Redécoupages territoriaux : la métropole lyonnaise face à ses périphéries

par et | 7 Sep 2014 | Fiscalité et politiques publiques | 0 commentaires

La coopération intercommunale a beaucoup progressé depuis les années 1990. Presque toutes les communes font maintenant partie d’une communauté. L’intercommunalité parfois dite « de tuyau », basée sur des coopérations techniques pour la réalisation d’infrastructures, tend à devenir une intercommunalité « de projet », visant à construire un avenir politique commun. Le verre n’est toutefois qu’à moitié plein. Les évolutions récentes de la carte intercommunale dans les périphéries lyonnaises illustrent les limites des processus en cours. Comme aux pires heures des traités internationaux, de véritables corridors communaux se sont constitués. Les événements se sont déroulés autour de deux discontinuités de la carte intercommunale. L’une concerne le Grand Lyon, dont le territoire n’est plus d’un seul tenant depuis l’intégration de Givors et Grigny. L’autre concerne la communauté de communes de l’Est lyonnais, où se trouve l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry. Ces deux discontinuités vont être supprimées, mais la manière est pour le moins originale. La volonté de rétablir la continuité s’est heurtée à des limites difficilement franchissables. Comme on le sait, l’extension des communautés urbaines remet souvent en question des intérêts fiscaux, et les communautés de communes qui contrôlent des ressources importantes sont évidemment peu favorables au partage avec la communauté urbaine voisine. On le sait également, l’extension des communautés urbaines se heurte fréquemment à la volonté des territoires voisins de maîtriser leur avenir. Il ne s’agit pas seulement de préoccupations politiciennes de maires soucieux de conserver leurs prérogatives. De plus en plus, les communes et communautés périphériques sont porteuses de projets politiques distincts de ceux des coeurs métropolitains. Elles ne sont plus des banlieues qui regardent vers le centre. Elles sont tout autant attirées par le cadre de vie des campagnes que par les ressources des coeurs métropolitains 1. Face à ces attentes, le département reste un interlocuteur structurant, même lorsqu’il est petit, et prochainement évidé d’une large part de son territoire, comme le Rhône.

Histoires de discontinuités

La commune de Millery (3 630 habitants, 922 hectares), fait partie du canton de Givors, à 15 km au sud-ouest de Lyon. En 2007, quand les communes de Givors et Grigny ont rejoint le Grand Lyon, cette commune s’est fermement opposée à son intégration. En conséquence, Givors et Grigny sont restées séparées du périmètre initial du Grand Lyon (voir figure 1). Les raisons de cette opposition étaient alors assez similaires à ce qu’elles sont aujourd’hui et nous les exposerons plus bas. Quoi qu’il en soit, l’opposition de Millery à son entrée au Grand Lyon a été suffisamment forte pour faire amender les textes de lois nationaux. Des personnalités politiques de premier plan se sont mobilisées pour introduire un amendement à la loi Chevènement de 1999 qui permette au Grand Lyon de travailler avec Givors et Grigny malgré l’obstacle de la discontinuité. Ce fut chose faite en 2004, par introduction d’un « cavalier législatif » dans la loi Libertés et responsabilités locales 2. La France est un État très centralisé, mais certaines petites communes savent peser… La petite commune de Jons (741 hectares, 1 319 habitants), située aux confins du Rhône, de l’Isère et de l’Ain présente un autre cas intéressant : bien que riveraine du Grand Lyon, elle avait préféré, en 1993, former avec cinq autres communes la CCEL (Communauté de communes de l’Est lyonnais). Malheureusement, elle en est séparée par une commune, Villette d’Anthon, située en Isère alors que les autres communes de la CCEL se trouvent dans le Rhône.

Cette discontinuité territoriale avait été autorisée car, avant la loi Chevènement de 1999, aucun texte ne l’interdisait. Son maintien actuel montre les difficultés rencontrées par les communautés urbaines pour s’étendre, mais aussi l’influence déterminante des limites départementales dans le gouvernement des villes. La carte intercommunale constituée avec Jons et Millery a été mise en cause par la loi de Réforme des collectivités territoriales (RCT) de 2010. Cette loi impose en effet la disparition des discontinuités au sein des communautés. Un premier schéma révisant les périmètres du Grand Lyon et de la communauté de communes de l’Est lyonnais a donc été présenté par le préfet du Rhône en avril 2011. Il propose l’intégration de Jons et de Millery au Grand Lyon, afin d’étendre le périmètre de la communauté urbaine, mais aussi de supprimer les discontinuités territoriales liées à ces deux communes 3.

Ce projet n’a pas abouti. Plusieurs communes et communautés ont émis des avis négatifs. La communauté de communes de la Vallée du Garon (CCVG), dont Millery fait partie, a ainsi indiqué qu’elle était « d’accord avec la commune de Millery pour émettre un avis négatif sur le projet de SDCI (schéma de coopération intercommunale) présenté par monsieur le préfet du Rhône en ce qu’il prévoit le retrait autoritaire de la commune de Millery de la communauté de communes et son rattachement non moins unilatéral au Grand Lyon […]» 4. Dans le même esprit, le conseil de la CCEL a émis un avis défavorable au rattachement de Jons à la communauté urbaine de Lyon. A la suite de ces deux avis, le conseil communautaire du Grand Lyon a lui-même émis un avis négatif sur les propositions du préfet du Rhône, prenant acte d’une part des souhaits de Millery et Jons de demeurer dans leurs communautés respectives et affirmant d’autre part son souhait de ne pas intégrer de nouvelles communes contre leur gré 5. A la suite de cela, les services de l’État ont décidé de maintenir Jons et Millery dans leurs communautés.

Ne rien changer

Quelles sont les motivations de Millery et Jons, et de leurs communautés, pour maintenir le statu quo ? Les arguments sont classiques. Les deux communes mettent en avant la défense de leur autonomie. Comme lors de son refus d’intégration au Grand Lyon au moment de l’entrée de Givors et Grigny, Millery souligne sa crainte de ne plus avoir une voix qui compte au sein de sa communauté. Comme nous l’a indiqué le maire de l’époque 6, Marc Cliet : « […] Si on rentre au Grand Lyon, j’aurai une voix sur 158, donc lorsque nous serons dans la grande salle, pour se faire entendre ça sera plus difficile. » Les arguments sont similaires à Jons. Le maire explique : « La préfecture a vu que le Grand Lyon ne pourrait pas nous bouffer comme ça. Même si nous sommes petits, nous sommes Gaulois. On se défend. […] On a essayé de trouver toutes les solutions. On aurait pu faire la grève de la faim. » Dans sa bataille contre l’intégration au Grand Lyon, Jons a d’ailleurs cherché l’appui d’autres communes en soulignant que, si elle était contrainte d’intégrer le Grand Lyon, cela créerait un précédent et que d’autres communes seraient menacées à leur tour 7. L’enjeu de l’autonomie communale est aussi fiscal. Si la CCEL suscite tant d’intérêt c’est qu’elle possède une pépite : l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry, à la fois moteur d’une importante activité économique et gage d’importantes ressources fiscales. La CCEL est donc riche. Ses membres bénéficient d’une dotation de solidarité attrayante 8. Cette aisance fiscale explique pourquoi deux communes, Saint-Pierre-de-Chandieu et de Toussieu, restées jusque-là à l’écart de toute communauté, ont accepté de la rejoindre en janvier 2013. La communauté de communes de la vallée du Garon, à laquelle appartient Millery, a un potentiel fiscal moins élevé, mais le maire de Millery estime qu’il n’a pas non plus intérêt à intégrer le Grand Lyon car cela se traduirait par une forte augmentation de la fiscalité, peut-être un doublement. Bien sûr, l’intégration au Grand Lyon permettrait de bénéficier de services supplémentaires, notamment en matière des transports en commun. Millery est ainsi traversée par des lignes des transports en commun lyonnais qui ne marquent pas d’arrêt : si elle intégrait le Grand Lyon, des arrêts seraient créés et la commune bénéficierait d’une meilleure desserte. Mais l’intérêt d’une telle desserte ne suffit pas à contrebalancer les inconvénients de l’intégration au Grand Lyon. De toute façon, les communes voisines du Grand Lyon ont la possibilité d’intégrer le syndicat des transports en commun lyonnais, le Sytral, sans entrer dans le Grand Lyon. Or Millery n’a même pas ce souhait. Pour des communes telles que Jons ou Millery, l’intérêt d’une intégration au Grand Lyon est d’autant plus limité que les services qui leur seraient apportés ne correspondent pas à leurs projets. Concernant les transports en commun, le maire de Millery déclare : « Il faut savoir ce qu’on veut : préserver notre qualité de vie ou avoir des bus toutes les 5 minutes et des arrêts tous les 100 mètres » 9. Le maire est certes conscient que certains de ses administrés ont besoin de transports en commun, mais cette desserte ne doit pas mettre en péril le caractère campagnard de la commune. Et le maire de la commune de poursuivre : « On n’est pas en ville ici, nous sommes à la campagne. On n’a jamais demandé des services hyper sophistiqués. Ils doivent répondre à nos besoins, c’est tout. […] Ce n’est pas la peine de mettre en place les services du style lyonnais où les bus circulent tout le temps. ça coûte très cher […]» 10. En réalité, Jons et Millery ne se reconnaissent pas dans le projet politique du Grand Lyon. Elles ne se sentent pas directement concernées par sa volonté de s’affirmer comme une métropole de rang européen. Elles jouissent d’un cadre de vie au moins autant rural qu’urbain. Le maire de Millery résume ainsi la situation : « La raison fondamentale pour laquelle Millery n’a pas voulu rentrer dans la Communauté urbaine, c’est qu’elle se considère comme rurale. » 11

Problèmes de voisinage

Une autre question pèse sur les prises de position : le peuplement de la commune. Même si les habitants et les élus rencontrés restent discrets sur cette question, le peuplement pèse à double titre. Il y a d’abord la crainte que l’intégration au Grand Lyon se traduise par l’obligation de construire des logements sociaux. Certes, les communes aisées de l’Ouest et du Nord lyonnais montrent qu’il est possible de conserver une faible part de logements sociaux tout en étant dans le Grand Lyon, mais la pression communautaire qui s’exerce est réelle, alors qu’en dehors du Grand Lyon, la plupart des communes restent libres de n’avoir aucun logement social (les taux plancher qui en imposent s’appliquent seulement aux communes de plus de 3 500 habitants 12 membres d’une agglomération ou d’une communauté de plus de 50 000 habitants). Par ailleurs, comme l’a montré Philippe Estèbe (2008), les communes choisissent leur communauté en partie en fonction des caractéristiques sociologiques de leurs membres. Cette hypothèse mériterait des enquêtes plus approfondies pour être validée, mais il semblerait que les communes qui seraient voisines de Jons au sein du Grand Lyon et plus encore celles qui seraient voisines de Millery ont des caractéristiques qui renforcent les réticences. Ainsi le Grand Lyon est divisé en neuf « bassins de vie » dont les maires concernés sont réunis en conférences. Dans ce contexte, Millery serait associée, outre Givors et Grigny, à Pierre-Bénite, toutes communes populaires, qui ont beaucoup souffert de la désindustrialisation. La pertinence de cette hypothèse est renforcée par l’adhésion récente de Lissieu au Grand Lyon et celle en cours de Quincieux. Ces deux communes ont des caractéristiques comparables à Millery et Jons et revendiquent tout autant un cadre de vie campagnard. Simplement, en rejoignant le Grand Lyon, elles ont rejoint ou rejoindraient un bassin comprenant des communes d’un type proche, tant sur le plan paysager que sur le plan social.

“ Malgré les efforts du législateur, le pouvoir communal reste déterminant. ”

Notons enfin que, dans leur résistance aux injonctions des services de l’État, Jons et Millery ont aussi été soutenues par le département du Rhône. Pour obsolète que certains jugent cette institution, elle conserve une influence bien concrète au sein des aires métropolitaines. Derrière la question de l’extension du Grand Lyon, se joue une concurrence forte entre la communauté urbaine et le département du Rhône. Contenir le Grand Lyon et limiter son extension est pour le Rhône un enjeu important pour maintenir son influence, ceci d’autant plus qu’en dehors des cas particuliers des départements d’Île-de-France et du territoire de Belfort, le Rhône est le plus petit département de France métropolitaine. Conserver l’aéroport de Lyon dans son giron constitue également un enjeu stratégique. Cette attention du département du Rhône aux communes limitrophes du Grand Lyon s’est dernièrement manifestée dans les transports. Dans le cadre de la création de la métropole de Lyon et de la séparation quasi complète entre le département et le Grand Lyon, des communes de la CCEL ont été mises en demeure d’intégrer le syndicat des transports en commun lyonnais pour pouvoir continuer à bénéficier de la desserte dont elles disposaient en vertu d’arrangements anciens. Ces communes ont refusé. Les lignes de bus qui les desservaient ont été supprimées en 2013. Le département a immédiatement réagi en déployant une nouvelle offre de transports publics permettant aux habitants des communes concernées de rejoindre le Grand Lyon.

Figure 3 : Redressement des limites communales proposé par Millery
Sources : BD ORTHO® IGN. Réalisation : Arie Fitria, 2013.

Corridors intercommunaux

Reste que les refus de Jons et Millery d’intégrer le Grand Lyon laissaient irrésolu le problème des discontinuités territoriales. Les deux municipalités ont établi divers contacts, notamment avec le conseil général du Rhône et avec l’association des maires de France pour rechercher une solution. Des propositions ont alors émergé. Millery a ainsi proposé de réduire son territoire et de transférer aux communes voisines du Grand Lyon des terrains situés le long du Rhône. Ces terrains appartiennent soit à Réseau ferré de France, soit sont gérés par la compagnie nationale du Rhône et le syndicat mixte du Rhône des Îles et des Lônes. Les acteurs concernés sont donc peu nombreux et peu affectés par l’éventuelle modification des limites communales. Surtout, il n’y a aucun habitant, ce qui limite fortement l’impact politique local du changement. En particulier, ce changement n’oblige pas Millery ni le Grand Lyon à modifier la géographie des services qu’ils apportent à leurs habitants. Une solution similaire a été retenue pour assurer la continuité entre Jons et le reste de la communauté de communes de l’Est lyonnais. Principale différence, cette solution n’a pas été proposée par Jons mais par Jonage, commune voisine membre du Grand Lyon. Son maire affirme qu’il a fait cette proposition dans le cadre des liens anciens entre les deux communes et de leurs relations de bon voisinage. Cette proposition a été également faite en concertation avec le président du Grand Lyon. Il s’agit donc d’échanger des terrains sur lesquels porte la juridiction des deux communes. L’échange porte de chaque côté sur un périmètre d’environ deux hectares et il concerne pour l’essentiel un tronçon de voies départementales, géré par le conseil général. Dans l’ensemble, le changement a un impact politique local limité. Quelques propriétaires privés de Jonage sont affectés, mais il s’agit de terrains agricoles d’une superficie limitée (d’environ 2 000 m2).

Figure 4 : Redressement des limites communales de Jons et Jonage
Sources : BD ORTHO® IGN. Réalisation : Arie Fitria, 2013.

Dans les deux cas, les propositions de modifications des limites communales du Grand Lyon ont été validées en commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) et les arrêtés préfectoraux ont été pris en 2013 13. Ces « solutions » respectent la loi de 2010 sur les collectivités territoriales à la lettre, mais elles n’en respectent évidemment pas l’esprit. Les changements effectués sont des artifices qui, s’ils permettent une continuité géographique, ne créent pas de véritable continuité territoriale. Dans le cas de Millery par exemple, les lignes de bus qui relient Grigny et Givors à Vernaison ne feront toujours pas halte sur la route départementale qui traverse la commune. Mieux, on pourra gagner Givors et Grigny depuis le centre de Lyon par train, par bateau et à pied sans quitter le territoire du Grand Lyon, mais on ne pourra pas le faire en voiture. Enfin, la suppression de la discontinuité entre Vernaison et Grigny au sein du Grand Lyon se fera au prix de l’introduction d’une discontinuité dans le territoire du département du Rhône, du moins lorsque son domaine d’intervention sera amputé de la future métropole de Lyon 14. A l’est de la future métropole, les communes du département seront enclavées. Par ailleurs, dans cette partie enclavée, entre Jons et Pusignan, la continuité du territoire départemental prendra la forme d’un corridor (voir figure 4).

Le département face à la métropole

On peut s’amuser de cette comédie. On peut aussi se désoler devant tant d’énergie déployée pour ne presque rien changer. La métropolisation n’empêche pas les frontières départementales de demeurer imperméables. De même, malgré les efforts du législateur, le pouvoir communal reste déterminant. Il sert en outre des intérêts parfois discutables : que dire en effet des préoccupations, d’ailleurs peu exprimées en public, relatives au peuplement intercommunal et au logement social ? Les arguments relatifs à la fiscalité mettent quant à eux en cause la solidarité entre territoires. Ces critiques sont légitimes et importantes. Au demeurant, les résistances aux modifications des périmètres des intercommunalités ne sont pas seulement motivées par des égoïsmes ou par des jeux politiciens. Reprenons l’exemple de la fiscalité : pourquoi deux communes devraient-elles se voir imposer une intégration fiscale au Grand Lyon qui n’est pas demandée à d’autres communes pourtant similaires ? Les enjeux relatifs à la solidarité et à la redistribution des ressources fiscales locales ne doivent-ils pas être traités à d’autres échelles, à commencer par celle du territoire national ? Surtout, Millery et Jons sont deux communes dont l’identité et les projets sont autant tournés vers les campagnes que vers le coeur de la métropole lyonnaise. Ce positionnement identitaire, que l’on peut qualifier d’intermédiaire, leur donne des arguments solides pour s’opposer à leur intégration au Grand Lyon. Leurs projets sont mieux incarnés et défendus par les communautés de communes auxquelles elles appartiennent qu’ils ne pourraient l’être par le Grand Lyon. D’une manière générale, au-delà des limites d’une grande communauté urbaine telle que le Grand Lyon, on ne trouve plus des banlieues pour lesquelles l’avenir est urbain, mais des territoires qui accordent autant sinon plus d’importance à un cadre de vie campagnard qu’aux ressources des grands centres urbains. Dans ce contexte, le département peut jouer un rôle de premier plan. L’état des lieux est éloquent. Tout d’abord, les couronnes périurbaines s’étendent rapidement. En même temps, les communautés des coeurs d’agglomération ont du mal à intégrer de nouvelles communes. Ainsi, pendant que l’aire urbaine de Lyon passait de 296 à 514 communes entre 1999 et 2010, le Grand Lyon gagnait 2 communes, Givors et Grigny 15. Si les communautés urbaines ne s’étendent pas ou plus beaucoup, comment représenter et organiser des territoires périphériques qui eux se développent ? Ces territoires sont bien maillés par des communautés de communes, mais ces dernières restent petites et incapables d’organiser les vastes étendues des aires urbaines. Il y a aussi des syndicats porteurs de SCOT, mais ce ne sont pas des structures dotées d’un poids politique significatif. Dans ce contexte, le Rhône, avec sans doute l’Ain et l’Isère, au sein desquels Lyon a largement étendu son aire d’influence, pourraient s’imposer comme les représentants politiques des périphéries lyonnaises et devenir les interlocuteurs du Grand Lyon pour l’organisation de l’aire urbaine. Et une telle évolution pourrait bien concerner de nombreux autres départements autour des grandes métropoles françaises.

Siège de la communauté urbaine du Grand Lyon

L’énoncé d’une telle perspective peut surprendre. La suppression des conseils départementaux semble pour bientôt. Les récentes annonces politiques à ce propos surviennent après des évolutions législatives et administratives très défavorables aux départements. Dans le domaine de l’aménagement, l’administration déconcentrée de l’État s’est réorganisée autour des régions au détriment des départements. La loi métropoles de 2014 attribue aux régions un rôle de chef de file pour l’aménagement. Mais cette loi voit les villes depuis leur centre et néglige un peu les spécificités de leurs périphéries et du périurbain. Dans les périphéries métropolitaines pourtant, la distribution des cartes n’est guère favorable à la région. Celle-ci a des intérêts plutôt urbains. Or, autour des villes, les communes conservent une identité rurale très forte, dont témoigne un chiffre : autour de Lyon, 85 % des communes périurbaines ont moins de 2 000 habitants. Cette ruralité est certes plus valorisée en termes de cadre de vie qu’en termes productifs. Il n’empêche, revisitée au travers de la périurbanisation, et redéfinie en relation avec la métropolisation 16, l’identité campagnarde n’est pas désuète, au contraire. Le département, traditionnel relais des intérêts ruraux, pourrait bien retrouver de l’allant. La place manque ici pour aller plus loin 17, mais en l’état de la distribution des pouvoirs locaux en France, le département est l’institution disponible la plus pertinente pour représenter les territoires périurbains à une échelle qui dépasse celle des communautés de communes. On pourrait rêver que les métropoles gouvernent leurs couronnes périurbaines. Mais elles sont déjà bien en peine de placer quelques communes supplémentaires dans leur giron. La tâche d’en contrôler plusieurs centaines semble inatteignable. Mieux vaut donc en prendre acte et travailler à l’institutionnalisation du périurbain, en vue de son aménagement et d’un dialogue avec les métropoles dont il dépend. De ce point de vue, la proposition de réformer les conseils départementaux en faisant des communautés de communes les circonscriptions électorales des conseillers est très intéressante. Elle permettrait aux communautés de communes d’avoir avec les départements une relation homologue à celle que les communes entretiennent avec les communautés urbaines.

  1. Charmes, 2011.
  2. Article L. 5211-18 du code général des Collectivités territoriales (CGCT) exécuté dans la loi Libertés et responsabilités locales du 13 août 2004.
  3. Préfet de la région Rhône-Alpes. Présentation du nouveau schéma départemental de coopération intercommunale dans le Rhône, avril 2011 (www.rhone.gouv.fr/ web/4-actualites.php?id=8222).
  4. CCVG. Avis de la CCVG sur SDCI, 7 juillet 2011, www.ccvalleedugaron.com
  5. Grand Lyon, extrait des délibérations du conseil de communauté, séance du 27 juin 2011, www.grandlyon. com/delibs/pdf/ConseildeCommunaute/2011/06/27/ DELIBERATION/2011-2364.pdf
  6. Maire depuis 2001, Marc Cliet ne s’est pas représenté aux élections de 2014.
  7. Entretien avec Claude Villard, maire de Jons, novembre 2012.
  8. Entretien avec Lucien Barge, maire de Jonage, novembre 2012.
  9. Lachkhab, Youssef, « Millery, le maire refuse de joindre le Grand Lyon, le combat continue », Le Progrès, 30 octobre 2011.
  10. Entretien avec Marc Cliet, maire de Millery, novembre 2012.
  11. Loc. cit.
  12. 1 500 en Île-de-France.
  13. Arrêté n° 201059-004 pour Jons et arrêté n° 2013059- 0005 pour Millery.
  14. Cette remarque nous a été faite par Sébastien Rolland, de l’agence d’urbanisme de Lyon, entretien réalisé en juin 2013.
  15. Lissieu a rejoint le Grand Lyon en 2011 et Quincieux en 2014.
  16. Sur ce sujet, voir notamment Vanier, 2003.
  17. Voir Charmes et Fitria, 2014.

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