Le foncier des infrastructures

par | 15 Nov 2024 | Actu fonciers et territoires, Brèves, Plus Value Foncière

Dans la lignée des questionnements soulevés sur le financement des infrastructures dans le dossier sur les plus values foncières, nous reprenons ci dessous les réflexions de Natacha Aveline, Jean-Baptiste Frétigny et Juliette Maulat qui introduisent un numéro thèmatique de la revue Flux.


Appel à manifestation d’intérêt – Appel à articles : Revue Flux

Numéro thématique: Le foncier des infrastructures
Enjeux, pratiques et instruments de gestion et de valorisation du patrimoine foncier et immobilier des gestionnaires de réseaux

Coordinateur.rices : Natacha Aveline, Jean-Baptiste Frétigny et Juliette Maulat

Le foncier constitue une dimension clef du développement et de la transformation matérielle des réseaux. Les enjeux fonciers et immobiliers associés aux réseaux font l’objet de travaux récents mais restent peu étudiés au sein de la recherche urbaine. Ce numéro spécial de Flux souhaite ainsi rassembler des contributions portant sur les pratiques foncières et immobilières d’acteurs des réseaux, qu’ils soient publics ou privés, dans des secteurs variés (transport, mais aussi déchets, énergie, eau, logistique, etc.).

L’extension et le fonctionnement des réseaux sont à l’origine d’importants besoins fonciers et immobiliers. Leurs gestionnaires, qu’ils s’agissent des États, des collectivités locales ou d’entreprises publiques ou privées, détiennent des patrimoines fonciers et immobiliers conséquents, supports de l’extension des infrastructures et des services associés. Les modalités de constitution de ces patrimoines sont variées et associées à des pratiques d’acquisition amiable, d’expropriation ou d’accaparement mettant en jeu des référentiels, des acteurs et des instruments différenciés selon les contextes territoriaux (Bon, 2017 ; Nguyen et al., 2018).
Outre les enjeux fonciers relatifs au développement des réseaux, différents travaux donnent à voir des évolutions dans les pratiques de gestion du patrimoine des gestionnaires d’infrastructure : de rétention et de conservation du foncier à une gestion active. Ces évolutions se traduisent en particulier par le renforcement de pratiques de cessions des « surplus » – c’est-à-dire des terrains non utiles à la production des services en réseaux -, par la réalisation de programmes immobiliers en surplomb ou à proximité des réseaux, ou encore par la mise en location des biens pour générer des revenus complémentaires. De manière similaire à d’autres propriétaires publics (Christophers, 2017 ; Artioli, 2021), les gestionnaires de réseaux traitent ainsi de plus en plus leur patrimoine non seulement comme un moyen de production, un support du réseau, mais également comme un actif à valoriser et une source de financement. Comme l’a montré F. Adisson (2018), ces mutations sont liées à différentes transformations des États associées à la diffusion des doctrines de New Public Management, à des réformes sectorielles et aux mesures de libéralisation des réseaux, mais également à des politiques d’austérité budgétaire imposant aux gestionnaires de chercher de nouvelles sources de financement pour les réseaux. Les activités foncières et immobilières pèsent ainsi de plus en plus dans les revenus de certains gestionnaires de réseaux et traduisent également des processus de financiarisation, en lien avec les dynamiques de privatisation et de financiarisation des infrastructures (O’Brien et al., 2019a).
Cet usage du patrimoine foncier et immobilier comme un outil de financement des réseaux n’est pas nouveau : les exemples japonais (Aveline, 2003) ou hong-kongais (Aveline-Dubach et Blandeau, 2019) soulignent le poids historique des pratiques de captation des plus-values foncières au sein des entreprises ferroviaires privées. Ces pratiques concernent désormais de plus en plus d’opérateurs, comme l’illustrent des travaux sur les entreprises ferroviaires (Adisson, 2015 ; Riot, 2015 ; Bon, 2021), les ports (Magnan, 2015) ou les aéroports (Halpern, 2011). Elles ont des conséquences importantes sur le fonctionnement interne des gestionnaires d’infrastructures, devenant de nouveaux « ensembliers urbains » (Lorrain, 1995) : création de
filiales dédiées à l’immobilier, inventaires, recours aux outils de la finance pour définir la valeur des actifs (Adisson, 2018), recrutement de nouveaux profils, partenariats avec des grands groupes de l’industrie immobilière, recours à des ressources externes, etc. L’importance croissante des enjeux fonciers liés aux infrastructures se traduit également par l’émergence de nouveaux intermédiaires, spécialistes des enjeux fonciers, agissant pour le compte des acteurs des réseaux.
Ces évolutions ne sont pas sans conséquence sur le financement des infrastructures et les transformations territoriales. Si cette question reste encore peu traitée dans les études urbaines, trois séries de conséquences peuvent être identifiées. Tout d’abord, le recours croissant à des outils de financement fondés sur le foncier fragilise le modèle économique des gestionnaires de réseaux en les rendant en partie dépendant des fluctuations des marchés fonciers et immobiliers (O’Brien et al., 2019). Ensuite, le développement de ces activités foncières et immobilières renforce le rôle des gestionnaires de réseaux dans la gouvernance territoriale, en en faisant des acteurs importants de la production urbaine. Enfin, ces processus ont également des conséquences sur les transformations matérielles des espaces urbains : développement d’hôtels, de zones logistiques ou de centres commerciaux au sein des plateformes aéroportuaires, grands projets urbains sur d’anciens sites ferroviaires ou en surplomb des infrastructures de transport, marchandisation des gares ou redéveloppement des waterfronts portuaires. Les conséquences socio-spatiales d’une marchandisation croissante du foncier des gestionnaires de réseaux sont discutées : en gérant de plus en plus leurs terrains en fonction de logiques financières – pour maximiser leurs revenus – ces acteurs peuvent favoriser des projets ciblant les plus fortunés au détriment d’enjeux urbains relatifs à la production de logements abordables, de services et équipements publics ou d’espaces publics (O’Brien et al., 2019 ; Frétigny et al., 2024).
Aujourd’hui, les enjeux écologiques et de transition constituent une donnée nouvelle pour ces gestionnaires. Les objectifs de réduction de l’artificialisation, conduisant à des tensions sur les ressources foncières disponibles pour les infrastructures, amènent ainsi certains gestionnaires à abandonner leurs pratiques de cession au profit de nouvelles logiques de conservation de leur patrimoine, pour préserver des possibilités futures de développement des réseaux, mais aussi générer des revenus à long terme. Ces inflexions ont également des conséquences sur les modalités foncières d’extension des réseaux, autour des dispositifs de compensation, constituant de nouveaux marchés (Berté, 2022).
Ce numéro de Flux propose d’aborder la dimension foncière des infrastructures et d’interroger les logiques, pratiques et instruments mis en oeuvre par les acteurs des réseaux, dans différents secteurs, en matière de foncier et d’immobilier. Quels sont les principaux enjeux fonciers et immobiliers actuels relatifs aux réseaux ? Comment ont évolué sur le temps long les stratégies foncières et immobilières de leurs gestionnaires ? Comment concilient-ils les enjeux financiers, industriels, territoriaux et environnementaux dans la gestion de leur patrimoine ? Quels effets des stratégies de gestion et de valorisation foncière sur le fonctionnement des réseaux et les transformations territoriales ?
Cet appel invite à soumettre des articles fondés sur des recherches empiriques approfondies, des analyses situées, pouvant mobiliser des perspectives historiques, qui permettent de documenter les pratiques concrètes de gestion du patrimoine foncier des opérateurs de réseaux à partir d’approches disciplinaires variées (aménagement, géographie, sociologie, histoire, sciences politiques, etc.). Tout en étant ouvert à d’autres perspectives, l’appel s’articule autour de quatre axes d’analyse, non mutuellement exclusifs :
● Les stratégies et pratiques d’acquisition, de gestion et de valorisation du foncier des gestionnaires de réseaux : Comment ont évolué sur le temps long les pratiques foncières et immobilières des opérateurs de réseaux, et quelles logiques structurent ces évolutions ? Quelles conséquences des changements de modes de gouvernance et de financement des réseaux sur les modalités de gestion du patrimoine foncier et immobilier des gestionnaires ?
● Les ressources et instruments de gestion foncière et immobilière des gestionnaires de réseaux : Les acteurs des réseaux s’appuient sur différentes ressources organisationnelles et professionnelles, mais aussi différents instruments, outils et techniques pour gérer leur patrimoine. Quels professionnels prennent en charge ces activités foncières et immobilières ? Quels sont les outils développés pour connaître le patrimoine, identifier des surplus ou définir
des potentiels de valorisation ? Quelles diffusions des pratiques, normes, routines de l’industrie immobilière au sein de ces gestionnaires d’infrastructure ?
● Les transformations matérielles du foncier infrastructurel et leurs portées territoriales : Une partie du patrimoine des gestionnaires d’infrastructure, identifiée comme surplus, fait l’objet de projets de valorisation sous la forme de programmes immobiliers, de logement ou d’activités, ou pour d’autres types d’usage. Comment sont conçus les projets développés sur les terrains des gestionnaires de réseaux ? Ces projets urbains sur des terrains infrastructurels font-ils l’objet de montages particuliers ? Quel contenu matériel de ces projets et quelles conséquences socio-spatiales pour les populations et les territoires concernés ?
● Quelle écologisation des stratégies foncières et immobilières des gestionnaires de réseaux ? Les normes environnementales, imposant en particulier une réduction de l’artificialisation des sols et des dispositifs de compensation, constituent une limite nouvelle pour les projets de développement des acteurs de réseau, mais également pour leur gestion du patrimoine existant. Comment ces impératifs écologiques modifient-ils leurs stratégies foncières et immobilières ?

Les conseils aux auteurs et le calendrier sont disponibles sur le site de la revue Flux

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