Cet éditorial est d’abord paru en anglais dans Town Planning Review, pour introduire un numéro spécial (Vol 96. Issue 4) sur le « No Net Land Take » en Europe, réalisé dans le cadre du projet ANR Gertrud. L’éditorial a été traduit ici par les auteurs pour Fonciers en Débat et est publié avec l’aimable autorisation de Liverpool University Press. L’ensemble des articles du numéro est accessible en Open Acces sur le site de la revue en suivant le lien
L’urbanisme dans le contexte du « No Net Land Take » : vers un nouveau paradigme de la planification urbaine en Europe ?
Les impacts environnementaux, sociaux et économiques de la diminution des espaces agricoles et naturels sont un sujet majeur pour la recherche, et les changements d’utilisation des sols font partie des limites planétaires identifiées par la communauté académique (Rockström et al. 2009). L’artificialisation[1] des terres fait partie des indicateurs retenus par les Nations Unies pour évaluer la mise en œuvre de son objectif de développement durable relatif à la résilience des villes et des établissements humains. À l’échelle européenne, les dernières décennies ont été caractérisées par une augmentation des surfaces « consommées » pour la construction et les infrastructures urbaines, qui se révèle sans commune mesure avec celle de la population (Pesaresi et al. 2016). L’artificialisation a pour conséquence des pertes irréversibles en matière de services écosystémiques fournis par les sols, en matière de biodiversité, de régulation du risque d’inondation ou encore d’atténuation des effets du changement climatique (Yuan et al. 2019). Plus largement, une artificialisation mal maîtrisée des terres fragilise la résilience des villes en matière de santé, de mobilité ou d’approvisionnement alimentaire et énergétique (Hortas-Rico et Solé-Ollé 2010). Situées historiquement sur les terres les plus fertiles, l’extension des villes s’opère en priorité sur des sols à potentiel agronomique élevé.
Limiter la consommation de terres est devenu un objectif explicite à l’agenda des politiques de l’Union européenne depuis le début des années 2000. Au niveau européen, cet objectif s’est traduit par un travail de définition et de production d’indicateurs (European Environment Agency, 2019) et par des objectifs à la fois quantitatifs et non contraignants à destination des États membres, à charge pour eux de les mettre en œuvre dans leurs politiques nationales. Ces objectifs ont subi des reformulations successives jusqu’à la proposition de directive sur la surveillance des sols (European Council, 2024).
Une rupture importante dans l’agenda des politiques en la matière est le passage d’objectifs de réduction de la consommation de terres à un objectif général d’arrêt de la consommation nette de terres (no net land take). Dans le même temps, les objectifs fixés à l’échelle européenne au début des années 2000 n’ont pas été tenus (European Environment Agency 2019). Parmi les États membres ayant fixé des objectifs chiffrés au niveau national, aucun n’a réussi à infléchir de manière significative le rythme de la consommation de terres sur une période pluriannuelle et, souvent, les objectifs ont été périodiquement révisés dans un sens moins ambitieux. Ce constat d’échec questionne sur l’efficacité d’objectifs non contraignants et sur les raisons des difficultés de mise en œuvre.
On observe en effet une contradiction entre une ambition croissante des objectifs en la matière et une performance médiocre des politiques mises en œuvre depuis vingt ans. Cette contradiction souligne le besoin de recherches en sciences sociales qui traitent, d’un point de vue empirique, de la mise en œuvre des politiques de planification. Il s’agit en particulier de mieux documenter la dimension multiscalaire de ces politiques, en intégrant les stratégies, négociations, conflits et rapports de force nationaux et régionaux.
Une nécessité de repenser en profondeur les politiques d’aménagement urbain
Au-delà de la réduction de la consommation de terres, ces nouveaux objectifs induisent aussi des changements importants dans la manière de concevoir les politiques foncières dans une perspective de « post-croissance ». Ils amènent par exemple à intégrer très en amont les alternatives à l’urbanisation, ou la compensation de l’urbanisation. Cependant, le recyclage des espaces urbanisés et la désartificialisation sont encore marginaux. Le modèle économique de la renaturation reste encore complexe et coûteux : il ne représente qu’une très faible part du bilan « net » de la consommation de terres (Bovet et Marquard 2022).
Dans le même temps, les politiques de limitation de la consommation de terres ne peuvent se réduire à une vision étroite de la densification des villes. Des arbitrages complexes sont nécessaires pour concevoir des villes multifonctionnelles, par exemple en densifiant des espaces stratégiques tout en préservant par ailleurs des infrastructures vertes (parcs, jardins publics et privés, agriculture urbaine), lesquelles fournissent des services écosystémiques essentiels pour la résilience climatique et sociale des villes (Chatzimentor et al. 2020).
À côté des indicateurs et objectifs quantifiés, les politiques de limitation de la consommation des terres invitent parfois à prendre en compte des dimension plus qualitatives, liées à la morphologie urbaine ou la structure de la propriété foncière pour garantir par exemple l’accessibilité en termes de mobilité et les continuités écologiques. Comme le soulignent Marquard et ses coauteurs, « l’aménagement de différents terrains avec des dimensions similaires peut avoir des conséquences très différentes en termes de durabilité » (Marquard et al. 2020).
La mise en œuvre des politiques de limitation de la consommation de terres implique donc d’explorer toutes les dimensions sociales, économiques et environnementales de l’aménagement urbain (Colsaet, Laurans, et Levrel 2018). Elle pose par ailleurs des questions d’inégalités entre pays et de justice spatiale à l’échelle internationale, nationale et régionale. Certaines régions sont soumises à des vulnérabilités multiples en matière de résilience climatique, sociale et environnementale. Decoville et sa coautrice estiment par exemple que « le taux élevé d’imperméabilisation dans les villes du pourtour méditerranéen peut sembler particulièrement problématique, dans la mesure où cette région a été identifiée comme l’un des points chauds du changement climatique en Europe » (Decoville et Feltgen 2023). Le potentiel comme les effets de l’intensification des usages du sols sont finalement très inégaux au sein du continent européen.
Le “No Net Land Take” en pratiques
Dans plusieurs pays européens (mais aussi en dehors de l’UE comme en Suisse), on constate déjà, dans les faits, des effets transformateurs indéniables liés au NNLT sur les acteurs de l’aménagement et de la planification urbaine, que ce soit sur les politiques, les actions, les instruments, ou les organisations. Mais si l’on regarde le NNLT en pratiques, au prisme de sa mise en œuvre, ce qui est l’objet de ce numéro spécial, il faut probablement nuancer les changements.
On constate en premier lieu une grande hétérogénéité des transformations à l’œuvre. Au-delà d’un mouvement commun en faveur du NNLT en Europe, il existe des différences significatives entre les enjeux et les priorités définis par les politiques nationales : enrayer l’étalement urbain, préserver la biodiversité, lutter contre l’imperméabilisation des sols ou garantir la souveraineté alimentaire (Bovet et al., 2019 ; Cotella et al., 2020). Les différences sont également marquées entre les systèmes d’action et de gouvernance du NNLT. Au-delà des objectifs énoncés par les gouvernements nationaux ou locaux, l’évolution des processus de consommation foncière dépend des institutions, des jeux d’acteurs, des instruments, des conditions de mise en œuvre etc. Buitellar et Leinfelder montrent à quel point les institutions publiques, leur action, et les jeux d’acteurs encouragent, ou au contraire limitent, les dynamiques d’expansion urbaine. Au-delà des facteurs bien documentés, tels que la croissance démographique et économique ou l’expansion des réseaux de transport, les mécanismes de gouvernance et l’équilibre des pouvoirs entre les acteurs peuvent avoir une incidence sur les processus de consommation des terres (Buitelaar et Leinfelder, 2020).
La mise en œuvre du NNLT renvoie en réalité généralement à une combinaison de différents instruments de portées diverses : taxes, acquisitions foncières, documents d’urbanisme, négociations avec les propriétaires privés, etc. Les recherches focalisées sur les instruments de transformation ou de préservation des terres montrent qu’ils peuvent être combinés, transformés ou contournés pour orienter l’urbanisation. Les modalités de mise en œuvre sont en conséquence très divers, ce qui renforce l’hétérogénéité des effets. Selon les pays, voire à un niveau plus local, on observe des manières différentes de comptabiliser les consommations foncières, ou encore des manières différentes de les inscrire dans les documents de planification. Certaines injonctions sont contraignantes juridiquement, d’autres sont de simples préconisations et incitations sans obligation.
Ces différences ne sont pas surprenantes. L’injonction au No Net Land Take s’inscrit dans une histoire longue et différente de la planification d’urbanisme dans chaque pays, et de la manière dont la question y a été prise en compte. Certains pays de l’UE avaient commencé à s’orienter vers une limitation de l’artificialisation avant même qu’on ne parle du No Net Land Take au niveau européen. Si on regarde dans une plus longue durée, celle de l’aménagement urbain, les évolutions ont parfois déjà été engagées avant, au prisme de la lutte contre l’étalement urbain par exemple.
La mise en œuvre ne se passe jamais comme prévu.
Les contributions au numéro spécial de Town Planning Review montrent globalement que la mise en œuvre du NNLT ne se passe jamais comme prévu. Un premier facteur renvoie aux réticences techniques et politiques au niveau local à l’égard du NNLT. Les pratiques d’aménagement du territoire des acteurs publics et privés ne suivent pas nécessairement les orientations définies par les directives ou les instruments nationaux. Dans un même cadre national, des différences s’observent au niveau local sur les efforts en matière de lutte contre l’artificialisation, en fonction des enjeux et des stratégies des acteurs locaux. Certains se saisissent du NNLT, et d’autres pas du tout. Certains instruments peuvent s’avérer plus ou moins difficiles à mobiliser selon les contextes. Les autorités chargées de l’aménagement du territoire dans les zones périurbaines et rurales sont, par exemple, souvent plus réticentes à intervenir sur le marché foncier par le biais d’achats fonciers ou de procédures d’expropriation. Aux Pays-Bas, dans les espaces périurbains, les autorités compétentes en matière d’aménagement ont ainsi peu recours à l’expropriation pour préserver la biodiversité et privilégient les accords à l’amiable avec les propriétaires fonciers (van Straalen et Korthals Altes, 2014).
D’autres facteurs affectent la mise en œuvre du ZAN. Dans certains pays, la recherche met en évidence que la fragmentation institutionnelle et politique complexifie encore les choses et peut constituer un obstacle aux politiques de maîtrise de l’urbanisation (Colsaet, 2018 ; Pagliarin, 2018). Les temporalités de la planification urbaine sont également en cause : les évolutions des systèmes de planification comme des instruments sont très longues, pour des raisons techniques et politiques. La mise en œuvre du NNLT est aussi freinée par le fait que l’urbanisation peut se produire en dehors des zones initialement prévues par les autorités publiques (Le Bivic et Melot, 2020 ; Idt et Pellegrino, 2021) : les instruments sont alors inefficaces. Les difficultés sont liées aussi aux réticences des propriétaires, et corrélativement aux systèmes juridiques de propriété, par exemple avec les problèmes engendrés par le rétrozonage (downzoning). En Belgique, les politiques de la région flamande et de la Wallonie buttent sur la question de la compensation des moins-values pour les propriétaires, les droits à construire étant considérés comme acquis pour le propriétaire une fois qu’ils ont été accordés.
Enfin, soulignons les difficultés de mise en œuvre de la densification, qui semble un corolaire du NNLT (sauf à changer de paradigme en arrêtant totalement de construire de nouveaux bâtiments). L’articulation entre la limitation de l’ouverture à l’urbanisation et la densification n’est, en effet, pas toujours pensée ni organisée dans les politiques publiques. Et même lorsque la densification urbaine est un objectif porté par les gouvernements nationaux, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours le cas, elle est souvent difficile à mettre en œuvre au niveau local. En effet, les processus de densification dépendent fortement de la dynamique locale impulsée par des acteurs privés, tels que les propriétaires fonciers et les promoteurs immobiliers (Touati-Morel, 2015 ; Götze et Hartmann, 2021). La densification est un processus long et complexe. En Suisse, la révision de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (2014) impose par exemple aux communes de densifier dans les limites des zones urbaines existantes afin de préserver les terres agricoles et de limiter l’étalement urbain. Cependant, les élus locaux sont confrontés à la capacité importante des habitants suisses de geler l’urbanisation grâce au mécanisme référendaire (Debrunner et al., 2022).
Les effets pervers du NNLT
En conséquence, le NNLT n’a pas toujours les effets escomptés. Par exemple, en matière de préservation des sols ou de biodiversité, ses effets dépendent largement de la qualité des sols non artificialisés, ce qui est rarement un critère dans les politiques de NNLT. La focale souvent très comptable du NNLT, souvent en l’absence de consensus entre les acteurs sur une méthode de mesure du phénomène, entraine un risque de perte du sens de l’action et met au second plan les objectifs initiaux de préservation de la biodiversité, de gestion de l’eau et des ressources, etc.
Qui plus est, le NNLT peut avoir des effets pervers qui sont encore mal perçus et mal évalués par les acteurs comme par les chercheurs, notamment les effets sociaux. De manière générale, la nature des déterminants et des effets de l’offre foncière est controversée dans la littérature. Pour certains auteurs, les choix d’urbanisation sont davantage déterminés par les marges de manœuvre politiques des municipalités que par l’abondance ou la rareté des terrains (Chanel et al., 2014). Pour d’autres, dans le cadre des politiques de NNLT, restreindre l’urbanisation renforce les situations de rareté foncière, contribue au renchérissement du coût du foncier et in fine des logements. La production de logements s’en trouve limitée, particulièrement en zone tendue, et les promoteurs répercutent le coût du foncier sur les acquéreurs (Desjardins 2020). La rareté foncière peut aussi conduire à des difficultés pour produire les équipements induits par l’urbanisation. Elle met finalement en péril d’autres objectifs publics tout autant légitimes, du logement au développement économique, qui se trouvent en compétition avec ceux du NNLT. En Suisse, la loi fédérale sur l’aménagement du territoire est très restrictive à l’égard de toute nouvelle urbanisation, ce qui marche plutôt bien, mais peut entraîner des effets pervers tels que la hausse des prix de l’immobilier dans les zones densifiées et l’exclusion des populations à faibles revenus (Debrunner et Hartmann, 2022). La différentiation territoriale au niveau local induit aussi des risques de report de l’artificialisation sur les territoires les plus permissifs, qui en paient ensuite les coûts : problèmes d’équipements, allongement des déplacements, etc.
Plus largement, le NNLT remet en cause les modèles économiques de l’aménagement urbain, mais les acteurs peinent à trouver de nouveaux modèles qui marchent. Si toute urbanisation nouvelle est, à terme, interdite, il faut réaménager uniquement l’existant. Une piste consiste à densifier, ce qui, on l’a vu, pose des problèmes d’acceptabilité locale de la densification. Une autre piste consiste à imaginer des péréquations financières de l’aménagement à des échelles plus larges (taxes, fonds de péréquation, etc.) pour compenser les coûts du foncier en secteurs déjà urbanisés. Une dernière piste, plus difficile mais absolument nécessaire, consiste à penser le réaménagement des espaces sans nouvelles productions de surfaces immobilières, ce qui soulève des problèmes financiers majeurs et réinterroge en profondeur l’aménagement urbain.
Le numéro spécial : le NNLT au prisme de sa mise en œuvre
C’est donc au prisme de la mise en œuvre que les articles du numéro spécial abordent à leur manière le NNLT, en examinant les déclinaisons nationales, les pratiques concrètes et les difficultés qui se posent. Comment les acteurs publics et privés s’organisent-ils pour atteindre les objectifs de limitation de la consommation des terres ? Quelles sont les difficultés et les ambivalences rencontrées ? Comment la gestion de la consommation des terres transforme-t-elle les pratiques d’aménagement du territoire ? Quels sont les effets de ces transformations sur les processus d’urbanisation ? Que signifie l’objectif « zéro consommation nette de sols » pour des systèmes de planification et d’aménagement conçus pour adapter les territoires à la croissance urbaine ?
Ce numéro spécial examine les différences entre les orientations politiques au niveau national et régional à travers une perspective comparative fondée sur des études de cas empiriques. Nous tentons de comprendre la « boîte noire » des pratiques locales afin d’adopter une approche critique des politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire (Evers et al., 2020). Alors que les politiques visant à limiter la consommation des terres sont encore en cours d’élaboration dans la plupart des pays européens, des pratiques d’adaptation et d’anticipation sont déjà mises en œuvre par des acteurs publics et privés à différentes échelles. Ce numéro spécial apporte un éclairage sur les pratiques infranationales en matière de réglementation en réponse aux nouvelles exigences sociales, environnementales et économiques en matière d’aménagement du territoire. Il fournit des informations sur la mise en œuvre des instruments. Il se concentre sur la réalité des pratiques d’aménagement du territoire. Il met en évidence les obstacles locaux et les pistes d’amélioration pour la mise en œuvre des politiques et le développement de projets visant à limiter la consommation des terres dans différents contextes nationaux. Il alimente la réflexion sur les politiques foncières et leur effet sur les processus de transformation spatiale. L’objectif principal de ce numéro spécial est d’alimenter les débats autour de points de vue divergents sur le sujet, sans nécessairement aboutir à une conclusion normative.
L’article de Peter Lacoere et ses coauteurs (Antoine Decoville, Rémi Delattre, Romain Melot, Detlef Grimski, Martin Schamann et Jean-Marie Halleux) approfondit le cas de cinq pays européens dont les législations nationales sont les plus ambitieuses en matière de réduction de l’artificialisation : France, Allemagne, Autriche, Luxembourg, Belgique. Jusqu’à une date récente, ces cinq pays avaient tous fixé des objectifs quantitatifs, ces objectifs étant tous non contraignants, à l’exception de la France à partir de la loi Climat et résilience. Concernant les pays pour lesquels on dispose d’un certain recul, dans la mesure où leur droit national avait fixé des objectifs quantitatifs depuis le début des années 2000 (Allemagne, Autriche et dans une certaine mesure Belgique), les résultats convergent pour montrer l’inefficacité d’objectifs non contraignants. Aucun de ces pays n’a réussi à infléchir de manière significative le rythme de l’artificialisation sur une période pluriannuelle ; et dans certains cas (Allemagne), les objectifs ont été périodiquement révisés dans un sens moins ambitieux. Parmi les éléments d’explication proposés, figurent la difficulté à mobiliser les autorités locales en charge de la planification en l’absence d’objectifs contraignants, la difficile mise en place de règles de coordination entre collectivités (quotas de terres urbanisables) et le coût financier important des indemnisations de propriétaires en cas de pertes de droits à construire en cas de rétrozonage. L’article identifie des recommandations en matière de gouvernance pour améliorer la mise en œuvre des politiques de limitation de l’artificialisation.
La contribution de David Evers met l’accent sur le rôle, en matière de mise en œuvre, des définitions et de la mesure. Il traite du cas des Pays Bas. Il s’interroge sur l’impact potentiel du NNLT sur l’aménagement du pays, et insiste à cet égard sur l’importance que les acteurs puissent bien définir ce qu’ils entendent par artificialisation des sols. David Evers compare les mesures de l’artificialisation des sols entre 2000 et 2018 en prenant différentes définitions contrastées. Une définition plus qualitative, c’est-à-dire tenant compte de la qualité des sols artificialisés et des services écosystémiques qu’ils rendent, se révèle plus prometteuse qu’une approche strictement quantitative et comptable. Plus flexible, elle se prête probablement mieux, selon l’auteur, aux spécificités de l’activité de la planification urbaine comme exercice d’« équilibre » entre différents objectifs légitimes.
Joel Idt et al. (Julie Pollard et Camille Le Bivic) abordent le cas des périphéries françaises de la métropole de Genève. Ils décrivent une situation où la loi d’aménagement du territoire suisse (LAT) est plus restrictive que les règles en vigueur en France, ce qui entraine un report massif de l’urbanisation côté français. Dans ce contexte, les auteurs s’intéressent à la manière dont les récentes lois nationales françaises en faveur du « Zéro Artificialisation Nette (ZAN) » sont reçues localement, au niveau des municipalités en charge de la définition des politiques de planification urbaine. Le ZAN n’est que partiellement intégré dans les représentations des acteurs, et la déclinaison dans les instruments de planification urbaine et les pratiques au niveau local se révèle lente et laborieuse. En particulier, la mise en œuvre des objectifs définis au niveau national se heurte localement aux temporalités longues de l’aménagement urbain.
Sofia Pagliarin compare les objectifs de réduction de l’étalement urbain en Catalogne (Espagne) et en Lombardie (Italie), et met l’accent sur les pratiques des acteurs locaux et supra-locaux en matière de planification territoriale et spatiale dans ces deux régions, pour comprendre lesquelles semblent les plus adaptées pour réussir effectivement à réduire l’étalement. L’auteur compare les plan stratégiques territoriaux à grande échelle, et interroge les modalités et les formes des dialogues qui s’organisent entre les acteurs de la planification locale et supra-locale. En partant d’une grille de lecture qui distingue quatre modes de communication (monologique, argumentatif, propositionnel, l’intermédiation) en matière de planification, Sofia Pagliarin montre que « l’intermédiation », caractérisée par des discussions horizontales autour d’une définition des caractéristiques de la consommation des terres, se révèle probablement les plus en phase avec les pratiques de réduction de l’étalement urbain. La conclusion de l’article revient cependant sur les réticences ou l’inaction des autorités locales lorsqu’elles ajustent leurs plans locaux aux plans supra-locaux.
La contribution d’Evelin Jürgenson et ses coautrices (Kärt Metsoja et Kätlin Põdra) porte sur le cas de l’Estonie et examine les spécificités des enjeux d’observation et de régulation de l’urbanisation dans un pays peu densément peuplé. L’article revient sur la trajectoire des politiques foncières suivies par l’Estonie après la chute du bloc soviétique au début des années 1990. Il retrace le passage d’un système de planification urbaine centralisé à une urbanisation peu contrôlée durant la période de transition. L’article vise par ailleurs à montrer que les catégories statistiques utilisées à l’échelle européenne ne rendent pas suffisamment compte de l’étalement urbain en dehors des aires urbaines fonctionnelles et ne permettent pas d’observer finement les dynamiques d’urbanisation dans un pays peu densément peuplé comme l’Estonie. Pour illustrer ces enjeux, l’auteur examine l’exemple de l’aire résidentielle de Pärnu, ville balnéaire du sud-ouest du pays. Les conclusions de l’étude appellent donc à la vigilance dans les comparaisons internationales en la matière.
Un corollaire essentiel du NNLT consiste à densifier les zones déjà urbanisées plutôt que d’autoriser la construction de nouvelles zones. Dans leur article, Dembski et al. (Thomas Hartmann, Andreas Hengstermann, et Richard Dunning) ;examinent les politiques urbaines visant à promouvoir la densification du logement. Ils développent une approche comparative entre l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse. Dans tous ces pays, les États ont récemment modifié leurs politiques urbaines afin de favoriser la densification du bâti. Les auteurs soulignent que ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’une transition d’un État « positif », jouant un rôle direct dans la production de biens publics urbains, vers un État « régulateur », s’appuyant sur l’intervention privée. Dembski et al. comparent les différents outils réglementaires. Ils s’interrogent sur leur caractère généraliste ou, au contraire, spécifique à un lieu et ciblé sur un territoire. Ils soulignent que la densification ne résulte pas nécessairement de nouvelles lois, mais plutôt d’une utilisation plus efficace par les acteurs locaux des instruments de politique foncière existants.
Dans sa contribution, Paul Cheshire propose enfin une lecture critique des politiques de réduction de la consommation des terres, en partant du cas de la Green belt de Londres au Royaume-Uni. Il s’appuie sur une analyse économique de l’évolution du marché foncier et immobilier de cette région et sur les résultats de modèles hédoniques pour conclure à l’inefficience de politiques de limitation de l’artificialisation (containment policies) menées de manière trop stricte. Il identifie en particulier plusieurs effets non désirés de ces politiques dans un contexte de rareté foncière : effets de report de l’urbanisation sur les franges des espaces protégés, inégalités dans l’accès au logement et aux aménités paysagères. Il propose enfin des pistes en matière de fiscalité foncière pour minimiser les effets inégalitaires des politiques de limitation de l’artificialisation.
[1] Nous employons indifféremment ici les termes « artificialisation » et « consommation » des terres même si, en France, les acteurs font une différence dans leurs pratiques. Les deux termes renvoient en effet à deux manières de mesurer le phénomène : la consommation correspond généralement à un changement d’occupation des parcelles cadastrales dans les documents d’urbanisme ; l’artificialisation correspond à un changement d’occupation mesuré dans les faits, notamment par image satellite.
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