L’Institut de la Transition Foncière* a diffusé le 4/10/2024 ce Briefing (n°5) à la suite de la parution du rapport du sénat du 9 octobre 2024. Cette contribution, qui n’engage que les auteurs, s’ajoute aux débats qui entourent la mise en place de l’objectif du ZAN. Fonciers-en-débat encourage le partage des points de vue.
Le rapport du Sénat du 9 octobre 2024 sur l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) propose des ajustements qui soulèvent des questions quant à l’avenir de cette politique publique pourtant essentielle. Ce briefing revient sur les principaux points soulevés dans le rapport, leurs implications, et nos recommandations.
1. L’importance de protéger les sols affirmée, l’objectif récusé
Le rapport du Sénat dresse un constat partagé sur les effets négatifs de l’artificialisation des sols – sur la biodiversité comme sur l’atteinte des objectifs de neutralité carbone et de souveraineté alimentaire. De plus, le Sénat prend acte du consensus désormais affirmé sur le « pourquoi » de l’objectif ZAN constatant que « tous les acteurs interrogés dans le cadre des travaux du groupe de suivi se sont déclarés favorables à une sobriété foncière accrue ». Selon une enquête de la Fédération nationale des SCoT, plus des deux tiers des intercommunalités souscrivent au principe.
Le Sénat suggère que chaque collectivité justifie des « besoins en foncier nécessaires à son développement et son dynamisme, sans enveloppe limitative préétablie ». La prise en compte des spécificités territoriales ne peut se réduire à une condamnation de principe d’un objectif national contraignant – la future directive européenne sur la surveillance des sols introduira par ailleurs inévitablement des objectifs généraux. L’Institut partage la nécessité d’accroître la confiance dans la capacité des territoires à innover mais aussi à intégrer l’objectif réglementaire dans leur stratégie respective, à condition d’être accompagnés. A ce titre, la mise en place de guichets uniques locaux ou le renforcement du rôle des référents ZAN dans les préfectures pour accompagner les territoires semblent pertinents. Rappelons surtout que depuis 2021, une majorité d’élus locaux ont travaillé sur des stratégies de sobriété foncière et de renaturation, et il serait dommageable de ne pas récompenser ces efforts, en signalant par un recul législatif qu’il n’y avait, au fond, pas besoin de se conformer à temps aux objectifs écologiques. Renoncer à cet objectif reviendrait à pénaliser les collectivités qui ont pris des initiatives ambitieuses en matière de sobriété foncière, et à encourager l’attentisme des plus réfractaires.
Le Sénat plaide pour une « application systématique de la tolérance de 20 % de dépassement de l’enveloppe d’artificialisation ». Pourtant, l’atteinte de la neutralité foncière est atteignable au rythme suggéré initialement. Il convient seulement d’y consacrer des moyens financiers et de la Recherche et Développement (R&D) à la hauteur de l’enjeu, de repenser la fiscalité locale et d’accepter de modifier en profondeur le modèle économique entre artificialisation et recyclage foncier. Au contraire de l’assouplissement des objectifs, l’Institut souscrit à la nécessité d’une massification substantielle des outils à la dispositions des collectivités et des entreprises pour mettre en œuvre le ZAN. Ces outils doivent être open-source et adossés à des standards reconnus par la filière, comme pour la rénovation énergétique.
Enfin, le rapport affirme que le ZAN « n’est en réalité qu’un sigle vide de sens, impropre à protéger réellement nos sols ». Qu’à cela ne tienne, le vrai nom du ZAN, c’est la neutralité foncière en 2050, au même titre que les pays européens se sont engagés à la neutralité carbone en 2050. Les arguments déployés par le rapport, sur la mise en débat de la possibilité réelle de compenser l’artificialisation à partir de 2031, par exemple, semblent essentiellement rhétoriques. Plutôt que la remise en cause de l’objectif ZAN, l’Institut préconise de compléter la réforme par un second volet permettant de passer à une vision fonctionnelle des sols – fonctions écologiques qui ont été déjà définies par la loi Climat et résilience. Les mesures des sols induites permettront de chiffrer davantage la dette écologique créée par la dégradation d’un sol par une opération artificialisante et ainsi de penser non plus seulement en perte économique de la sobriété foncière mais aussi en gain sur le long terme. Ainsi, en complément de l’enveloppe “surfacique” par territoire, qui doit rester limitée par l’objectif ZAN, cette enveloppe pourrait évoluer positivement ou négativement selon la dégradation des sols sur son périmètre.
2. Hiérarchiser les priorités ne doit pas signifier les abandonner
2.a. La réindustrialisation “verte” peut se faire en contexte ZAN…
Le groupe de suivi propose « d’exempter du décompte de l’artificialisation, jusqu’en 2031, l’emprise foncière de l’ensemble des implantations industrielles », puisqu’actuellement 60%[1] des élus craignent de ne pas disposer de suffisamment de foncier pour répondre aux besoins économiques de leurs territoires. Cependant, outre la surestimation fréquente de ces besoins – notamment vis-à-vis de d’hypothèses démographiques à rebours des prévisions de l’INSEE –, une étude du Cerema montre que 54% des répondants envisagent toujours la consommation foncière comme levier d’accroissement de leur foncier économique. Il semble manquer aujourd’hui une réflexion approfondie sur la requalification des zones d’activité économique (ZAE) existantes, des moyens financiers pour la dépollution et des nouvelles formes urbaines pour l’industrie, tout en créant un immobilier professionnel plus intensif, mixte et flexible en matière d’usages. Seules 28 % des ZAE sont saturées, et le problème réside surtout dans les industries nécessitant plus de 50 hectares, déjà comprises principalement dans les projets d’envergure nationale et européenne (PENE). L’objectif de décarbonation de notre économie, tout comme celui de protection des sols, doivent coexister de manière intelligente : dans la mesure où l’artificialisation d’un sol est irréversible à moyen terme pour nombreuses de ses fonctions écologiques, il est nécessaire de développer autant que possible l’industrie sur des espaces déjà artificialisés.
Ce graphique montre la rupture dans l’évolution démographique postulée par le PLU entre une population municipale de 601 habitants en 2021 et l’objectif de 800 habitants à l’horizon 2030, par rapport aux tendances démographiques passées :
2.b. … tout comme la réponse à la crise du logement
Le rapport suggère « d’exclure temporairement (jusqu’en 2031) du décompte de l’artificialisation des sols, sous certaines conditions, les constructions nouvelles de logements sociaux ». Le besoin de logements sociaux est effectivement urgent, à l’heure où le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est en augmentation et que les prix du logement ont été multipliés par 2,5 en vingt ans. Or, rappelons que d’autres facteurs, comme l’augmentation régulière de la vacance des biens (logements[2], commerces, bureaux), la fuite de logements vers le marché des meublés touristiques, la baisse des allocations logements, la baisse des ressources des organismes HLM, et la hausse de la TVA sur la construction contribuent certainement davantage à l’insuffisance de l’offre de logements que la sobriété foncière. Le rapport FNH-FAP[3] a montré la compatibilité des objectifs de logement des plus précaires et de sobriété foncière en recommandant des régulations à mettre en place (voir le briefing à ce sujet). L’offre de logements supplémentaires doit surtout veiller à être abordable et à recourir aux espaces déjà-là : en 2023, on dénombrait 3,1 millions de logements vacants en France (8,3%), 9 à 15% de vacance commerciale et 5 millions de mètres carrés de bureaux vides en Île-de-France[4] (7,4% de vacance), à laquelle peuvent être ajoutées les réserves de densification douce (dont 170 000 hectares de friches sur le territoire) et une sous-occupation/sous-utilisation des bâtiments importante (bureaux, écoles, équipements publics sont vides 80 % du temps).
Le ZAN offre enfin l’opportunité de promouvoir une justice socio-spatiale à travers la régulation des valeurs foncières. Plusieurs propositions du rapport FNH-FAP vont dans ce sens, comme la taxe unique (70%) sur les plus-values de cessions de terrains nus devenus constructibles, la suppression de la réduction progressive de l’assiette d’imposition pour chaque année au-delà de la 18e année de détention qui encourage la rétention foncière, ou encore les référentiels de prix du foncier au niveau des intercommunalités, avec un niveau maximal de charge foncière au-delà duquel l’EPCI ne contribue plus au financement du projet. Ces mécanismes peuvent résoudre la crise du logement sans sacrifier l’objectif de sobriété foncière.
3. Dessiner une autre voie que celle du renoncement écologique
« Ne faudrait-il pas, plutôt qu’un objectif chiffré à la fois contraignant et illusoire, réaffirmer un objectif général de sobriété foncière ambitieux mais moins coercitif ? » interroge le rapport du groupe de suivi. Plutôt que de céder au renoncement écologique, dédions temps et argent pour permettre réellement d’éviter et réduire l’artificialisation des sols. Le rapport du Sénat aurait pu être l’occasion de quantifier les surcoûts liés à l’application du ZAN, les manques à gagner de la renaturation, les besoins précis, à l’heure où 59% des acteurs identifient comme frein majeur à la concrétisation du ZAN la difficile soutenabilité financière des opérations d’aménagement[5].
En parallèle, la nécessaire quantification du coût du ZAN doit être mise en regard des coûts de l’inaction, bien supérieurs. L’Institut de la Transition foncière oeuvre pour créer de nouveaux modèles économiques et de gouvernance permettant de considérer le sol comme un écosystème fonctionnel et non plus comme seul support d’activité, afin de proposer des incitations efficaces. Malgré ses lacunes, la Loi Climat et Résilience officialise ce changement de vision des sols, à partir uquel il faut développer des outils afin de corriger le modèle économique entre artificialisation et sobriété foncière – c’est l’objectif du Bilan d’opération de transition foncière -, afin de mieux connaître et évaluer les fonctions écologiques des sols – c’est l’objectif de l’étude de faisabilité d’un diagnostic sol -, ou encore pour penser une maîtrise foncière publique stratège dans son choix d’activités et dotée de capacité d’investissement pour protéger les espaces naturels agricoles et forestiers tout en répondant au besoin d’une souveraineté alimentaire – c’est l’objectif de notre nouvelle étude sur le portage foncier d’ENAF -.
Le rapport essaie d’opposer “faire vivre son territoire” et “réduire la consommation d’ENAF”.
A l’heure des méga-incendies, des méga-inondations, des sécheresses persistantes, des îlots de chaleur urbains, le respect des sols vivants et de la sobriété foncière semblent au contraire la seule voie pour conserver un territoire vivable. Le ZAN est déjà l’occasion pour de nombreuses communes de repenser leur modèle de développement territorial : faire vivre son territoire, n’est-ce pas un cœur de bourg rénové grâce au recyclage urbain, dans lequel on retrouve des commerces de proximité ?[6] Comment identifier et valoriser les services non marchands qu’apportent la préservation des sols naturels ? C’est le sens que prennent certaines réformes comme celle élargissant le périmètre des dotations de soutien aux communes pour les aménités rurales[7].
En conclusion, le rapport du Sénat, bien qu’il pointe des difficultés réelles, propose des retours en arrière compromettant l’objectif ZAN. Interroger notre capacité à atteindre un objectif ne doit pas conduire à l’abandon de celui-ci. Au contraire, il s’agit d’une opportunité pour repenser notre modèle de développement territorial et mieux concilier les enjeux écologiques et économiques.
[1] Cerema, « Le foncier économique à l’heure de la sobriété foncière : Les résultats de l’enquête auprès des collectivités », paru le 10 octobre 2022. Voir aussi Céréma “Concilier développement économique et sobriété foncière dans les zones d’activité : une série de retours d’expérience pour inspirer les territoires” paru le 1 juillet 2024
[2] Le nombre de logements vacants a augmenté de 31 % en dix ans selon l’INSEE
[3] Rapport de la Fondation pour la Nature et l’Homme et de la Fondation Abbé-Pierre intitulé “Réussir le ZAN et réduire le mal-logement, c’est possible!” paru le 19 mars 2024.
[4] Eléonore Slama, En finir avec le gâchis des mètres carrés : Plaidoyer pour l’intensité d’usage, Apogée, 2024
[5] Livre blanc, SCET
[6] Voir à ce propos l’entretien avec Sylvain Grisot.
[7] Les aménités rurales sont « les attributs physiques, géophysiques et biologiques caractéristiques des communes rurales qui rendent des services
écosystémiques générant des valeurs économiques et environnementales »
* L’Institut de la Transition Foncière est une association loi 1901 regroupant les acteurs engagés dans une gestion durable des sols : collectivités, associations, entreprises, établissements de recherche, opérateurs publics.