L’amélioration des conditions d’accueil des personnes les plus défavorisées fait partie des priorités affichées par le gouvernement, qui est allé jusqu’à promouvoir des politiques dites du « logement d’abord » privilégiant l’accès à un logement pérenne et autonome plutôt qu’à des formes d’hébergement plus ou moins institutionnelles, mais souvent précaires. Toutefois, face à l’arrivée de personnes migrantes temporairement ou durablement en situation irrégulière, la question des modalités d’accueil décentes reste d’une actualité brûlante et suscite des initiatives souvent innovantes (occupation temporaire de friches foncières ou immobilières, nouveaux modes constructifs modulaires) et des débats locaux parfois très vifs[1]. Mais là où l’offre d’hébergement reste insuffisante, l’actualité nous rappelle avec régularité le caractère insupportable des conditions d’accueil de ces populations marquées par la précarité. L’incendie de l’hôtel Paris-Opéra reste gravé dans bien des mémoires.
Dans la nuit du 14 au 15 avril 2005, dans le IXè arrondissement de Paris, un hôtel qui héberge des familles prises en charge par le Samu social brûle. Vingt-quatre personnes, dont onze enfants, perdent la vie et cinquante-quatre personnes sont blessées. À travers le récit de ce fait divers par ses victimes, Claire Lévy-Vroelant – professeure de sociologie à l’Université Paris VIII, spécialiste de l’habitat – lève une partie du voile sur les dysfonctionnements du système de l’hébergement d’urgence et les conditions de vie imposées aux personnes en situation irrégulière mais aussi sur les mobilisations collectives et la défense des droits des plus précaires. En cela, l’ouvrage vient nourrir de façon salutaire un débat public aux termes trop souvent quantitatifs, se concentrant sur les budgets et le nombre de « places » et n’évoquant que peu des questions telles que la gestion des structures d’hébergement ou la protection de la dignité des personnes hébergées.
Ce petit livre gris, au graphisme minimaliste très soigné, ne ressemble pas à un ouvrage scientifique. L’originalité de la forme reflète l’originalité du contenu, car si cet ouvrage est bien le fruit du travail d’une sociologue, il a été écrit « autrement que sous la forme canonique de l’analyse sociologique » (p. 25). En effet, le choix a été fait de mettre au centre du livre les récits de personnes ayant survécu à l’incendie de l’hôtel dans le but de « laisser aux acteurs la responsabilité de la prise de parole et l’entièreté de son espace » (p. 26). Ainsi, les récits couvrent plus de 400 pages sur les 477 que compte l’ouvrage.
De la lecture des récits, on retient d’abord leur forte charge émotionnelle. La description de l’horreur de l’incendie et l’expression de la douleur du traumatisme et du deuil rendent la lecture intense et difficile. Mais la parole des victimes présente une dimension politique, que l’auteure s’attache à analyser succinctement en introduction. Elle souligne d’abord la puissance du groupe et l’importance décisive de la solidarité (création d’une association, organisation de commémorations). Les récits révèlent aussi un système du mal logement, dont le principe de « mise à l’abri » est à haut risque car il est placé sous le signe de la dépendance. Les témoins formulent enfin la revendication d’un « plus jamais ça » et la nécessité de réviser les politiques migratoires, à l’instar de Diabou Sylla qui explique : « Je suis là pour ce que j’ai vécu. C’est très important que ce que j’ai vécu soit connu, pour que ça ne se répète plus dans un autre endroit. » (p. 282). Cet ouvrage a donc pour but de susciter une prise de conscience aussi bien chez les citoyens que les décideurs administratifs et politiques, en dépassant une vision administrative de la question, que le débat public reflète bien souvent en se cristallisant autour du nombre de « places », sans s’intéresser aux conditions de vie réelles des personnes hébergées.
Il ne faut donc pas chercher dans L’incendie de l’hôtel Paris-Opéra une analyse socio-historique, technique ou économique du système de l’hébergement d’urgence. D’autres ouvrages – que l’auteure mentionne et qu’elle a co-écrits pour certains[2] – ont déjà proposé un tel travail. Bien au contraire, c’est dans sa manière sensible (et politique) de révéler les conséquences humaines des manquements et des dysfonctionnements des politiques sociales et migratoires que réside tout l’intérêt du livre de Claire Lévy-Vroelant.
[1] On se souvient des résistances opposées à l’implantation d’un centre d’hébergement d’urgence en lisière du bois de Boulogne
[2] Notamment Le logement précaire en Europe. Aux marges du palais
de V. Laflamme, C. Levy-Vroelant, D. Robertson et J. Smyth (dir.), 2007, L’Harmattan, 433 p.