Les clusters sont à la mode. On en compte 71 « officiels » en France d’après J. Vicente (p. 94) et de fait, ils sont au cœur de nombreuses stratégies de développement économique territorial, depuis les années 1990-2000. Mais de quoi parle-t-on et à quoi servent-ils ? Cet ouvrage présente l’intérêt d’interroger à la fois l’origine (partie I), le mode de fonctionnement (parties II et III) et la pertinence des clusters (partie IV ).
Dans un débat économique trop souvent déterritorialisé car focalisé sur des grandeurs macro économiques : grands flux financiers, acteurs globaux, etc., le questionnement sur les clusters remet en avant l’intérêt de la proximité géographique des entreprises.
Cette réflexion, nous rappelle J. Vicente, trouve ses origines dans les idées très à la mode d’A. Marshall sur les districts industriels (évoqués dans un ouvrage de 1879 puis davantage développés dans les« Principles of economics » de 1890). L’économiste souhaitait « mettre en balance l’efficacité respective des formes de division du travail au sein d’une grande firme et au sein d’un système localisé de petites et moyennes entreprises » (p. 8). Colocalisation et « atmosphère industrielle » devaient donner un avantage aux secondes, en favorisant à la fois l’innovation et la diffusion des idées.
Depuis les années 1990, les politiques de concentration des entre- prises en cluster, directement issues de ces réflexions et du modèle de la Silicon Valley (l’auteur y fait régulièrement référence en tant que modèle des clusters actuels), se sont développées dans l’ensemble des pays anciennement industrialisés… avec des résultats plus ou moins satisfaisants. J. Vicente souligne à ce titre que la concentration des entreprises en un même lieu n’est qu’une des conditions de réussite d’un cluster. D’autres proximités, autres que géographiques, jouent un rôle central : « des proximités (et des dis- tances) organisationnelle, institutionnelle, sociale, cognitive, qui, couplées à la proximité (ou la distance) géographique, contribuent à entrer dans la boîte noire des externalités de localisation » (p. 52). On voit bien com- ment de nombreuses recherches (à commencer par celles, fondatrices, de Michael Porter), ont tenté de repérer le fonctionnement, l’évolution et surtout les déterminants de la réussite des clusters.
Et si la proximité apporte des bienfaits (les fameuses externalités), l’auteur rappelle qu’elle conduit éga- lement à des désagréments (coûts sociaux):coûtsdecongestion,prix du foncier plus élevés, etc. (p. 101). Qu’en retenir en matière de politiques publiques ? D’abord, l’auteur insiste sur l’inefficacité des politiques de saupoudrage qui favorisent les effets d’aubaine (clusters déjà structurés qui n’ont pas besoin de financements) et sur l’importance de mener des diagnostics approfondis pour cibler les politiques publiques : « le travail d’expertise peut se révéler coûteux, mais il est nécessaire » et vite contrebalancé par des « bénéfices de taille » (p. 108).
Ensuite, l’ouvrage rappelle qu’il n’y a pas de recette miracle : « Bien plus qu’un processus spontané d’obten- tion d’un équilibre de localisation, les clusters sont des constructions his- toriques » (p. 34) : une façon non pas d’encourager au laisser-faire mais, au contraire, à bien prendre en compte les contingences locales dans la définition d’une politique incitative.
Enfin, la mode des clusters renvoie à la question de la dynamique économique et de la croissance :« Les clusters seraient-ils le remède à la désindustrialisation et à la baisse des gains de productivité que traversent la plupart des pays développés depuis les années 1990 ? » (p. 112) s’interroge J. Vicente en conclu- sion. C’est qu’entre Alfred Marshall et Michael Porter (1990), il y a eu le triomphe, puis la crise, de la grande entreprise, et du modèle, fordiste. Le développement des clusters témoigne ainsi de l’importance accordée à l’innovation, à la connaissance, la créativité, etc. dans des débats focalisés sur le « retour de la croissance » : « Les clusters ne sont finalement que quelques briques de l’édifice à construire pour transformer les idées neuves en de futurs produits et de nouvelles sources de compétitivité » (p. 113). On rétorquera que la croissance (économique) n’est pas forcément l’alpha et l’oméga de toute politique : d’ailleurs, le positionnement croissant des clusters sur les énergies renouvelables (à commencer par la Silicon Valley), ne renvoie-t-il pas à d’autres urgences.