Transparence des données sur la propriété foncière : une comparaison européenne sur 7 pays

par | 19 Jan 2025 | Le foncier en chiffres, Ouvrages//Recension

Un ouvrage de Thomas Hartmann, Cornelia Roboger, Brendan Eisenhut et Jana Novak: Chair of Land Policy and Land Management Department of Spatial Planning, TU Dortmund University, Dortmund [1]

En 2024, les auteurs ont réuni des experts de 7 pays européens – Allemagne, France, Pays Bas, Norvège, Pologne, Suède et Suisse- pour comparer la façon dont les informations sur la propriété foncière sont accessibles, et pour quel public.

En effet, la connaissance sur la propriété foncière est un enjeu fort, voir une condition majeure pour la mise en œuvre « efficace », « efficiente » et « équitable » des politiques publiques foncières. Le contexte assez généralisé en Europe d’une faible disponibilité foncière renforcée par les mesures de protection pour l’environnement rend ces besoins de connaissance encore plus pressants : lever les obstacles à l’opacité des marchés pourrait améliorer l’efficacité des efforts publics de régulation.
Il existe des différences marquées au sein de l’Union Européenne quant à la disponibilité des données foncières, différences qui semblent provenir d’un effet croisé de choix politiques et de possibilités légales et techniques. La question des choix politiques renvoie à des orientations très diverses selon les pays interrogés en matière d’intervention publique sur la propriété privée et sur les marchés fonciers et en matière de conduite des politiques foncières, sans qu’une ligne directrice puisse être identifiée. Cette note se concentre donc sur les possibilités légales et techniques d’accès aux données foncières.

Le tableau ci dessous propose un résumé des possibilités d’accès aux données sur la propriété, telles qu’elles ont été présentées par les experts sollicités. Il ne porte pas sur les données des transactions foncières (accessibles en France par les fichiers « demande de valeurs foncières » -DVF- ou la base B.I.E.N. des notaires) mais bien sur les données sur la propriété et leurs propriétaires, consignées, en France, dans le registre des hypothèques ou les « Fichiers fonciers » de la Direction Générale des Finances Publiques.

Les auteurs soulignent quelques aspects saillants issus de la comparaison des systèmes de ces 7 pays :
Les restrictions d’accès pour le grand public, les particuliers, aux données sont courantes dans tous les pays, indépendamment de leurs orientations politiques. En France et aux Pays-Bas, l’accès aux informations sur chaque parcelle est limité pour le grand public et fait l’objet d’une tarification qui peut décourager la collecte de données à grande échelle, tandis qu’en Norvège et en Suède la quantité d’informations pouvant être demandée par chaque utilisateur au cours d’une période donnée est limitée.
Une forte attention sur la protection des données individuelles apparait nécessaire dans le processus d‘accès aux données foncières. Parmi les pays étudiés, seuls les Pays-Bas autorisent les recherches directes de propriétaires individuels par leur nom, et seulement avec l’accréditation d’un « professionnel certifié ». Il semble toutefois que les mécanismes de contrôle pour obtenir une telle accréditation ne soient pas aussi rigoureux qu’ils auraient dû l’être.
Certaines informations restent peu claires ou inaccessibles, en particulier pour les propriétés détenues par des entités institutionnelles et des sociétés à actionnaires multiples dont la structure reste complexe. Les accords privés entre propriétaires fonciers, tels que les conventions ou les accords de droit d’achat, posent des problèmes supplémentaires.
Il faut être attentif au fait que l’objectif initial du cadastre est de garantir les droits de propriété foncière, et non de faciliter la connaissance. Modifier ou étendre l’objectif du cadastre nécessite une réflexion approfondie et un cadre institutionnel pour s’assurer qu’il peut remplir son objectif initial tout en répondant aux objectifs de connaissance.

Les discussions de ce groupe de travail ont permis d’identifier des questions communes à explorer.
– La distinction entre les personnes morales et les personnes physiques reste à éclaircir, en particulier lorsque les propriétaires sont masqués au sein d’entités juridiques. L’usage du cadastre pourrait être d’avantage mobilisé, en particulier pour aider à identifier les entités légales complexes qui possèdent la terre, comme c’est le cas lorsqu’ un promoteur est à la tête de plusieurs structures juridiques propriétaires de terrains.
– La transparence des propriétés de l’État est en question. Malgré les progrès réalisés, une grande opacité continue d’entourer les biens immobiliers de l’État. Des travaux visant à démêler les complexités de la propriété foncière de l’État pourraient fournir des informations précieuses aux décideurs politiques et aux parties prenantes.
– Les pratiques fiscales méritent d’être explorées. La compréhension des interactions entre les politiques fiscales et les objectifs de transparence foncière peut contribuer à l’élaboration de cadres réglementaires plus efficaces.
– Il serait également utile de comprendre le rôle des différentes parties prenantes, les juristes, les historiens, les officiers publics et les agences immobilières…, dans la gestion des données foncières. Ils peuvent en effet contribuer à des stratégies conduisant à plus de transparence et de responsabilité sociale.
– Enfin, les disparités géographiques dans l’accès aux données méritent d’être examinées. Elles peuvent mettre en évidence, comme dans le cas Suisse, de disparités territoriales structurelles.
– De plus, une évaluation des liens entre les sources statistiques peut mettre en lumière le potentiel qu’offrent les moyens technologiques pour rationaliser la connaissance de la propriété foncière.

Ce qui ressort de cette lecture
L’ouvrage donne un rapide tour d’horizon des pratiques en matière de connaissance de la propriété foncière. Bien qu’il soit structuré autour de questions communes, énoncées de façon uniforme, il manque sans doute d’un vocabulaire commun pour caractériser les informations foncières attendues sous couvert de « données foncières ». Documenté par « dire d’expert » il peut masquer des éléments formulés de façon incomplète ou biaisée. Il reste malgré tout un premier pas vers la connaissance, revenant sur certaines idées reçues en mettant l’accent sur des tendances communes et en ouvrant des voies pour la comparaison.
Rares sont les pays qui adoptent, aujourd’hui, un accès complétement libre et transparent aux données foncières. Pour les décideurs publics européens, à partir des exemples représentés dan cet ouvrage, l’information sur la propriété reste considérée comme « stratégique ». Derrière le discours d’une ouverture vers plus de transparence, les embuches techniques paraissent récurrentes, entretenues? Au-delà des fondements idéologiques liés à la propriété foncière, nous y voyons un signe de la territorialisation des marchés fonciers et des politiques liées, difficilement affectée par la libre circulation des capitaux et des facteurs de production.

data EU

[1] dans le cadre d’un programme de recherche « Recherche générale départementale » de l’Institut fédéral de recherche sur la construction, les affaires urbaines et le développement spatial (BBSR) pour le compte du ministère fédéral du logement, du développement urbain et de la construction (BMWSB).

 

 

 

 

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