La biodiversité : avec ou sans l’homme ? Réflexion d’une écologue sur la protection de la nature en France [Christian Lévêque]

éditions QUAE, 2017, 131 p[]

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Auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques, membre d’académies et comités scientifiques nationaux et inter-nationaux, Christian Lévêque est un écologue de réputation internationale. Sa parole sur la biodiversité a du poids. Elle est développée dans cet ouvrage sous une forme accessible à un large public. Cela permet au non spécialiste, que je suis, de s’instruire utilement mais sans effort : le propos est précis et rigoureux, mais le style alerte le rend plaisant à lire.L’auteur brosse un tableau de la biodiversité, du concept lui-même, de son histoire à travers les ères et les continents pour faire un focus sur le cas de la France contemporaine qui lui permet de mettre à bas des questions qui font recette (médiatique) comme le retour à la nature, la nature en ville, les paysages qui se ferment, les croyances sur la nature (telle qu’elle est imaginée), le dogmatisme des naturalistes. Il prend l’exemple des trames vertes et bleues. « Ici, le dogme a pris le pas sur le bon sens ». La trame bleue existe depuis belle lurette avec le maillage des rivières et canaux. Le résultat est la propagation d’espèces exogènes invasives qu’il faudrait au contraire empêcher de circuler librement. La trame verte n’échappe pas non plus à ses critiques car une trop grande ouverture peut nuire à la biodiversité : il y a des espèces qui ne survivent que dans l’isolement géographique.Sur la protection de la biodiversité, Lévêque renvoie dos à dos les pratiques d’agriculture intensive et l’utilisation des terres pour l’urbanisation, qui toutes deux mettent en danger le système hérité des débuts du vingtième siècle qui sert de référence à la nature, mais qui est lui-même le produit de la coproduction de processus spontanés et de l’action des humains durant des siècles : la nature est co-construite dans des anthroposystèmes, terme plus juste que celui d’écosystèmes. « La diversité biologique métropolitaine est une coproduction homme-nature » (titre du chapitre 3). Dans ces évolutions, l’homme n’a pas que les effets négatifs que lui attribuent des mouvements conservationnistes, qui contestent systématiquement tout pro-jet d’aménagement à partir de concepts souvent flous, quand il ne s’agit pas de désinformation pure et simple. La liste est longue des success-stories. Le lac du Der en est un exemple. Crée dans les années 1970 en Champagne Ardennes, il avait alors suscité une vive opposition car il détruisait un paysage de bocage. Aujourd’hui, il est tellement apprécié des ornithologues qu’on en a fait un site Ramsar, du nom de la convention qui protège les zones humides d’importance internationale pour leurs fonctions écologiques, leur valeur économique, culturelle, scientifique et récréative. De nombreuses autres zones humides prisées des écologues, environnementalistes et promeneurs ont aussi été aménagées par l’homme. La Camargue est l’emblème d’un milieu entièrement construit par l’homme pour produire du sel et des denrées agricoles. C’est main-tenant un parc naturel régional de 80 000 hectares : « si des milliers de flamands roses trouvent en Camargue un milieu d ’élection, c’est grâce aux pratiques agricoles et à l’industrie du sel ». Les cas des Dombes, de la Sologne, du marais poitevin pourraient aussi être développés.Dans d’autres cas, il faut rechercher le meilleur compromis entre l’aménagement des territoires et la protection de la biodiversité. C. Lévêque proscrit sévèrement l’homo-bashing. Il s’inscrit en faux contre le dénigrement sys-tématique de l’action humaine et son corollaire qui voudrait que pour protéger la nature il faille en exclure l’humain. Pour ce courant, la « pensée » créationniste n’est pas loin, qui remet en cause la science à partir du rejet de Darwin au nom de la Bible et du Coran. La nature, nécessairement parfaite et immuable, n’a pas été créée en sept jours par une puissance supérieure. Par contre, R. Lévêque n’est pas tendre pour l’urbanisation sous forme de desserrement des villes qui est « à l’origine d ’une perte annuelle de l’ordre de 85 000 hectares au cours des dernières années » (il s’agit là d’une évaluation à partir de données des Safer, qui surestiment de beaucoup cette ampleur). Les économistes, avec leur vision d’une biodiversité comme ressource exploitable et profitable n’échappent pas à son courroux.En bref, un ouvrage décapant dont la lecture est aisée, instructive et iconoclaste.