travaillé pendant 15 mois) et raconte un vécu quotidien plein d’anecdotes et de réalisme. Elle souligne combien le souci financier, exacerbé par l’instabilité des revenus des agents immobiliers tout autant que par le symbole de réussite qu’il porte, structure les modes de vie, pénètre les com-portements, envahit les relations sociales. Elle révèle aussi le paradoxe d’une classe sociale tout à la fois riche de valeurs sociales et culturelles (le langage, le savoir-être, le relationnel…) et d’ambitions personnelles (la liberté, l’autonomie, l’entreprenariat…), et fragilisée par les mécanismes marchands et une position d’entre-deux. Elle compare ces constats à l’ensemble des intermédiaires et fonctions appui du commerce, qu’elle appelle « les cols blancs du commerce », formulant l’hypothèse qu’ils sont porteurs de valeurs socialement structurantes, à prendre en considération. L’ouvrage est ambitieux : il manie tout à la fois le détail du vécu et la philosophie de l’action, le trivial du quotidien et l’idéal de vie. De ce fait, il s’adresse à plusieurs lecteurs : le professionnel de l’immobilier, ou futur professionnel, le chercheur qu’il s’intéresse à la sociologie de la ville, ou au fonctionnement des marchés immobiliers, le ménage futur vendeur de son bien, et peut-être aussi le pouvoir politique qui cherche justement à réguler le jeu de l’emploi et des inégalités sociales. Ils y trouveront de nombreux éléments de connaissance et de réflexion. Mais l’ouvrage risque de ne pas complètement satisfaire chacun, voire d’agacer par les nombreuses répétitions (ouvrant la réflexion vers l’une ou l’autre problématique) ou par des comparaisons qui paraissent rapides, bien que scientifique-ment argumentées, entre des mondes dont les ressemblances peuvent paraître artificielles (entre le cadre commercial, l’attaché de presse, le grossiste et l’agent immobilier). Les enseignements doivent alors être pris de façon segmentée. Sans doute faut-il aussi nuancer les résultats issus de l’observation d’un marché parisien, et de l’agence du logis du quartier des Moulins à Paris. L’ouvrage tient plus à la réflexion qu’il suscite. Le lecteur gagne à cette lecture une meilleure connaissance des motivations des acteurs du marché foncier, même s’il lui restera un goût amer sur le faible intérêt qu’ils portent justement à l’évolution de ces marchés. n