La politique agricole commune (PAC) et le foncier

par | 11 Déc 2020 | Autres Articles

Des négociations sur la future politique agricole commune (PAC) sont en voie de finalisation en Europe. Fonciers-en-débat a traité récemment des marchés fonciers ruraux en 2019 et de la réforme en cours de la PAC ; d’autres articles sur l’agriculture et le rural sont à venir. A l’intention de nos lecteurs qui connaissent mal ces domaines, nous éclairons ici ces articles par un aperçu de la PAC, en privilégiant les aspects fonciers[1]. Des ouvrages récents permettent une présentation plus complète de la PAC[2].

La mise en place de la PAC

Une politique d’encadrement des marchés pour soutenir la productivité

La PAC a été mise en place en 1962 dans la Communauté économique européenne (CEE) à six pays membres. Elle assurait l’unicité du marché des produits agricoles et la préférence communautaire avec des prix intérieurs minimum garantis, supérieurs aux prix mondiaux. Tous les produits n’étaient pas régis par les mécanismes d’intervention de ces Organisations communautaires de marché, mais celles-ci s’imposaient pour la majorité d’entre eux : céréales, lait, sucre, viande bovine. La protection aux frontières a permis d’augmenter l’autosuffisance de la CEE pour ces grands produits. Les tourteaux de soja et produits de substitution des céréales entraient librement sur le marché communautaire dès 1962 pour l’alimentation du bétail, ce qui limitait le développement en Europe des productions fourragères alternatives (luzerne, pois fourrager, féverole etc.).

La PAC aidait aussi, dans son volet « orientation » le remplacement d’agriculteurs âgés par une nouvelle génération s’installant sur des exploitations modernisées.

Cette « PAC du début » a permis des succès considérables en matière d’approvisionnement alimentaire, de gains de productivité, d’améliorations foncières. Le soutien des prix a permis une progression du revenu des agriculteurs, d’autant plus rapide que les plus âgés d’entre eux étaient aidés pour prendre leur retraite et être remplacés par une nouvelle génération. Le prix des produits agricoles soutenus était plus élevé que les cours mondiaux, avec des effets qui étaient répercutés à l’aval de la production, jusqu’aux consommateurs. Ce soutien des prix a permis des investissements, donc des gains de productivité entraînant une baisse continue des prix sur la longue période, en particulier pour les produits les plus « soutenus ». Mais cette politique s’est aussi accompagnée au fil du temps d’une augmentation des coûts  pour le contribuable ainsi que des distorsions internes à l’agriculture, comme la cherté des céréales nationales incorporées aux aliments du bétail, en regard des produits de substitution importés.

Les premiers effets sur le marché foncier : quand tout allait bien

Nous analysons ici les effets de la PAC européenne sur le prix des terres agricoles, en laissant de côté le niveau des fermages qui est régi par un statut français datant d’une loi de 1946, ce qui supposerait des développements spécifiques (à peine esquissés dans l’encart 1) car les fermages ne sont pas régis un prix de marché. La PAC n’a pas d’effet direct sur ceux-ci.

Encart 1. Le statut du fermage

A la Libération (sans remonter avant), le régime des terres a été fortement impacté par le statut du fermage adopté en 1946. Dans une France de l’Après-guerre, fortement soumise à des restrictions alimentaires (tickets de rationnement), il s’agissait de permettre le redémarrage de la production en aidant les fermiers. Face aux rentiers qu’étaient les propriétaires fonciers absentéistes, il fallait inciter les fermiers à produire davantage en leur laissant l’essentiel des fruits de leur travail et de leurs investissements en améliorations foncières et culturales. Pour cela, malgré quelques dérogations possibles, le montant des fermages a été plafonné au prix normal de 1939. En 1963, la jurisprudence a renforcé le droit au renouvellement du bail du preneur et la possibilité de la transmission quasi- héréditaire du bail. Ce statut a été analysé comme une dissociation du droit de propriété qui était « partagé » entre le bailleur et le preneur, la rente foncière étant aussi partagée, d’où résultait la pratique de pas-de-porte dans les régions de fermage[3]. Depuis lors, le statut du fermage a été amendé à plusieurs reprises, mais ses deux traits fondamentaux ont perduré : son montant est fixé réglementairement par le préfet et la reprise des terres par le propriétaire est difficile lorsque le fermier veut rester en place ou transmettre à un descendant[4].

Figure 1. Evolution du prix des terres

Source: auteur et Graph’Agri

Le marché foncier est orienté à la hausse dans les années 1960 (figure 1). Il y a à cela plusieurs raisons. D’abord, en monnaie constante, les prix agricoles se maintiennent à un bon niveau jusqu’en 1973-1974 car l’offre est insuffisante pour satisfaire la demande sur des marchés de produits agricoles qui ne sont pas autosuffisants. Ensuite, le prix des inputs (ou entrants) baisse (figure 2). L’amélioration du revenu qui en résulte entraine un effet haussier sur la rente foncière, donc sur le prix des terres (cf. encart 2). Enfin, le remplacement des générations, au début de la PAC, est assez lent : la taille des fermes n’augmente que lentement[5], ce qui freine leur mécanisation. Il en résulte une « faim de terres » et une soif de foncier des jeunes, qui cherchent à s’attacher les terres des futurs partants, à bon prix et moyennant quelques services (coups de main, etc.). Le prix des terres est multiplié par plus de deux entre 1960 et 1970 (figure 1). Cette hausse est appuyée par l’idée que la terre est une valeur refuge, alors que l’inflation est forte.).

La crise des excédents

Quand des excédents apparaissent … 

La réussite de la PAC permet d’atteindre rapidement l’autosuffisance alimentaire pour les grands produits les plus soutenus, puis une saturation des marchés pour certains d’entre eux, ce qui oriente les prix agricoles à la baisse à partir de 1975-76 (figure 2), malgré le soutien des prix par la PAC, qui les maintient au-dessus des prix mondiaux. En effet, l’Europe ou les Etats nationaux achètent les excédents à des prix d’intervention qui sont revalorisés tous les ans, mais de montants inférieurs à l’inflation, ce qui se traduit par une baisse des prix agricoles en monnaie constante.

Dans le même temps, en 1973, le prix des consommations intermédiaires augmente fortement (Figure 2) à cause, d’une part, du choc pétrolier (malgré le contre-choc de 1976, la hausse reprend avec le second choc de 1979) et, d’autre part, de l’embargo américain sur les exportations de soja, décidé en rétorsion au protectionniste de la PAC, ce qui provoque une hausse des prix de l’alimentation animale en Europe. Dans une expression imagée, on parle alors de ciseau des prix entre prix des outputs (branche du ciseau qui baisse) et prix des inputs (branche qui monte).

Figure 2. Indices des prix réels de la production et des consommations intermédiaires et valeur réelle des charges d’exploitation (indice 100 = 1990)

Source : Comptes de l’agriculture. Les consommations intermédiaires sont les biens et services consommés au cours de la production (engrais, pesticides, etc.). Les charges sont des dépenses non directement liées au volume de la production (intérêts, impôts, fermages, etc.).

Dans les productions les plus soutenues, les excédents s’accumulent. De 1975 à 1980, les dépenses de soutien des marchés du fonds européen de garantie agricole (FEOGA) augmentent de 55% en monnaie constante. Sur des marchés européens devenus excédentaires, l’Europe contingente progressivement la production pour limiter les dépenses de soutien aux exportations. Il faut détruire certains excédents (fruits et légumes), les donner (organismes caritatifs) ou les transformer (incorporation à des aliments du bétail). Des quotas limitant la production sont mis en place en 1984 dans le secteur laitier, qui ont un impact sur le prix des terres : ces quotas sont attribués aux exploitations laitières et, lors de cessions, ils sont capitalisés dans le prix des terres (cf. encart 2).

… le marché foncier s’oriente durablement à la baisse …

Le prix des terres tarde un peu à s’ajuster à cette nouvelle donne économique, tant est ancrée dans les esprits l’idée que ce prix ne pouvait que monter (de plus, des recherches montrent que les réactions aux chocs sont lentes). Mais le retournement se produit en 1979. La terre agricole n’est plus une valeur refuge. Son prix baisse de 57 % entre cette date et 1996 (figure 1). La théorie standard de la formation des valeurs foncières (encart 2) rend compte de ce basculement. En effet, le prix des terres agricoles est la capitalisation de la rente foncière anticipée. Or, les évolutions des prix (effet ciseau) et des volumes (excédents agricoles durables) conduisent à des anticipations négatives sur l’évolution des rentes futures. C’est le signe de dysfonctionnements des politiques agricoles, de la PAC en premier lieu, qu’il faut réformer. Avant d’en arriver à cette nouvelle étape, d’autres effets sur les ressources foncières doivent être mentionnés.

… et l’occupation agricole du territoire change …

En 1950, la surface agricole utilisée (SAU) en France était de 34,6 millions d’hectares, soit 62,8% du territoire[6], auxquels il faut ajouter 4,7 millions d’hectares de territoire agricole non cultivé. L’agriculture perd des terres au cours des cinquante ans qui suivent, principalement au profit de la forêt qui gagne 3,7 millions d’hectares entre 1950 et 1995 soit, en utilisant une unité de compte parfois utilisée, un gain de près de 1,5 départements tous les dix ans. Cette emprise forestière au détriment des cultures, qui porte surtout sur des terres agricoles marginales (montagne), associée au maintien de terres incultes à un haut niveau, engendre une grande peur des friches agricoles[7], inverse de la « faim de terres » de la période précédente. Bien qu’ils étaient dénoncés à cette époque, les effets environnementaux de ces substitutions sont positifs : la biodiversité progresse avec la substitution de cultures par de la forêt, et celle-ci est un puit de CO2.

Figure 3. Occupation du territoire

… au profit des céréales et oléo-protéagineux

Après la mise en place des quotas laitiers en 1984, les productions animales stagnent en volume tandis que les productions végétales continuent de progresser à un rythme soutenu (figure 4). De ce fait, la PAC a un fort impact sur la part des grandes cultures (céréales, oléagineux, protéagineux, etc.) et des cultures fourragères, concurrencées par des aliments du bétail importés à bas prix.

Figure 4. Surfaces en cultures fourragères (gauche) et grandes cultures (droite)

Cette substitution des cultures fourragères par des grandes cultures a également été favorisée par des réformes du statut du fermage au cours des années 1970[8], en particulier en permettant le retournement des prairies. En effet, si la fonction protectrice de ce statut pour le fermier était sa caractéristique principale (encart 1), d’autres articles défendaient la valeur du patrimoine du propriétaire. En particulier, le fermier ne pouvait pas mettre en culture des prairies naturelles, dont le prix était supérieur à celui des labours dans la plupart des régions. L’inversion de cette hiérarchie des prix, due à la PAC, a entrainé une modification de la réglementation du fermage et le retournement massif de prairies permanentes dans certains régions (périphérie du Bassin parisien, Sud-Ouest).

Le bilan environnemental de l’évolution de cette occupation du sol par l’agriculture est négatif, plus encore si on tient compte de l’intensification des grandes cultures[9]. En effet, l’élevage permet l’entretien du territoire dans des régions de montagne peu propices aux cultures, les prairies permanentes stockent du carbone, favorisent la biodiversité et améliorent la qualité des eaux.

La réforme de 1992 : du soutien par les prix aux aides directes

La réforme « McSharry » de 1992, dans le contexte des négociations du GATT, vise à normaliser les soutiens à l’agriculture et leurs effets sur les marchés mondiaux qui s’étaient développés dans les années 1980 (forte dépression des cours, explosion des dépenses de soutien en Europe comme aux Etats-Unis). Elle est en rupture avec la PAC des 30 premières années. Le prix des productions soutenues baisse progressivement (de – 15 % à – 35 %), avec une compensation intégrale par des aides directes aux exploitants, fonction des rendements antérieurs des productions. Une jachère obligatoire est instaurée (5 à 15 % des surfaces en céréales et oléoprotéagineux, sauf pour les petits agriculteurs). Des aides à l’hectare fixes, d’abord calées sur des rendements historiques des emblavements sont instaurées, puis  progressivement découplées de la production à partir de 2003, et  attribuées aux agriculteurs sur la base de droits historiques (les surfaces cultivées et les animaux présents entre 2000 et 2002), sans obligation de production autre qu’un entretien agro-environnemental des terres[10]. Simultanément la jachère obligatoire est supprimée. La PAC s’enrichit aussi à la fin des années 1990, d’autres mesures agri-environnementales et d’aides aux régions défavorisées pour accélérer le développement rural : c’est le second pilier de la PAC qui prend forme. Il s’ajoute au soutien à la production, qui reste le premier pilier, qui est affecté par ce nouvel objectif qui capte une partie (certes modeste) du budget de la PAC. La réforme de 1993 s’est traduite par une diminution des tensions excédentaires sur les marchés (due aux baisses de prix et à la jachère obligatoire et par une amélioration durant toutes les années 1990 du revenu des agriculteurs (due aux aides directes, qui ont compensé ces baisses). Un des résultats a été une tendance haussière du prix des terres (qui a aussi d’autres origines) (figure 1).

Encart 2. Formation du prix des terres agricoles et aides à l’agriculture

Le modèle de valeur actualisée (Present Value Model) explique le prix d’un actif comme la somme actualisée des revenus futurs qu’il procure qui, dans le cas de la terre, est la rente foncière. C’est le modèle de capitalisation de David Ricardo :

où le prix Pt en t est le rapport entre la somme des rentes périodiques Rt jusqu’en t et le taux d’actualisation r, supposé ici constant. A cours du temps, la rente foncière varie en fonction de données agricoles (prix, rendements) et de la rente d’usages non agricoles si l’occupation du sol change. Il s’agit donc d’une rente anticipée en fonction des futures rentes agricoles et non agricoles.

De nombreuses sophistications ont été apportées à ce modèle de base pour tenir compte du taux d’intérêt réel des emprunts, de l’inflation, de l’aversion pour le risque, d’impôts sur les plus-values, de frais de transaction lors de la vente et du crédit d’imperfections du marché, de valeurs d’option, etc. Just and Miranowski (1993)[11] proposent un modèle parmi les plus complets intégrant la plupart de ces déterminants des prix de la terre.

Les rentes futures peuvent être non agricoles, par exemple lorsque les acteurs anticipent la progression urbaine (terrains à bâtir, réseaux de transport, infrastructures, etc.) ou des usages de loisirs (résidences secondaires, etc.). Une littérature abondante est consacrée à ces changements d’usage selon le niveau de la rente future (R) ou le moment de la conversion (t) de la formule de capitalisation ci-dessus. A proximité des villes et des bourgs ou villages périurbains, les plus-values anticipées peuvent représenter une fraction importante du prix de terres qui restent présentement dans un usage agricole (jusqu’à la moitié de ce prix selon certains résultats).

La formule de capitalisation montre comment le soutien des prix agricoles fait augmenter la rente. Ces aides se répartissent entre le fermier et le propriétaire foncier en fonction de l’élasticité-prix de l’offre et des substitutions factorielles. Si l’élasticité est faible ou que les facteurs de production sont complémentaires, l’aide se capitalise entièrement dans le prix des terres. Les travaux appliqués montrent que la capitalisation des aides publiques à l’agriculture fait augmenter de 15 à 30 % le prix des terres (jusqu’à 70 % dans certains cas)[12]. Les aides au revenu des agriculteurs sont ainsi partiellement détournées vers les propriétaires des terres (agriculteurs-exploitants, leurs héritiers, propriétaires bailleurs).

La réforme de 1993 s’est traduite par une diminution des tensions excédentaires sur les marchés (due aux baisses de prix administrés) et par une amélioration du revenu des agriculteurs (due aux aides directes, qui ont plus que compensé les baisses réelles de prix). Un des résultats a été une tendance haussière du prix des terres (qui a aussi d’autres origines) (figure 1).

De la réforme de 1992 à la PAC actuelle

Après la réforme McSharry, « la ligne directrice qui se renforce au fil des réformes[13] est de découpler les aides de la production et de les conditionner au respect d’exigences croissantes en matière de protection des ressources naturelles et de l’environnement (processus de la conditionnalité et du verdissement) »[14]. Nous ne rentrerons pas dans le dédale de ces réformes.

Mentionnons qu’elles se traduisent par des baisses des aides directes, par leur « découplage » accru (avec les Droits à Paiement Unique[15] instaurés en 2003), par la suppression des quotas laitiers et sucriers, par le renforcement du second pilier, et par des aides spécifiques à l’installation de jeunes agriculteurs (2 % du budget du premier pilier).

C’est ainsi qu’on aboutit à la PAC de 2013 avec, pour le premier pilier, des paiements de base à l’hectare, complétés par des paiements verts, plus un paiement spécifique en faveur des jeunes agriculteurs et un autre pour les régions à fortes contraintes naturelles. Le second pilier prévoit des aides pour les régions rurales, la gestion durable des forêts, la protection des écosystèmes et la réduction des gaz à effet de serre, la réduction de la pauvreté et le développement des zones rurales. Vaste programme, auquel n’est attribué que 25% du budget de la PAC, le premier pilier continuant à se tailler la part du lion.

Cette continuité de l’orientation générale des réformes n’introduit pas de bouleversement en matière foncière. En particulier, les prix sur le marché vénal suivent la même tendance légèrement baissière depuis le milieu des années 1990. Par exemple, dans son rapport sur le prix des terres en 2014, la FNSAFER, organisme proche des opérateurs, résume « les facteurs d’influence de l’évolution du prix des terres au cours des trente dernières années »[16] (encart 3).

Encart 3. L’analyse de la FNSAFER sur l’évolution des prix des terres et prés

FNSAFER (2015). Le prix des terres. Analyse des marchés fonciers ruraux, p. 34

La variation des taux d’intérêt réels arrive en premier, car elle « détermine la capacité d’emprunt et donc la capacité à accepter ou non des prix en hausse, [et elle] concerne l’ensemble des acquéreurs ». S’ajoute à ce déterminant, qui joue un rôle fondamental, « le revenu agricole espéré par hectare [Cf. le numérateur de la formule de capitalisation, encart 2], (…) la confiance dans l’avenir et le moral des agriculteurs (…) et l’économie générale et le revenu des particuliers non agricoles ». La PAC joue un rôle dans ces évolutions, à travers la formation du revenu agricole, le moral et les anticipations des agriculteurs, mais l’économie non agricole prend une importance croissante, en particulier avec la baisse importante du taux d’emprunt, jugée durable.

En matière d’occupation des sols, la tendance générale de réduction des surfaces agricoles, principalement au profit de la forêt, mais aussi des autres usages (artificialisation) se poursuit, mais à un rythme plus lent (figure 3). Les deux tendances à la progression des grandes cultures et au recul des cultures fourragères se ralentissent nettement depuis la réforme McSharry (figure 4). C’est le résultat du découplage des aides directes (instauration du DPU remplacé en 2013 par le paiement de base et le paiement vert conditionné par le maintien des prairies permanentes) et d’aides spécifiques aux élevages extensifs et aux régions de montagne.

Les négociations sur la nouvelle PAC

La commission européenne a fait des propositions en 2018 pour une nouvelle réforme de la PAC, qui a été discutée par le Conseil et le Parlement. Il y a donc trois propositions sur la table, qui sont mises en discussion dans des trilogues entre les trois institutions. Un des aspects les plus nouveaux des discussions qui sont sur la table est l’introduction d’eco-schemes ou éco-régimes pour renforcer les mesures favorables à l’environnement, en particulier pour lutter contre le réchauffement climatique en complément des mesures agri-environnementales et climatiques (MAEC) du second pilier. La part des eco-schemes dans le premier pilier est un des éléments importants en discussion : les propositions sur la table vont de 20 à 40 %, le chiffre de 25 % permettant peut-être d’obtenir un consensus.

Des plans stratégiques nationaux sont en cours d’élaboration dans les Etats membres (la crise sanitaire venant retarder le calendrier), qui seront soumis à la Commission dans le cadre d’un nouveau modèle de mise en œuvre de la PAC entérinant une certaine nationalisation de cette politique et donnant plus de responsabilité aux Etats-membres. Les Etats membres devraient ainsi avoir des marges de manœuvre accrues, dans un cadre communautaire fixant les grandes orientations mais pas tous les détails. Fonciers-en-débat reviendra sur la future PAC 2023-2027 dans de nouveaux articles ou entretiens.

Synthèse

La Figure 5 donne une synthèse des dépenses de la PAC durant les quarante dernières années. L’histogramme est en euros courants, mais la structure de ces dépenses montre bien l’évolution décrite dans l’article. Jusqu’en 1991-1992, le soutien des marchés représenté par les couleurs rouge et orange, constitue la quasi-totalité du total des dépenses de la PAC, puis il se réduit fortement. Des aides couplées, c’est-à-dire liées au volume de la production, apparaissent en bleu foncé de 1992-1993 à 2005-2006, puis elles sont remplacées par des aides découplées et des aides directes, i.e. non liées directement aux quantités produites, à partir de 2006-2007, en vert sur la figure. Les mesures du second pilier, en violet, apparaissent timidement dans les années 1990 et se développent ensuite dans les années 2010, mais elles ne représentent qu’une mineure part du total en 2020. Le tracé de la courbe rouge montre la décroissance du total du budget de la PAC, d’environ 0,6% du PIB européen dans les années 1990 à environ 0,3% en 2020, cette décrue étant appelée à se poursuivre dans la PAC en projet. Ce volume budgétaire résulte des changements de la politique commune au cours du temps, mais aussi de l’élargissement progressif de l’Union européenne de 12 à 28 Etats membres.

Figure 5. La structure des dépenses de la PAC (1980-2020)

Source : Commission européenne, DG Agri


[1] Sur l’historique des questions foncières en France, voir : Boinon Jean-Pierre (2011). Les politiques foncières agricoles en France depuis 1945, Economie et Statistique n° 444-445, pp. 19-37. La Revue Foncière a publié un article de Kroll Jean-Christophe (« Les politiques foncières en question ») qui traite spécifiquement des aspects fonciers de la PAC.

[2] Parmi eux : Bureau Jean-Christophe, 2007. La politique agricole commune, La Découverte, collection Repères, 121 p. Bureau Jean-Claude, Thoyer Sophie, 2014. La politique agricole commune, Paris, France, La Découverte, 124 p. Détang-Dessendre Cécile, Guyomard Hervé. (coord.), 2020. Quelle politique agricole commune demain ? Ed. QUAE, 305 p.

[3] Cavailhès J., 1971. La rente d’exploitation et les pas-de-porte dans l’agriculture capitaliste, INRA.

[4] Les pas-de-porte sont maintenant institutionnalisés dans les régions de fermage dominant, et on distingue, sur le marché foncier, un prix des terres « libres », c’est-à-dire sans fermier en place et un prix des terres » occupées » qui est d’environ 20% inférieur.

[5] La taille moyenne des exploitations est passée de 14 à 19 hectares entre 1955 et 1970, puis elle a plus que doublé entre 1970 et 1995.

[6] Beraud Elizabeth, 1997. Depuis 1950, la concentration géographique a davantage concerné les cheptels que les cultures. Insee, Synthèses, pp. 41-55.

[7] Cf. par exemple : Dominique Normandin, Jean Cavailhès (1996). Usage des sols dans l’espace rural, Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n°2, pp.211-228.

[8] Boinon Jean-Pierre, op. cit.

[9] Le rendement en blé est passé de 18 à 65 quintaux par hectare entre 1950 et 1995.

[10] Pour prendre un exemple, une bande enherbée de 5 mètres doit être respectée entre les labours et les cours d’eau pour réduire le déversement d’engrais et pesticides et permettre au sol de cette bande de jouer sa fonction épuratrice et filtrante.

[11] Just, R.,  J. Miranowski (1993), “Understanding farmland price changes”, American Journal of Agricultural Economics, Vol. 75, No. 1, pp. 156-168.

[12] Latruffe Laure, Le Mouël Chantal (2009). ”Capitalization of government support in agricultural land prices: what do we know?”, Journal of Economic Survey, vol. 23 (4) pp. 659-691.

[13] Agenda 2000 : baisse de 15% des prix garantis des céréales, de 20% de ceux de la viande bovine avec compensation partielle par des aides directes qui sont « écoconditionnelles », réduction du pourcentage de terres gelées ; Accord de Luxembourg de 2003 qui élargit le conditionnement des aides au respect de la santé des hommes, des animaux et des plantes, réforme Ciolos de 2013.

[14] Détang-Dessendre Cécile, Guyomard Hervé (coord.), 2020. Quelle politique agricole demain ? Ed. QUAE, 305 p.

[15] Les DPU doivent permettre de compenser les baisses de revenu dues aux baisses de prix.  En ce sens, il s’agit « d’une ‘aide au passé’ destinée à reconstruire le revenu de ceux qui, autrement, auraient été pénalisés » (Franco Sotte, 2007, « La nature économique du Droit à paiement unique », Economie Rurale, n° 300, pp. 65-70).

[16] FNSAFER (2015). Le prix des terres. Analyse des marchés fonciers ruraux, p. 34.

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