L’ambition « Double Zéro » ou comment ZAN et ZPN pourraient se conjuguer dans la planification territoriale

par et | 21 Mar 2021 | 2020 : ZAN et territoires, ZAN

La séquence Eviter-Réduire-Compenser (dite « séquence ERC ») vise à limiter les impacts de l’urbanisation sur les milieux naturels. Issue de la loi pour la protection de la nature de 1976[1], elle est un outil réglementaire du code de l’environnement. Cet outil, très longtemps peu utilisé, a été renforcé par les lois issues du Grenelle de l’environnement, qui font suite à une série de directives européennes poussant en ce sens depuis les années 2000. En particulier la loi « Grenelle II » (2010)[2], en plus de réitérer l’importance de mettre en œuvre cet instrument, élargit son champ d’application à l’évaluation environnementale des « documents de planification », qu’il s’agisse de plans ou de programmes. Enfin la loi « Biodiversité » (2016)[3] inscrit pour la première fois la notion de biodiversité dans le code de l’environnement, et associe à la séquence ERC un objectif d’absence de perte nette de biodiversité (ou Zéro perte nette de biodiversité – ZPN). Dans ce cadre, la séquence ERC est supposée s’appliquer à toutes les composantes de l’environnement, même si, dans les faits elle est surtout mobilisée dans une vision de « moindre mal »[4] quant aux impacts sur la biodiversité. De plus pour le moment, les acteurs publics, les aménageurs se concentrent quasi-exclusivement sur son application aux projets d’aménagement opérationnel (zone d’activités, infrastructure linéaire de transport, lotissement, parc photovoltaïque, etc.), Son application à la planification urbaine, ou territoriale (dans les PLU/PLUi, SCoT, SRADDET, DSF, etc. [5]) est de plus en plus discutée.

En parallèle, l’objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN) est apparu officiellement en 2018 avec le Plan Biodiversité sur 2018-2024. Ses fondements sont cependant posés en Europe depuis 2010 dans la feuille de route de la Commission européenne[6]. Le Plan Biodiversité insère donc cet objectif dans le cadre global d’un plan visant explicitement « à renforcer l’action de la France pour la préservation de la biodiversité et à mobiliser des leviers pour la restaurer lorsqu’elle est dégradée »[7]. Au sein de ce Plan, le ZAN s’inscrit dans le premier axe stratégique intitulé Reconquérir la biodiversité dans les territoires. De plus, l’instrument réglementaire qu’est la séquence ERC est directement identifié comme pertinent pour atteindre cet objectif (cf., Plan Biodiversité, p7).

Depuis l’énoncé de ce plan, et donc du « nouvel » objectif de ZAN, on observe un glissement des réflexions gouvernementales sur « la lutte contre l’érosion de la biodiversité » (comme présenté par le Plan Biodiversité), vers la simple « sobriété foncière », ce qui met de côté l’objectif de performance écologique du ZAN. Cet article cherche à rendre compte de ce glissement, en analysant le ZAN au travers du ZPN. Les implications de ce glissement semblent en effet importantes en matière de performance écologique.

La garance voyageuse n°94 (2011). Quelle notion de « net » ?

Les enjeux de l’inclusion de la séquence ERC dans les documents de planification urbaine et territoriale

Les documents de planification soumis à l’évaluation environnementale se doivent d’appliquer la démarche proposée par la séquence ERC selon le code de l’urbanisme et le code de l’environnement[8]. Pour cela, il s’agit d’étendre l’approche usuelle centrée sur le projet et l’action à une approche territoriale et stratégique, approche adéquate pour appréhender un document de planification[9]. Dans la perspective du ZPN, l’application de la séquence ERC dans les documents de planification urbaine est essentielle car elle est complémentaire à celle opérée dans les projets d’aménagement opérationnel. En effet, au niveau des projets opérationnels, la marge d’amélioration des pratiques est possible, mais elle reste faible du fait d’une échelle spatiale très localisée, d’une temporalité courte et dictée par l’élaboration de l’étude d’impact (ou autres autorisations associées), et d’une organisation des acteurs stabilisée autour de routines et de stratégies. Au contraire, au niveau de la planification territoriale de l’aménagement :

  • L’échelle spatiale est large. Il est alors possible de considérer une plus grande quantité et diversité de zones, qu’elles soient aménagées, à aménager, naturelles, semi-naturelles, etc. Cette large échelle peut aussi permettre de réfléchir à la fois aux impacts cumulés sur le territoire et aux trames vertes et bleues permettant d’assurer la résilience écologique de ce dernier face aux changements globaux.
  • La temporalité s’inscrit dans un temps long et en amont des projets opérationnels. Elle permet d’être ambitieux et de préparer le terrain pour les aménagements qui seront induits par le document, en choisissant des espaces de moindre enjeu écologique.
  • L’organisation des acteurs autour de la mise en place d’une démarche ERC n’est pas encore stabilisée, mettant de côté toutes habitudes de travail ou stratégies préétablies susceptibles de limiter l’amplitude de pratiques nouvelles : tout reste à faire.

Aujourd’hui, alors que pléthore de guides et doctrines ERC sont disponibles à l’échelon du projet, très peu, voire pas de lignes directrices sont rédigées pour accompagner la mise en œuvre de la démarche ERC à l’échelle de la planification[10].

La séquence ERC dans les documents de planification de l’aménagement du territoire : quand le ZPN rejoint le ZAN

Plusieurs travaux menés pendant ma thèse[11] ou avec le ministère de la Transition écologique[12] déclinent ce que signifient E, R et C à l’échelle de la planification territoriale. Les résultats de ces travaux confortent les nombreuses réflexions en cours relatives à la trajectoire à adopter pour atteindre le ZAN. La démarche est présentée ci-après. Bien qu’elle soit applicable (et à appliquer) pour tous les documents stratégiques de planification, comme évoqué précédemment, nous illustrons ici une déclinaison de la séquence ERC un peu plus adaptée aux PLU(i) qu’aux autres documents.

  • Eviter – Dans le cadre d’un document de planification, « Eviter » amène très vite à poser la question de la sobriété foncière : comment amoindrir le besoin d’étalement urbain ? Il s’agit dans un premier temps d’avoir une réflexion stratégique sur la façon d’envisager l’aménagement sur le territoire et sur les choix d’opportunité. Arrivent alors les questionnements sur les chiffres raisonnables de croissance pour les 10 ou 20 prochaines années (l’enjeu ici est de se rapprocher de la réalité plutôt que surestimer l’objectif pour avoir de la marge) et sur les moyens pour accueillir les logements et les activités nécessaires pour le territoire (réinvestissement urbain, rénovation, densification, aménagement des dents creuses, etc.). Cette démarche d’évitement, toujours dans la perspective de l’atteinte du ZPN, permet d’éviter au maximum les impacts liés à l’étalement urbain en choisissant d’autres trajectoires d’aménagement. Dans un second temps, se pose la question de la spatialisation de l’enveloppe urbaine nécessaire. Quand bien même le projet de territoire a fait des choix ambitieux en amont, il s’agit d’éviter au maximum les zones à enjeux écologiques majeurs.
  • Réduire – « Réduire » signifie identifier des mesures permettant de rendre les aménagements plus respectueux de la biodiversité, dans les parties prescriptives du document de planification. Ces mesures peuvent, par exemple, porter sur l’imperméabilisation des parkings, le maintien de composantes naturelles dans les projets d’aménagement induits par le document (maintien de haies, d’alignement d’arbres, de mares ou autres zones de pleine terre favorables à une certaine biodiversité), ou encore sur une règlementation plus restrictive de la constructibilité dans les zonages A ou N des PLU(i).
  • Compenser – Enfin, « Compenser » revient à anticiper les contreparties liées aux projets qui seront induits par le scénario d’aménagement retenu.

Cela nécessite de :

  • « Dimensionner«  le besoin futur en compensation en croisant l’étalement urbain requis et les données écologiques territorialisées lors de l’état initial de l’environnement. Ce dimensionnement doit se faire en termes quantitatifs (quelle surface de milieux naturels va être affectée par les futurs projets ?), mais aussi en termes qualitatifs (quel type d’habitats, d’espèces et de fonctionnalités va-t-on affecter, et donc, quel type de biodiversité va-t-il falloir retrouver ?).
  • « Spatialiser«  les futurs sites de compensation en identifiant les espaces à désartificialiser ou renaturer et donc, compte tenu de leur état de dégradation, susceptibles d’apporter une plus-value écologique au moins équivalente à la perte engendrée par les aménagements. En accompagnement de cette spatialisation, la neutralité des aménagements induits par le document de planification serait assurée par des diagnostics portant sur le potentiel compensatoire des espaces identifiés, sur la mutualisation et la mise en réseau des futurs sites de compensation et sur l’évaluation de la disponibilité du foncier pour de futures mesures de compensation (dureté foncière).
  • « Organiser la gouvernance«  en identifiant et structurant le réseau d’acteurs de la compensation sur le territoire de façon à anticiper les actions de compensation à mener et permettre qu’elles soient déjà effectives une fois que l’impact aura lieu.

Chacun de ces points est à interroger et à proportionner en fonction du plan ou programme en question. Par exemple, alors qu’à l’échelle d’un SRADDET, le dimensionnement du futur besoin en compensation et sa spatialisation restent assez approximatifs et dans une vision plutôt stratégique, un PLU pourra rentrer plus finement dans les détails des enjeux écologiques de son territoire à l’échelle des parcelles.

Cette brève présentation sur la mise en œuvre de la séquence ERC dans les plans d’urbanisme et les programmes d’aménagement vise à mettre en évidence à quel point les questions soulevées pour atteindre le ZPN et le ZAN se rejoignent.

En effet, l’évitement au sens de la séquence ERC permet de rejoindre l’objectif de ZAN en posant la question de l’opportunité de l’aménagement, des besoins auxquels il répond et d’un projet de territoire raisonnable. L’évitement mobilise ainsi les mêmes outils que ceux qui visent la sobriété foncière (réinvestissement urbain, densification, etc.). La réduction quant à elle, cherche à induire des pratiques opérationnelles, des façons de faire plus respectueuses de l’environnement, plus résilientes, qui traitent souvent de l’imperméabilisation ou d’une réglementation plus stricte de l’artificialisation dans les zonages. Enfin, la compensation écologique peut, dans certains cas, permettre de désartificialiser ou de renaturer des milieux extrêmement dégradés. Ces mesures ambitieuses sont certes coûteuses, mais importantes dans le cadre du ZPN car elles peuvent engendrer une plus-value à la hauteur de l’impact associé à une perspective de neutralité.

Parking perméable du Fonds Hélène & Édouard Leclerc à Landerneau  © Charlotte Bigard (2020)

Nette, Artificialisation et Biodiversité : des notions dont les définitions sont au cœur des enjeux du « Double Zéro »

La notion d’ « artificialisation » est toutefois une notion encore floue. Dans les premiers travaux dont le ministère a été commanditaire dès 2018[13], l’artificialisation était définie comme tout ce qui n’était pas naturel, agricole ou forestier. Les espaces verts et les jardins individuels étaient alors considérés comme artificialisés alors que les parcelles en monoculture conventionnelle, par exemple, ne l’était pas. Les travaux récents de la convention citoyenne pour le climat proposent[14] une autre définition reprise dans le projet de loi en cours de discussion[15]. L’artificialisation y est définie en référence à l’atteinte à la fonctionnalité des sols. Cette nouvelle proposition du champ de ce que l’on considèrerait comme non-artificialisé affecte directement l’objectif ZAN et la trajectoire pour l’atteindre, ainsi que la dépendance entre ZAN et ZPN. En effet sur le plan écologique, un sol fonctionnel peut être le support d’une certaine biodiversité, alors qu’un sol qui ne l’est pas, car pollué, physiquement très dégradé, imperméabilisé, etc., serait très limitant pour le développement ou le maintien de la biodiversité à moyen et long ou terme.

Le « nette », ou « N », est ce qui relie le ZAN ou le ZPN. Il aurait été plus simple de parler de ZA ou ZP. Ce différentiel entre perte brute et perte nette laisse une marge aux acteurs du territoire de « faire » ou de « prévoir » puis de corriger leurs impacts afin de s’inscrire dans les objectifs fixés, ce qui ouvre la porte à l’idée de « compensation », dans le sens d’une contrepartie. Le glissement actuel des discours écartant l’objectif ZAN des enjeux d’érosion de la biodiversité, et ainsi de la démarche ERC, en le cantonnant à un enjeu de foncier, semble donc être un problème sur le plan méthodologique. Le ZAN, par sa construction théorique, invoque une contrepartie, une compensation.

La « biodiversité » quant à elle est aujourd’hui comprise d’une façon étroite, qui met de côté sa complexité et ne retient que la biodiversité dite protégée, patrimoniale ou remarquable. Le code de l’environnement donne à la biodiversité une définition scientifique[16], qui tacitement comprend la biodiversité « ordinaire ». Pourtant, cette dernière n’est pas encore considérée en pratique dans le processus d’évaluation environnementale.

Si la biodiversité était intégrée au sens large, en comprenant donc la biodiversité ordinaire, comme le préconise le code de l’environnement, toute artificialisation engendrerait une perte de biodiversité, et donc l’objectif de ZPN serait automatique invoqué.

Ainsi, au regard de l’origine de l’objectif ZAN fixé par le Plan Biodiversité – cf., introduction, et suite à la définition de la biodiversité fixée par la loi, il parait complexe de dissocier complètement ces deux objectifs qui s’éclairent l’un l’autre et se complètent, notamment quand ils sont envisagés à l’échelle stratégique de la planification territoriale.


Biographie de l’auteur

Charlotte Bigard est docteure et enseignante-chercheuse à AgroParisTech dans l’UFR G-ENV et associée à l’Unité de Recherche Montpellier Research in Management de Université de Montpellier.

Préoccupée par la préservation des milieux naturels, et notamment par la performance écologique des instruments règlementaires issus des politiques publiques environnementales, Charlotte Bigard s’intéresse aux écarts entre les textes juridiques et leur mise en œuvre à travers des études et expertises pluridisciplinaires mêlant écologie, géographie et sciences de gestion. Elle cherche, entre autres, à mettre en évidence les dispositifs de gestion et les jeux d’acteurs qui les gouvernent, afin d’identifier des leviers d’action qui permettraient aux acteurs des territoires d’aller vers des pratiques écologiquement plus performantes.


[1] LOI n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.

[2] LOI nᵒ 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.

[3] LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

[4] Expression utilisée dans: Semal, L., Guillet, F., 2017. Chapitre 6. Compenser les pertes de biodiversité, dans: Les Politiques de Biodiversité. Presses de Sciences Po, 149–169.

[5] PLU(i): Plan local d’urbanisme (intercommunale); SCoT : Schéma de Cohérence Intercommunal; SRADDET : Schéma Régional d’Aménagement de Développement Durable et d’Egalité des Territoires; DSF : Document Stratégique de Façade.

[6] Cf. notamment : Lignes directrices concernant les meilleures pratiques pour limiter, atténuer ou compenser l’imperméabilisation des sols, Commission européenne, 2012.

[7] https://www.ecologie.gouv.fr/plan-biodiversite

[8] Art. L. 104-4 du Code de l’Urbanisme et Art. R122-20 du Code de l’Environnement.

[9] Bigard, C., Leroy, M., 2020, « Appréhender la séquence Éviter-Réduire-Compenser dès la planification de l’aménagement : du changement d’échelle à sa mise en œuvre dans les territoires » Sciences Eaux & Territoires n°31, p12–17. https://doi.org/10.14758/set-revue.2020.1.04

[10] A ce jour, seule la Fiche 9 « les mesures d’évitement, de réduction et de compensation » du Guide de l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme (CGDD, novembre 2019) donne des éléments pour appliquer la séquence ERC aux documents d’urbanisme. Un guide ministériel sur la démarche d’évitement, en grande partie dédié à la démarche d’évitement dans les documents de planification de l’aménagement du territoire, sera publié en 2021.

[11] Bigard, C., 2018, Eviter-Réduire-Compenser: d’un idéal conceptuel aux défis de mise en œuvre : une analyse pluridisciplinaire et multi-échelle. Université de Montpellier, France.

[12] Guide sur la démarche d’évitement (CGDD/MTE, collection Thema, en cours de publication), ou Guide de l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme – Fiche 9 « les mesures d’évitement, de réduction et de compensation »  (CGDD, novembre 2019) ttps://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/levaluation-environnementale

[13] Notamment le rapport de France Stratégie (2019)  « Zéro artificialisation nette: quels leviers pour protéger les sols » ou le rapport du Comité de l’Economie Verte (2019) « Les instruments incitatifs pour la maîtrise de l’artificialisation ».

[14]Exposé des motifs : https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-36854-expose-motifs-projet-loi-climat-convention-citoyenne.pdf

[15] Projet de loi n° nº 3875 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, article 48-II-4

[16] Art. L110-1 Code de l’environnement : On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.

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