Le Nouvel esprit de Marseille [André Donzel]

L’Harmattan, collection « Questions contemporaines ». 176 p. 2014

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C’ est une plongée passionnante dans la cité phocéenne que nous propose André Donzel, sociologue spécialiste des ques- tions urbaines et fin connaisseur de Marseille. À rebours de beaucoup d’idées reçues, il revient sur la trajectoire de la ville pour en dresser un portrait bien plus contrasté qu’il ne l’est habituellement.

Indubitablement, Marseille demeure profondément marquée par le stig- mate des difficultés sociales. Le taux de pauvreté dans le nord de la ville bat des records nationaux. Propor- tionnellement moins nombreux qu’à Paris et Lyon, les étrangers sont davantage touchés par la misère. La ville connait une « gentrification à l’envers » à l’américaine, « concentrant ses pauvres et dispersant ses riches » sur la périphérie.

Face à ce constat d’échec indéniable des politiques publiques, le dyna- misme économique particulier de la métropole méditerranéenne suscite davantage l’optimisme. La forte croissance de l’économie résidentielle (principale source d’emplois) s’ajoute à celle de l’activité portuaire, particulièrement productive et diversifiée, très concentrée autour de quelques entreprises compétitives. Mais ces succès économiques, fondés sur les services et des entreprises industrielles de moins en moins ancrées localement, suffiront-t-ils à compenser durablement la destruction des deux tiers des emplois industriels de la ville dans le dernier quart du XXe siècle (soit un choc industriel encore plus brutal que celui vécu par la Lorraine) ? Suite à la crise de sa position internationale (liée à l’économie coloniale), Marseille s’est repliée à partir des années 60 et 70 sur son arrière-pays, lequel connaît alors un étalement urbain particulière- ment important, mal anticipé par les autorités locales. Les projets de renouvellement urbain initiés à partir des années 1990 (Euroméditerranée) augurent peut-être d’un nouveau cycle, orientés vers la revitalisation d’un centre-ville délaissé. Même si l’État est à la manœuvre dans les opérations récentes de revitalisation, André Donzel explique pourquoi le modèle de développement urbain par « franchisation » (reprenant en cela une notion développée par David Mangin), est à Marseille un phénomène ancien. Il prend sa source essentiellement dans la montée en puissance du secteur privé des réseaux – due à l’incapacité historique de l’État jacobin à structurer des régies locales en matière de gestion de l’eau et de l’assainissement – et dans le poids croissant d’une économie immobilière soutenue par l’investissement privé (dont une part importante en investissement locatif ). Enfin, le recul de la mixité résidentielle, le développement d’ensembles résidentiels fermés, la polarisation du vote dans l’espace et la gouvernance en crise de la métro- pole sont des signes inquiétants d’antagonismes dans l’aggloméra- tion marseillaise, au sein de laquelle« les disparités sociales n’ont jamais été aussi amples ». Les succès économiques engrangés récemment par la « capitale culturelle de l’Europe » (la culture y est de fait devenue un secteur fortement créateur d’emplois) sont donc à relire au prisme de ces évolutions.