Transparence sur les ZAC : la qualité du logement est aussi affaire de bilan d’aménagement

Une opération d’aménagement est-elle réductible à un tableur Excel ? Assurément non ? Mais le bilan d’opération d’aménagement demeure au cœur d’un des réacteurs de l’intervention conduite par un aménageur pour la création d’un morceau de ville, historiquement à partir d’un champ de betteraves ou de patates, d’une zone en tout cas encore non urbanisée ; plus récemment en transformant des lieux délaissés ou des friches. Dans Transparence sur les ZAC, une étude d’Ibicity (Isabelle Baraud-Serfaty) pour l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (IDHEAL), il n’est pas question d’extension urbaine mais de recyclage foncier, avec une méthode inédite pour comparer les bilans d’aménagement de 13 opérations réelles (12 ZAC + 1 opération hors ZAC).

Cette étude s’inscrit dans le corpus proposé par IDHEAL, qui met au cœur de ses réflexions la qualité du logement, étudiée sous différents prismes, via la conception, les choix des politiques locales de l’habitat ou, dans le cas présent, l’aménagement urbain. L’étude montre que la qualité du logement ne tient pas qu’à son architecture : son environnement et son insertion urbaine, dictés par les options d’aménagement, comptent tout autant pour améliorer le cadre de vie et sont le résultat de contraintes économiques et de choix politiques.

L’étude Transparence sur les ZAC propose de dévoiler le fonctionnement de la « table de mixage » qu’est le bilan d’opération. Table de mixage, car tout est question d’équilibre pour aboutir à la bonne tonalité, autrement dit à la vision urbaine qui apportera la meilleure qualité de projet. L’aménageur doit équilibrer le bilan de l’opération, c’est-à-dire réfléchir à un budget au service du projet (et non l’inverse), réunir les recettes qui compensent les dépenses, et mettre en œuvre les choix portés par les élues et les élus. Dès lors, l’aménageur endosse lui-même un double rôle, entre technique et politique, dans une partition qui joue sur toutes les tonalités. Pour exposer et analyser ces mécanismes de péréquations au cœur du bilan d’aménagement, l’étude est structurée autour de 17 idées reçues et chacune est confirmée ou infirmée à partir des 13 opérations de l’échantillon.

La recherche et les études en aménagement ont rarement considéré les bilans comme objet de recherche. Certaines mobilisent les bilans pour répondre à des questions opérationnelles. Par exemple, des travaux récemment publiés, dans une approche analytique et monographique, qui dénouent les rapports entre acteurs, présentent la construction des grands équilibres financiers de l’opération liés aux choix de la procédure d’aménagement[1]. D’autres travaux ont mis en regard les coûts engagés dans les différents postes de dépenses, dans des bilans d’opérations en Île-de-France avec pour but d’économiser le coût foncier[2]. Transparence sur les ZAC relève deux autres défis méthodologiques de manière plus inédite : celui de la comparaison de bilans d’opérations d’aménagement et celui de l’articulation entre les données financières, c’est-dire les dépenses et les recettes, et les données physiques, c’est-à-dire le programme à construire.

La comparaison proposée par Ibicity est une mise en regard chiffrée des bilans, à partir d’une grille d’analyse spécialement élaborée, la grille physico-financière, présentée en annexe pour chacune des opérations. Les catégories qui en constituent la trame forment une matrice dans laquelle chaque opération peut s’inscrire et, ainsi, être confrontée à une autre, poste par poste. En articulant les données économiques du bilan « à terminaison[3] » avec les surfaces à construire correspondantes (en m² de surface de plancher – SDP), l’étude permet de donner à voir et d’expliquer les péréquations conçues pour équilibrer les bilans. Y sont décomposés les coûts – de la mixité sociale, de la mixité programmatique, des équipements et du recyclage urbain et recettes issues de la vente de charge – et les recettes – charges foncières en fonction du programme, participations, subventions publiques. Bien sûr, l’interprétation des résultats doit se faire avec prudence mais la grille physico-financière permet, grâce à la comparaison, de formuler des hypothèses, de soulever des questionnements et d’aborder frontalement le nerf de la production urbaine et du logement, celui qui motive un grand nombre de décisions : l’argent. L’économie n’étant jamais ici déconnectée de la réalité matérielle, des logements, des immeubles, des équipements, des espaces verts, des réseaux… Une opération d’aménagement n’est donc pas réductible à un tableur Excel. Mais la grille physico-financière permet de comprendre en un coup d’œil les équilibres programmatiques et financiers d’une opération et donc son économie globale, ce qui en dit beaucoup sur les choix politiques qui les sous-tendent.

Conception de la grille : Ibicity / Graphisme : Damien Bauza et Pedro Cardoso / IDHEAL

Cette étude, qui présente la grille physico-financière pour l’analyse des bilans d’opérations d’aménagement, éprouvée à travers 13 cas d’étude, est un premier pas pour permettre la comparaison entre opérations. Au moins quatre voies peuvent néanmoins être ouvertes pour faire évoluer cette grille et les manières de l’exploiter :

  • La grille pourrait être étoffée, contenir davantage d’informations et donc permettre davantage de comparaisons. Par exemple, elle pourrait décliner de manière plus fine les types de logement et les charges foncières associées. La grille montre que les aménageurs pratiquent une modulation des prix de cession des charges foncières entre logement libre et logement social, mais qu’en est-il de modulations potentielles entre les différentes catégories de logement social, locatif ou en accession (quid des terrains achetés par des organismes de foncier solidaire ?) ou d’autres types de logement, comme le logement locatif intermédiaire ? Une lecture plus fine entre les catégories de logements permettrait d’expliciter les politiques locales de l’habitat et la façon dont elles s’appuient sur les opérateurs qui les mettent en œuvre, comme les aménageurs ;
  • La grille pourrait être affinée en fonction du type d’aménageur titulaire de la concession d’aménagement. La place croissante d’investisseurs ou de groupes intégrés (c’est-à-dire parties prenantes via des filiales dans l’aménagement, la promotion immobilière et l’exploitation) interroge la pertinence du bilan d’aménagement, bilan à terminaison et n’intégrant pas les coûts d’aménagement portés par d’autres opérateurs que l’aménageur. Cette question semble d’autant plus cruciale à l’heure du recyclage foncier, et notamment lorsque les friches appartiennent à des foncières comme dans le cas des friches commerciales ;
  • Le recyclage foncier et la nécessité de réduire notre empreinte carbone conduisent les aménageurs à conserver de plus en plus de bâtiments dans les secteurs qu’ils transforment. Si les gains liés aux émissions de carbone et à la consommation de matière/matériaux évités sont globalement avérés, une question existentielle se pose pour l’aménagement : que devient le bilan sans vente, ou très peu, de charges foncières, c’est à dire avec des recettes largement réduites ? L’étude montre bien que ce poste constitue la principale ressource de cette activité. L’aménagement sans cession de charges foncière représente donc un saut dans le vide pour ce métier qui n’a pas encore trouvé la martingale ;
  • La grille physico-financière mesure en euros les dépenses et les recettes correspondant aux transformations physiques de l’espace, c’est-à-dire la construction de nouveaux mètres carrés de surface de plancher. Ni plus, ni moins. Elle ne permet donc pas, en l’état, d’entrer dans les multiples débats sur les valeurs dans l’aménagement : que doit-on compter dans un bilan ? dans quelle unité ? et quel acteur rendre comptable de ces mesures ? Dit autrement, et pour reprendre Transparence sur les ZAC : dans un bilan d’aménagement, un espace vert est considéré comme un coût, alors que son existence physique, en améliorant le cadre de ville et de vie peut sans doute en éviter beaucoup d’autres. Mais l’absence de ces bénéfices sociaux, de santé publique et environnementaux, ce que les économistes appellent externalités positives, ne sont pour l’instant pas comptabilisés dans les bilans. Pas plus que des coûts d’exploitation moins lourds lorsque la qualité de conception et de construction est, dès le début des projets, considérée comme un enjeu essentiel.

Ces quatre points constituent autant de raisons d’éprouver la grille physico-financière proposée par Ibicity dans Transparence sur les ZAC. Et de poursuivre les réflexions qui permettront aux aménageurs de mener la transformation des villes dans le cadre d’opérations d’aménagement, plus à-mêmes d’assurer le financement collectif des espaces et des équipements publics et la non-artificialisation des sols.


[1] J. Idt, M. Llorente, Y. Miot, T. Vilmin, L’économie de l’aménagement en pratiques. Financer les coûts d’urbanisation, Editions du Moniteur, 2023.
[2] « Réduire les coûts fonciers : quels leviers ? », Observatoire régional du foncier en Île-de-France, rapport du groupe de travail, 2016.
[3] Le bilan à terminaison est le bilan économique de l’opération d’aménagement, établi par l’aménageur à un instant t en se projetant à la clôture de l’opération, c’est-à-dire une fois l’opération entièrement livrée. Ce document est central dans le pilotage économique et financier d’une opération.