En octobre 2024, les sénateurs G. Cambier et J.-B. Blanc ont présenté au Sénat le rapport sur « la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols ». Ce rapport, relativement court (17 pages) tient compte d’une large enquête auprès des élus locaux dont 1400 ont répondu, et de 70 auditions menés, comme il est d’usage dans ce genre d’exercice, auprès d’un panel de représentants des collectivités locales, des institutions ou groupes professionnels diversifiés (dans les domaines de l’agriculture, des transports, du logement, de l’industrie, de l’urbanisme et l’architecture, sans oublier les représentants des ministères) ainsi qu’auprès d’experts (dont on relève certains membres de fonciers-en-débat)
Ce rapport est suivi d’une proposition de loi déposée le 7/11/2024 visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux.
Nous retraçons ici les principaux éléments de ce rapport.
Après avoir rapidement réaffirmé l’ambition partagée d’une sobriété foncière accrue, le rapport souligne d’emblée les limites techniques de la mise en place du ZAN en termes d’objectifs quantifiés (« zéro artificialisation nette » en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme d’artificialisation sur la période 2021-2031 par rapport à la décennie 2011-2021).
- Il soulève la forte ambiguïté de l’objectif tel qu’il est mesuré en termes d’artificialisation des sols. La nature pédologique des sols et leur capacité à rendre des services écosystémiques sont ignorés, alors qu’ils constituent l’essentiel de la valeur environnementale. La mesure par les Espaces naturels et forestiers (ENAF) fait également abstraction de la capacité d’un sol désartificialisé à retrouver ces qualités, hormis dans un temps long, ce qui ne résout donc que partiellement l’enjeu écologique recherché. La mesure même de l’artificialisation semble techniquement mal maitrisée, conduisant à des résultats hétérogènes avec des écarts de comptabilisation importants selon l’origine des données.
- Il dénonce l’arbitraire des objectifs de réduction de l’artificialisation, posés sans tenir compte des différences locales, ni des trajectoires passées. L’absence de concertation en amont choque également les représentants du territoire.
- Au-delà de la quantification de l’objectif, l’absence d’articulation du ZAN avec les autres politiques publiques est soulignée. Les mesures en faveur des énergies renouvelables, des transports décarbonés ou d’industries vertes sont rappelées et peu ménagées par l’objectif ZAN au-delà des plus grands projets. Les politiques locales d’attractivité ou des politiques nationales d’aménagement restent peu valorisées, et le processus de territorialisation en cours au niveau régional insuffisamment considéré.
- L’état des lieux mené à travers l’enquête auprès des élus a permis de rendre compte de la grande difficulté des élus locaux à s’approprier la loi climat et résilience d’août 2021 et ses objectifs dans le cadre d’un agenda très serré. On rappelle que, l’engagement de la réduction de l’artificialisation débute en août 2021, alors que les décrets d’application de la loi ont été publiés en avril et mai 2022, soit 7 mois après la promulgation de la loi. Ils ont été ensuite modifiés par la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, précisée par les décrets de novembre 2023. Les élus restent déstabilisés face à une grande incertitude et une grande instabilité des modalités d’application de l’objectif. Les services et opérateurs de l’Etat se sont mobilisés pour les accompagner (avec par exemple la mise en place d’un référent ZAN dans les départements et l’apport d’une ingénierie technique), mais la prise en compte des attentes locales reste encore imparfaite.
La seconde partie du rapport porte sur les préconisations du groupe de suivi sénatorial.
Elles se déclinent en 6 points abordés en deux étapes
Premier temps : de 2012 à 2031
- L’accompagnement des collectivités locales par les services de l’Etat est une priorité tant technique : il est proposé d’instaurer un guichet unique, que flexible : une formulation adaptée devrait permettre une tolérance de dépassement de 20% de l’enveloppe d’artificialisation ;
- Il est important de mesurer le coût de la désartificialisation : la mission d’information au Sénat relative au financement du ZAN doit rendre ses conclusions avant la fin de l’année ;
- De façon à éviter les contradictions avec les politiques du logement et de la réindustrialisation, les constructions nouvelles de logements sociaux ainsi que les implantations industrielles ne devraient pas être comptées dans l’artificialisation, sous certaines conditions.
Second temps, pour après 2031
- La question du mode de comptabilisation de l’artificialisation est un point de complexité réel. Le changement de comptabilisation prévu à partir de 2031pour prendre en compte les fonctions écologiques des sols semble poser des problèmes : la rupture de références a des implications fortes sur les outils de planification (PLU,) sur le suivi et le pilotage de l’artificialisation sur la durée ; la prise en compte de seuil, avec une notion de contiguïté de surfaces reste d’une grande complexité à gérer sur la réalité des terrains ; l’impact de la nomenclature retenue sur les usages des sol se fait au détriment des activités agricoles. Les rapporteurs proposent alors de maintenir la nomenclature ENAF après 2031 ;
- La territorialisation des objectifs est sujette à discussion, et recours contentieux. Il est donc préconisé de réfléchir plus avant sur des solutions permettant d’augmenter les droits à artificialiser ou de différencier ces droits selon la situation initiale et les besoins des territoires. Le besoin d’une mutualisation renforcée des démarches locales rend nécessaire des analyses spatiales à renforcer ;
- La réflexion sur les outils de l’aménagement en faveur de la sobriété foncière doit également être renforcée avec un accent mis sur les dimensions financières liées à ces outils .
Le rapport conclut sur deux mesures qui vont faire l’objet de la proposition de loi du 7 nov 2024 : le remaniement du calendrier d’élaboration des nouveaux documents d’urbanismes intégrant les objectifs ZAN et la définition des projets nationaux à décompter des objectifs locaux.
Il faut souligner que le rapport oscille entre des observations très concrètes et techniques relatives à la mise en œuvre du ZAN, tout en remettant en cause le principe même du processus ZAN au regard de l’objectif consensuel de la préservation de la biodiversité générée par les sols. De son côté l’Assemblée Nationale s’inquiète et mandate une mission d’information sur le ZAN (mardi 12 novembre 2024).
Le 20 novembre 2024, Michel Barnier reprend la main à l’occasion des questions au gouvernement devant le Sénat. Il soutient les conclusions du rapport tout en leur apportant quelques orientations propres : maintien de l’effort de sobriété foncière mais en assouplissant la mesure et les objectifs, avec un nouveau nom « TRACE » pour souligner les changements. On notera l’affirmation des marges supplémentaires aux collectivités qui en ont besoin immédiatement, et la prise en considération du potentiel des jardins pavillonnaires qui ne compteront plus comme espace artificialisé
L’histoire du ZAN ne s’arrête donc pas de sitôt.
Vous trouverez ici la note rédigée par l’Insititut de la transition foncière sur le sujet
Références
Louis Barbier (4 novembre 2024) Au Sénat, la neutralité foncière en 2050 mise en danger, Briefing ITF n°5
Guislain Cambier (président) et Jean-Baptiste Blanc (rapporteur), 9 octobre 2024, La mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols, Rapport au Sénat au nom de la commission des affaires économiques, de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des finances, par le groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols; https://www.senat.fr/rap/r24-019/r24-0191.pdf
Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc, 7 novembre 2024, Instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation avec les élus locaux, Proposition de Loi n° 124 au Sénat; https://www.senat.fr/leg/ppl24-124.pdf