Tout d’abord, si on s’en tient au groupe des redevables de cet impôt (actuellement environ 330 000 en France, soit moins de 1 % des foyers fiscaux), cette réforme est très inégalitaire. L’impôt tel qu’il est dessiné par Emmanuel Macron frappera surtout les « petits riches » pour reprendre une formule du député Gilles Carrez. Les travaux de Thomas Piketty ont bien montré que la part de l’immobilier baisse, jusqu’à devenir très minoritaire, au fur et à mesure qu’on s’élève vers les plus hauts patrimoines. En l’état, ce sont donc surtout les plus riches des riches qui profiteront de la réforme de l’ISF. Ils en bénéficieront d’autant plus qu’ils versaient les contributions les plus conséquentes.
Mais il y a une autre source d’étonnement. Emmanuel Macron justifie sa réforme par une opposition entre des investissements immobiliers qui relèveraient de la rente et les autres, qui relèveraient de l’économie réelle, celle qui apporte des emplois et de la croissance. Ceux qui se plaisent à renvoyer Emmanuel Macron à son passé de banquier vont pouvoir s’en donner à coeur joie. Qu’est-ce que l’économie réelle ? Les placements financiers sont-ils plus productifs que l’immobilier ? Les propriétaires bailleurs sont-ils rémunérés pour un service moins substantiel que les actionnaires d’un groupe spécialisé dans le luxe lorsqu’ils touchent leurs dividendes ? Les héritiers des grandes fortunes constituées d’actions sont-ils autre chose que des rentiers ? Voilà des questions auxquelles on attend avec gourmandise des réponses. Sur ces sujets en tout cas, les arguments employés par Emmanuel Macron pour laisser croire qu’il n’est pas que de droite laissent perplexe.
Au fond, cette réforme pourrait bien être comme une suppression discrète de l’impôt sur la fortune. Déjà, d’après des estimations fournies par Le Monde, réduit à l’immobilier, l’impôt sur la fortune ne rapportera plus que 1,2 milliard d’€ contre 5,19 actuellement. Mais la collecte risque d’être plus maigre. Les « petits-riches », qui possèderont quand même un patrimoine net d’au moins 1,2 million d’€, sauront certainement transformer leurs titres de propriété en actions d’une société, comme le font d’ailleurs déjà beaucoup de « gros riches ». Peut-être que le gouvernement décidera d’inclure les parts de SCPI ou d’OPCI dans le périmètre de l’impôt, mais les gestionnaires de fortune, dont on connaît la créativité, sauront certainement trouver d’autres véhicules pour échapper à l’ISF. Ne paieront plus que les petits riches qui n’entendent pas grandchose à la gestion de fortune.
Dernier exemple en date, relaté fin août par la presse, celui du « patron des patrons » Pierre Gattaz, qui arrivant en fin de carrière, vient d’acheter une résidence à la campagne, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Certes, il est aussi normal, quand on figure parmi les 300 plus riches familles de France (classement de Challenges), même en queue du peloton, de ne pas acheter la première bicoque venue. De fait, il s’agit du château de Sannes, dans le Lubéron. Un peu plus de 2 000 m2 habitables, avec deux piscines, un vieux moulin et 73 hectares de terres agricoles dont 35 hectares de vignobles classés en AOC. Le tout pour 11 millions d’euros. Mais peu de risques, pour le président du Medef, que son acquisition soit imposée à l’ISF nouvelle manière, car l’achat se fera via une holding familiale qui sera propriétaire du château et en vendra les bouteilles.
Dans un contexte où les inégalités de patrimoine sont devenues un enjeu politique majeur, cela interroge. Que, dans son état actuel, l’impôt sur la fortune puisse être considéré comme contreproductif car encourageant l’exil des plus fortunés qui, du coup, ne payent plus d’impôt du tout en France, il faut l’entendre. Mais la question des inégalités de patrimoine demeure. Pourquoi ne pas faire de ce sujet une question européenne ? À l’échelle européenne, il doit être possible d’éviter la fuite des capitaux, et la fameuse taxe sur le patrimoine défendue par Thomas Piketty peut faire sens. Sans doute un accord européen autour d’une telle taxe n’est-il pas pour demain, mais le sujet vaut la peine d’être inscrit à l’horizon. En s’appropriant une idée de ce type, Emmanuel Macron aurait sans doute pu laisser quelques illusions sur le fait qu’il n’est pas que de droite, mais aussi un peu de gauche.
Emmanuel Macron a aussi ouvert un front contre la rente immobilière du côté de la construction. Il l’avait annoncé dans son programme et il persiste dans l’entretien qu’il a accordé au Point publié fin août 2017 : il faut construire. Pour cela, il faut simplifier les règles d’urbanisme et limiter les possibilités de recours. Il faut aussi « libérer » le foncier et notamment le foncier public (supposé être vendu en dessous de sa valeur vénale, en dépit de l’endettement des collectivités). Visiblement l’actuelle loi de mobilisation du foncier public ne suffit pas. Les zones tendues persistent à l’être, et ceux qui ont la chance d’y être propriétaires voient leurs rentes croître.
Il n’est cependant pas certain que les interventions proposées y changent grand-chose. Aujourd’hui comme hier, les projets politiques restent victimes du syllogisme selon lequel construire des logements fait baisser les prix. Ainsi, attaqué sur sa volonté de diminuer les aides personnalisées au logement, le gouvernement répond d’une part que ces aides profitent surtout aux propriétaires, et que d’autre part, pour aider les locataires, il vaut mieux favoriser l’augmentation de l’offre. Il faut pourtant se méfier des évidences et du bon sens puisqu’on le sait, dans certains cas, l’augmentation de l’offre, en créant de la centralité, fait monter les prix. On peut soumettre à nos gouvernants un cas simple pour alimenter leur réflexion : c’est en Île-de-France que l’offre de logements est de loin la plus importante, et c’est pourtant là aussi que les prix sont parmi les plus élevés.
En réalité, en favorisant la construction dans les zones tendues (Emmanuel Macron dans son entretien au Point identifie Aix-Marseille, Lyon, Paris et les zones frontalières de la Suisse), on risque surtout d’accompagner la dynamique actuelle de concentration des populations et des richesses dans les grandes métropoles et dans leurs zones d’influence. Est-ce une bonne chose ? Dans les milieux académiques, le débat fait rage entre d’un côté les tenants (autour notamment de Laurent Davezies) d’une sorte de théorie du ruissellement géographique selon laquelle ce qui est bon pour les métropoles est bon pour le reste du pays et d’un autre côté les défenseurs (autour, entre autres, d’Olivier Bouba-Olga) des villes petites et moyennes. Du côté des hautes instances de l’État, ce débat semble tranché. En tout cas, les notes d’analyse récentes de France Stratégie sont catégoriques : les métropoles sont plus productives, Paris en tête. Faut-il alors proposer à tous les Français de vivre à Paris ? Faut-il y construire des tours encore plus hautes qu’à Dubaï ? La réponse à ces deux questions semble d’évidence, négative, mais à lire certaines études, on se demande si l’on sait vraiment pourquoi.