Voici un livre remarquable à plus d’un titre ; le premier par la qualité des contributions, ensuite par la diversité des approches, en n et surtout, par la place centrale qu’occupe le foncier dans cet ouvrage co- écrit par des historiens. Trois grandes parties (« Les formes de dépossession », « Les enjeux de la résistance », « Le rôle de l’État ») organisent dix contributions balayant de nombreux « terrains » : Algérie coloniale, Philippines de l’époque moderne, Colombie, Italie du Sud, Québec et Mexique. Une fois de plus, l’approche historique est roborative permet- tant de comprendre pourquoi aujourd’hui plus que jamais éviter de questionner le foncier pour saisir les conflits ou les rapports des sociétés à leur espace est une erreur. L’ouvrage pousse au débat, apporte des éclairages contrastés sur l’appropriation foncière, le droit de propriété, la désappropriation ou réappropriation, la possession et la dépossession insistant sur les mouvements de balancier entre les situations, montrant aussi une grande diversité « souvent contradictoire, parfois surprenante ou déroutante ». Et c’est en cela que l’ouvrage livre toute sa richesse : à partir d’études minutieuses d’archives et autres sources, circonscrites parfois dans des temps très courts, les historiens maintiennent le lecteur en haleine, ce dernier abandonnant au fil de l’ouvrage quelques opinions floues ou idées reçues, parce que la réalité est toujours plus complexe qu’il n’y paraît. Les auteurs questionnent la relation entre l’avènement du capitalisme et celui de la propriété individuelle, amenant à réinterroger nos représentations sur le droit de propriété « absolu » ; ils rappellent le rôle de la propriété dans la réduction des inégalités lors du rachat des biens nationaux à partir de 1792 ; plus encore, ils nuancent l’idée selon laquelle les plus grosses haciendas auraient grignoté les terres des villages du Mexique des années 1856-1940, en pointant du doigt le rôle des plus riches de ces mêmes villages, constituant la principale menace pour les autres membres de la communauté ; ils s’attachent à rappeler combien la propriété individuelle a été un instrument pour casser l’organisation fondée sur le sang et les principes d’indivisibilité et d’inaliénabilité de la terre dans le processus de colonisation de l’Algérie ; ils révèlent la survivance de la propriété seigneuriale au Québec en plein XXe siècle. Bref, un ouvrage d’une richesse incroyable alors même que les périodes et les territoires s’étendent dans le temps et dans l’espace. La conclusion que livre G. Bauer mérite attention tant elle pose des questions très contemporaines autour « des enjeux de l’appropriation des sols ».