L’artificialisation des sols en dix questions-réponses

par et | 2 Avr 2020 | ZAN

1 – L’artificialisation des sols est dans le top 10 des indicateurs de richesse nationale et de bien-être : comment est-on arrivé là ?
L’artificialisation des sols est un des dix indicateurs de richesse nationale, à côté de neuf autres : emploi et chômage, inégalités de revenu, espérance de vie en bonne santé, satisfaction dans la vie, pauvreté, empreinte carbone, décrochage scolaire, dépenses de recherche et endettement public. Deux démarches parallèles ont abouti à cette sélection d’indicateurs.
Le rapport de Stiglitz, Sen et Fitoussi (2009) avait conclu que le PIB était insuffisant pour mesurer la croissance et la richesse. Dans son prolongement, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et France stratégie ont engagé, fin 2014, une démarche citoyenne (questionnaire en ligne, sondage, panel de citoyens, groupes de travail) d’où ont émergé 10 indicateurs, dont trois environnementaux : empreinte carbone, recyclage des déchets et abondance des oiseaux (indicateur mesurable de biodiversité).
Peu après, la loi n° 2015-411 demande au gouvernement de publier tous les ans un rapport sur les indicateurs de richesse. Pour cela, le gouvernement a utilisé les travaux du CESE et de France stratégie, mais il a supprimé de la liste des indicateurs les oiseaux et les déchets pour les remplacer par la pauvreté en conditions de vie et l’artificialisation des sols.
Dans le même temps, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait 17 objectifs de développement durable (ODD). Aucun d’entre eux ne concerne l’artificialisation des sols ou l’étalement urbain, même dans les 169 déclinaisons fines de ces 17 objectifs[1]. La France a mis en œuvre cette résolution des Nations Unies, comme le précise l’Insee : « à l’issue d’une concertation menée sous l’égide du Conseil national de l’Information statistique a été proposé mi-2018 un tableau de bord de 98 indicateurs qui constituent le cadre national pour le suivi des progrès de la France dans l’atteinte des 17 objectifs de développement durable [des Nations Unies] ». Il en résulte quatre indicateurs retenus dans l’objectif n°11 : surpeuplement des logements, déchets, émissions de particules fines et artificialisation des sols.
2- Au plan local : Planter des arbres ou couler du béton ?
En théorie économique, pour faire simple, un élu a pour objectif d’être réélu, ce qui le rend sensible à l’opinion publique et, lorsque celle-ci est divisée, à « l’électeur médian », qui fait basculer un vote en sa faveur ou défaveur. Il adapte sa politique à ce qui plaît à son électorat.

Verbatim 1. « dans un sondage récent 18 % des américains répondent que l’étalement urbain et l’artificialisation des sols sont le principal problème auquel est confrontée leur collectivité locale, réponse arrivant en tête avec les crimes et violences »[i].

Pour 18 % d’américains, l’artificialisation de sols n’est plus dans le top 10 : au niveau local, elle est le top one (verbatim 1). Cela conduit à des approbations massives des referendums locaux contre l’urban sprawl (étalement urbain) et le development (construction)

Verbatim 2. En France, selon Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’Institut français d’opinion publique, « à l’approche des élections municipales des 15 et 22 mars, quatre grands sujets de préoccupation dominent. Le premier concerne la sécurité et la propreté. (…) Le deuxième sujet est l’écologie : partout s’exprime une demande de chlorophylle, assortie d’un refus de la densification. (…) Le troisième sujet porte sur le prix de l’immobilier. (…) La dernière problématique, variable selon les territoires, est l’animation commerciale des centres-villes »(Le Monde).Dans le même journal, l’architecte et urbaniste Christian de Portzamparc dit que « les maires bâtisseurs se cachent lors des élections. (…) De nombreux candidats aux élections municipales des 15 et 22 mars refusent de parler construction et aménagement, pour ne promettre que de la verdure ».

En France, la non-densification est, au plan local des élections municipales, dans le top 4 (verbatim 2). En schématisant à peine, planter des arbres au lieu de couler du béton : voilà ce que demandent les habitants. Le débat est exacerbé en région parisienne.
3 – Pourquoi le NIMBY ?
Ce thème du NIMBY, Not In My BackYard, a donné lieu à une abondante littérature, dans laquelle les travaux de Fischel sont souvent cités[ii].

Verbatim 3. Fischel montre que « un ménage propriétaire occupant d’un logement vote pour un projet municipal qui se traduit par une plus-value de son bien, par exemple dans un référendum local ou en faveur d’un maire qui soutient ce projet» [iii]Cavailhès et Charmes, analysant le NIMBY en Franceiii, concluent que « leur intérêt [des propriétaires] est de freiner l’urbanisation pour préserver le cadre de vie et ses aménités qui sont valorisés sur le marché immobilier, en limitant la densité de peuplement » « Il en résulte un urbanisme d’orientation malthusienne[iv], justifié par la préservation du paysage[v] et de l’environnement».

Les raisons pour lesquelles le NIMBY est dans le top 3 ou au plan local, et dans le top 10 national sont connues (verbatim 3). Les permis de construire en France concernent à 79% des projets de densification du tissu urbain existant, en continuité de ce tissu (par tache d’huile) ou des constructions en masse (nouveaux lotissements, etc.)[vi]. On construit peu par mitage de l’espace agricole : seulement 16% des constructions non agricoles ne relèvent pas des cas précédents. Aux Etats-Unis, la quasi-totalité des constructions se font dans un carré d’un kilomètre autour des habitations existantes (Burchfield et al., op. cit.). On construit in my backyard.
Cela déplaît aux habitants alentour : la vue est bouchée et le paysage gâché, le vert disparaît, la densité augmente près de chez moi. Ce sont des gênes égoïstes, habillées sous des raisons nobles : sauvegarder la biodiversité, le patrimoine paysager, les ressources agricoles. D’où le mot d’ordre « non à l’artificialisation ! », qui sonne mieux que « NIMBY ! ».
4 – Qu’est-ce que l’artificialisation des sols ? Combien d’hectares ?
La connaissance de l’artificialisation des sols dépend de la façon dont elle est définie et mesurée. Or, il n’y a pas de définition scientifique de ce concept. Une Evaluation Scientifique Collective (ESCo) a été réalisée en 2017 par l’INRA et l’IFSTTAR pour analyser la littérature scientifique internationale sur l’artificialisation des sols. Le chapitre consacré aux aspects économiques montrait que « si un sol ‘artificiel’ est un poste de la nomenclature d’Eurostat, il n’est pas utilisée dans la littérature scientifique (…) : parmi les 1574 références extraites du corpus documentaire, il est employé (mots du titre, mots-clés, résumés) dans quatre articles » (Béchet et al., 2017, p. 153). Ce silence du chercheur s’explique : pour un écologue ou un pédologue, un champ produisant plus de 100 quintaux de blé par hectare, grâce à des engrais et pesticides, est tout autant artificiel qu’un village périurbain ou que la forêt landaise.
Organisme
Définition de l’artificialisation
Surfaces artificialisées (ha/an)
Ministère de l’Agriculture
Toute surface retirée de son état naturel (friche, prairie naturelle, zone humide, etc.), forestier ou agricole, qu’elle soit bâtie ou non et qu’elle soit revêtue ou non
2010-2016 :
54000 ha/an[vii]
Eurostat
Zones de plus de 25 ha qui sont urbanisées (tissu urbain continu ou discontinu), industrielles ou commerciales, réseaux de transport, mines, décharges et chantiers, espaces verts urbains, équipements sportifs et de loisirs
2012-2018 :
8500 ha/an[viii]
CEREMA
Passage d’une parcelle cadastrée d’un sol naturel, agricole ou forestier à un sol qui, du point de vue fiscal, est bâti, ou terrain à bâtir, carrière, jardin d’agrément, chemins de fer.
2009-2017 :
27000 ha/an[ix]
Si les chercheurs ne connaissent pas ce concept, les statisticiens définissent les sols artificialisés et leur évolution, car leur métier est de mesurer ce qui intéresse la société.

Fig.1
Source : Agreste-Teruti
Note : les sols artificiels perméables sont stabilisés (chemins, pistes, voies ferrées) ou enherbés (parcs, terrains de sport, pelouses, jardins)

Une présentation des définitions statistiques est proposée par ailleurs, qui sont résumées ici dans le tableau 1. Ces définitions présentent des ressemblances mais, dans le détail, elles diffèrent fortement. Cela conduit à des chiffres allant de 1 à plus de 6 pour la mesure du flux d’artificialisation.
D’autres sources de données, basées sur la télédétection, sont en cours de développement comme au Centre d’études spatiales de la biosphère, à l’Institut national de l’information géographique et forestière.
De plus, il reste en France beaucoup de terres végétales ou naturelles : 96% du territoire selon la source du ministère de l’Agriculture.
Mais peu importe : les chiffres nationaux présentent peu d’intérêt. C’est localement qu’il faut regarder. Les données du CEREMA montrent que les conversions urbaines de terres sont concentrées dans un petit nombre de communes. La moitié des communes françaises ne pèsent que pour 7,3 % dans le total national. A l’opposé, 54 % de l’artificialisation se produit dans 10 % des communes et le dernier centile, à lui seul, pèse pour près du sixième (15,4%). La courbe de Lorenz illustre cette concentration( Figure 2, Verbatim 4).

               

Fig. 2 La concentration de l’artificialisation des sols dans les communes françaises
Source : CEREMA (2019). Lecture : la moitié des communes (abscisses)concentrent 7,3% de l’artificialisation (ordonnées).

       

 

 

 

 

Verbatim 4. Un modèle économétrique analysant les déterminants de cette répartition spatiale montre que« l’urbanisation consomme des terres surtout dans les très grandes unités urbaines, d’autant plus qu’elles sont grandes et que la localisation est proche du centre urbain »[x].Cela conduit les auteurs à la conclusion« qu’une approche nationale de la question (…) [est] contre-productive. Elle occulte les besoins de terres des grandes métropoles, freinant (…) des mécanismes vertueux de métropolisation (créateurs d’emplois, générateurs de revenus) et accentuant les tensions sur les marchés fonciers si on refuse [dans les plus grandes métropoles] d’ouvrir de nouvelles terres à la construction » (idem).

 

 

5 – Zéro artificialisation nette en 2050 ?
Le point est fait par ailleurs sur l’objectif du Zéro artificialisation nette (ZAN) et la critique qu’il appelle. Cet objectif a été, pour la première fois, édicté par l’Union européenne en 2011. Depuis plus d’un an, il est répété à satiété par les autorités françaises : il faut qu’il n’y ait plus d’artificialisation des sols en 2050 qui ne soit pas compensée par une renaturation de terrains jusque-là artificiels. Toutefois, il y a une certaine latitude dans l’interprétation qui est faite du ZAN. Tout d’abord, 2050 est une échéance suffisamment lointaine pour que les prescripteurs actuels ne risquent pas d’être pris en défaut.
Ensuite, le site du premier ministre indique que « l’artificialisation correspond à un changement d’utilisation, laquelle n’est pas nécessairement irréversible. Ainsi, pour chaque hectare artificialisé, un demi-hectare (…) est rendu à l’agriculture ou se « naturalise » ». Dans la séquence Eviter, Réduire, Compenser de la loi Biodiversité de 2016, Compenser semble se faire en laissant les choses suivre leur cours. Enfin, Eviter, reste également assez aisé si on utilise la définition des sols artificiels d’Eurostat, comme le font Fosse (France Stratégie, op. cit.) et Baïz et al. (CGDD[xi]). Selon ces rapports, la construction dans des villages périurbains ou ruraux n’est pas de l’artificialisation car le « tissu urbain discontinu » de cet habitat est déjà artificialisé, au sens de la définition européenne.
6 – « Renouvellement urbain » ou « artificialisation » ?[xii]
Un tour de passe-passe de France stratégie[xiii]et du CGDD (notexi) joue sur les termes « renouvellement urbain » et « artificialisation ». Il repose sur la définition européenne du « tissu urbain discontinu »[2], qui est considéré comme déjà artificialisé par l’Agence européenne de l’environnement. C’est source de quiproquo, comme le montre l’exemple d’une commune de Côte d’Or, Villebichot. Ses 359 habitants habitent dans un « tissu urbain discontinu » qui couvre 34 ha, entouré de champs (Figure 3, limites de la commune en rouge).

Fig. 3 Commune de Villebichot (Côte-d’Or)
Source : Google maps. Commune de Villebichot (Côte d’Or)

La figure 4 montre un agrandissement de cette tache de tissu urbain discontinu. La majorité de sa surface a un couvert végétal. L’hétérogénéité de sa structure peut être favorable à la biodiversité épigée d’espèces recherchant un habitat diversifié. Son sol est peu imperméable (Figure 5), ce qui limite les effets sur la biodiversité hypogée et les risques d’inondation.

Fig. 4 Le tissu urbain de Villebichot
Source : Google maps. Commune de Villebichot (Côte d’Or)

 

Fig. 5 Les bâtiments résidentiels et d’activité selon leur date de construction
Source : Extrait du dossier du Plan local d’urbanisme de Villebichot

Construire dans cet espace n’empiète pas sur l’agriculture (figure 3, vert clair) ni sur la forêt (vert foncé). C’est ainsi que les 31 bâtiments construits en 2016 (Figure 5, rose clair) ne sont pas de l’artificialisation, mais du renouvellement urbain au sens de Fosse ou de Baïz et al., alors qu’il s’agit d’artificialisation an sens du CEREMA ou du ministère de l’Agriculture. Les 18 bâtiments prévus au PLU, adopté en décembre 2019, ne sont pas non plus de l’artificialisation, puisqu’ils sont situés dans le tissu urbain actuel. Avec le tour de passe-passe de France stratégieet du CGDD, l’objectif ZAN est plus facile à atteindre !
7 – Quel bilan des bénéfices et coûts environnementaux et urbains ?
Le raisonnement économique est connu (voir par exemple Cavailhès[xiv]) : les pouvoirs publics interviennent pour réguler les marchés, qui connaissent des défaillances et des dysfonctionnements, ou pour prendre des mesures redistributives souhaitées. Ils mettent en balance les bénéfices et coûts de l’urbanisation et les impacts environnementaux. En effet, plus ou moins d’artificialisation n’est pas un objectif en soi : ce sont les gains nets de bien-être pour la population présente et les générations futures qu’il faut maximiser.

Verbatim 5. Ainsi que le disent, par exemple, Baïz et al. (op. cit.), construire des immeubles plus hauts est« un surcoût pour l’aménageur, le ménage ou l’entreprise. Réduire la surface de son logement ou de son local commercial est associé à une perte de confort. Réhabiliter des terrains artificialisés ou densifier des constructions existantes est souvent plus complexe et onéreux que de construire sur un terrain vierge. Augmenter la densité bâtie des constructions (…) [va à] l’encontre des aspirations [des] ménages ».

La même étude liste les« bénéfices de la lutte contre l’artificialisation. Ceux-ci sont potentiellement de natures diverses : préservation des services écosystémiques et de la biodiversité, réduction des distances domicile-travail, économie d’énergie et des coûts d’aménagements, résilience face aux risques d’inondation… ».

Verbatim 6. Dans l’ESCo (op. cit.), où la question des impacts de l’artificialisation des sols occupait une place centrale, Cavailhès concluait ainsi : « l’économiste et l’écologue ne peuvent pas estimer les coûts et avantages privés et publics, actuels et futurs. Il faut encourager le développement de ces évaluations, les méthodes et outils pour cela s’améliorant progressivement. Tant que cela n’aura pas été fait, le décideur public ne peut que faire librement des arbitrages à partir d’indications scientifiques ténues » (p. 161).

L’estimation des coûts (Verbatim 5) est parfois directe[xv], mais parfois difficile, car indirecte :  les pertes de bien-être des ménages liées à des logements plus petits ou à la densification pourraient être estimées par des modèles de prix hédonistes, mais cela reste à faire pour obtenir des évaluations suffisamment générales.
Une évaluation de ces bénéfices à court et long terme (générations futures), pour être mise en regard des coûts et bénéfices de l’urbanisation, et obtenir ainsi un solde en terme de bien-être, est hors de portée (Verbatim 6).
Si le rôle du chercheur est d’éclairer la décision publique, sa lumière n’est ici qu’une faible lueur face à la complexité de la question. Le décideur est libre, mais il avance à tâtons, selon ses intuitions et ses convictions, et … selon les préférences des électeurs qui l’ont mis en place
8 – Quelles sont les tendances des marchés foncier et immobilier ?
Tour en centre-ville ou pavillon périurbain ? C’est ainsi que les débats sur l’artificialisation des sols, la densification et l’étalement urbain sont souvent posés. Pour qu’ils ne soient pas trop idéologiques, il faut observer ce qui se passe sur les marchés si l’on veut corriger leurs dysfonctionnements. Les figures 6 (distance au centre de l’aire urbaine des parcelles artificialisées, 7 (logements individuels et collectifs) et 8 (nombre d’étages des immeubles collectifs) indiquent quelques tendances.

Fig.6
Source : Cerema, traitements Cavailhès[3]

Fig 7.
Source : Comptes du logement 2018

Fig. 8
Source : Enquêtes Logement, traitements Cavailhès

On peut retenir de ces tendances que :
  • Grâce à davantage de logements collectifs, il y a réduction de l’imperméabilisation des sols, qui est l’atteinte la plus grave portée à leur biodiversité. Mais cet effet positif reste limité car le collectif est bas, ce qui limite de coût de construction (favorisant ainsi les logements abordables) et correspond à la demande de cadre de vie des habitants (moins haut, moins dense).
  • Grâce au rapprochement des centres d’emplois, il y a limitation des migrations alternantes domicile-travail, qui sont un facteur d’émissions de gaz à effet de serre.
Les choses ne sont donc pas toutes blanches, mais pas toutes noires non plus. Ne peut-on pas proposer au décideur public un slogan plus mesuré que ZAN : construire des logements et des bureaux, oui, mais pas n’importe où, ni n’importe quoi ; défendre davantage l’environnement, oui, toujours et partout. La formule introduit une asymétrie entre les deux termes, qui se justifie pour des raisons économiques. Des effets environnementaux négatifs de l’artificialisation des sols existent. Ils sont imparfaitement pris en compte dans les décisions « privées » des agents économiques. Les économistes disent qu’ils ne sont pas « internalisés », i.e. intégrés au calcul économique des agents. Il en résulte que l’artificialisation est trop importante par rapport à un optimum social : la théorie économique enseigne que, sans « internalisation », il y a « surconsommation » de terres. D’où la dissymétrie nécessaire de la formule.
9 – L’urbanisation est-elle une atteinte majeure à la biodiversité ?
Restent deux questions-clés : l’agriculture et la biodiversité. Le potentiel productif de l’agriculture n’est pas en cause : selon l’ESCo de l’INRA-IFSTTAR, il ne s’érode que très lentement. Les effets sur la biodiversité des terres retirées à l’agriculture pour être urbanisées sont plus incertains : quel est le bilan de ce changement d’usage ?
La biodiversité s’effondre. L’artificialisation est-elle responsable de cette catastrophe ? Observons qu’entre 1989 et 2016, la biomasse d’insectes volants a été divisée par 4 dans des zones protégées en Allemagne. Zones protégées : l’artificialisation est hors de cause. Observons aussi, qu’en Allemagne encore, la masse des arthropodes (insectes, araignées) a été divisée par 3 dans des prairies entre 2008 et 2017. C’étaient des prairies en 2008, ce sont des prairies en 2017 : l’artificialisation est hors de cause. Observons également que les abeilles, décimées dans les campagnes agricoles, résistent mieux dans les villes. Observons enfin que les oiseaux (bons indicateurs de biodiversité), des milieux bâtis disparaissent moins vite que ceux des milieux agricoles. Ces derniers sont victimes de l’hécatombe des insectes, due aux pesticides, et de l’érosion de leur habitat, due à la disparition des haies, bosquets, ripisylves, etc. Les premiers ont reculé de 17% entre 1989 et 2012 et les seconds de 30 %.
Cherchez l’erreur. Pour la biodiversité, faut-il un objectif ‘Zéro artificialisation nette’ ou ‘Zéro pesticides’ ? Les agriculteurs vont pousser des cris d’orfraie, justifiés car ils seraient étranglés par la concurrence de producteurs étrangers qui arrosent leurs champs de pesticides et vendent leurs produits chez nous. Le débat sur la politique agricole nous amènerait trop loin. Notons seulement qu’on pourrait taxer à l’entrée de l’Union européenne les produits agro-alimentaires venus d’ailleurs, à hauteur des dégâts environnementaux des pesticides utilisés dans leur production. Il serait alors possible d’imposer des taxes équivalentes sur les pesticides utilisés en Europe, pour aller vers un Zéro pesticides, sans distorsion de concurrence.
10 – Que conclure ?
En paraphrasant une conclusion connue, en matière d’artificialisation des sols, trois choses comptent : premièrement le local, deuxièmement le local, troisièmement le local. Un hectare de terre agricole urbanisable en petite couronne d’Île-de-France ou près de Nice est une ressource précieuse. Mille hectares de prairies convertibles en un champ photovoltaïque, en Creuse ou dans l’Aubrac, est quantité négligeable pour l’agriculture française, avec un bénéfice certain pour l’environnement. Dans un cas, on a longtemps considéré le foncier agricole comme une ressource de peu de valeur, conduisant à sa surconsommation et presque à sa disparition, forme de « tragédie des communs ». Le holà a été mis. Dans l’autre cas, la terre est abondante, proche de 100% du foncier moins un petit quelque chose. Là, la ‘tragédie des communs’ est hors de propos.
Ce contraste pourrait amener à se réjouir qu’un niveau de décision local soit privilégié dans la délivrance des permis de construire : le maire. Dire Zéro artificialisation nette ! dans ma commune a un sens, que n’a pas ce slogan au plan national. Mais le maire est un acteur sous influence. Influence d’électeurs, ici nymbyistes, ailleurs bâtisseurs pour sauver l’école communale. Il est un petit acteur face à des entrepreneurs faisant miroiter des emplois crées et des ressources pour les finances locales. La commune, pas plus que la Nation, n’est pas le niveau décisionnel adéquat. Les conséquences, négatives comme positives, se jouent à des échelles plus petites : bassin versant pour le régime des eaux, Schéma de cohérence territoriale (SCOT) et au-delà pour les transports, Département ou Région pour le financement des réseaux.

[1]L’ODD11 traite des villes, essentiellement sous l’angle du logement, des services de base, des transports et, en matière d’environnement, de la qualité de l’air et des déchets. On y trouve une cible 11.3.1 consacrée au « ratio entre le taux d’utilisation des terres et le taux de croissance démographique ».
[2]Dans ce tissu urbain discontinu, les bâtiments, la voirie et les surfaces artificiellement recouvertes coexistent avec des surfaces végétalisées et du sol nu, qui occupent de manière discontinue des surfaces importantes. Entre 30 et 80 % de la surface est imperméable, le reste étant végétalisé (jardins privés, espaces verts publics, champs et prés, friches, bois, etc.).
[3]Le modèle économétrique montre que « l’urbanisation consomme des terres surtout dans les très grandes unités urbaines, d’autant plus qu’elles sont grandes et que la localisation est proche du centre urbain. Elle opère plus par construction sur de nouvelles parcelles dans les métropoles,donc surtout là où les ressources foncières sont rares, que par extensification vers les périphéries » (Bocquet et Cavailhès, 2020, à paraître).
[i]Burchfield M., Overman H.G., Puga D., Turner M.A., 2006, « Causes of Sprawl: A Portrait from Space », The Quarterly Journal of Economics, Volume 121, Issue 2, May 2006, Pages 587–633.
[ii]Fischel W.A., 2001, The homevoter hypothesis: How home values influence local government taxation, school finance, and land-use policies. Cambridge, MA: Harvard University Press.
[iii]Cavailhès J., Charmes E., 2019, « L’électeur ‘vote pour sa maison’. Quelles conséquences pour le foncier ? », La Revue Foncièren° 27, pp. 24-27.
[iv]Charmes E., 2007, « Le malthusianisme foncier », Etudes foncièresn° 125, pp. 12-16.
[v]Cavailhès J. (dir.), Joly D. (dir.), 2006, Les paysages périurbains et leur prix, Besançon, presses universitaires de Franche-Comté, 192 p.
[vi]Colin Albizzati, Mathilde Poulhes, Joyce Sultan Parraud, « Caractérisation des espaces consommés par le bâti en France métropolitaine entre 2005 et 2013 », Insee Références, édition 2017, Dossier, pp. 73-85.
[vii]Selon les données du ministère de l’Agriculture (enquête Teruti-Lucas) utilisées par l’Insee, pour fournir au Parlement un état des lieux annuel.
[viii]Enquête européenne Corine land cover.
[ix]Site officiel Observatoire de l’artificialisation des sols.
[x]Bocquet M., Cavailhès J., 2020, « Conversion urbaine de terres et métropolisation du territoire », Document de travail.
[xi]Adam Baïz, Charles Claron, Géraldine Ducos, Rosanne Logeart, 2019, « Trajectoires vers l’objectif ‘zéro artificialisation nette’, Éléments de méthode », CGDD, décembre.
[xii]Les figures et une partie du texte de cette section ont été publiées par ailleurs (cliquer ici)
[xiii]Julien Fosse, « Objectif Zéro artificialisation nette : quels leviers pour protéger les sols ? », juillet 2019, 49 p.
[xiv]Cavailhès J., 2017, Déterminants et impacts de la construction sur des terres agricoles, forestières ou semi-naturelles due aux dynamiques foncières et immobilières. In : Béchet B. (coord.), Le Bissonnais Y. (coord.), Ruas A. (coord.), “Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols, Déterminants, impacts et leviers d’action”. INRA-IFSTTAR, pp. 95-182.
[xv]Sur les coûts de construction selon la hauteur et le type d’immeuble, voir par exemple : – Arnaud Bouteille : cliquer ici– Arnaud Bouteille et Jean Cavailhès : « Quels surcoûts de construction ? ». La revue foncière n° 12, pp. 6-10.

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