La présente contribution s’inscrit dans la suite du colloque d’Evian « Pour une nouvelle utopie foncière » et plus particulièrement dans le cadre de l’Atelier autour du thème de la prise en compte de la valeur écologique du foncier. En effet, il nous a semblé intéressant d’examiner certains mécanismes du droit européen qui incontestablement impactent directement ou indirectement la valeur du foncier.
La valeur écologique du foncier se distingue de sa valeur économique. Elle est fondée sur plusieurs éléments : la valeur des services écosystémiques du bien concerné qui, s’ils sont détruits, devront être restaurés, d’une part, et, d’autre part, le coût du maintien ou de l’amélioration des potentialités écologiques d’un périmètre donné.
Droit des deux Europe
Lorsqu’on parle de droit européen, cela peut viser le droit de l’Union européenne (27 Etats membres) mais aussi le droit du Conseil de l’Europe (46 Etats parties). L’apport du droit de l’Union est législatif (les règlements et les directives) mais aussi jurisprudentiel par le biais les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (C.J.U.E.) ou du Tribunal de l’Union (T.U.E.) (Luxembourg). Le droit contraignant du Conseil de l’Europe est fondé sur la Convention européenne des droits de l’homme et sur la jurisprudence rendue à son sujet par la Cour européenne des droits de l’homme (C.E.D.H.) (Strasbourg).
Nous avons choisi de centrer notre réflexion sur deux volets : celui de la réparation des dommages causés à l’environnement, d’une part, et, d’autre part, celui de l’indemnisation des moins-values résultant des mesures de protection de la nature. Ces deux mécanismes d’intervention illustrent la valeur écologique du foncier dans leurs approches spécifiques. Il va de soi que d’autres règlements ou directives de l’UE pourraient être évoqués. On pense en particulier à la loi sur la restauration de la nature – le règlement (UE) 2024/1991 entré en vigueur le 18 août 2024 – ou la proposition de directive sur la protection des sols en cours d’adoption. Le cadre imparti à cette contribution ne permet évidemment pas d’être exhaustif.
Notre propos tend à illustrer l’apport du droit européen sur le foncier écologique en lui reconnaissant une valeur de patrimoine naturel.
La réparation du dommage écologique
La question du dommage écologique est une question complexe et particulièrement riche. Elle mérite assurément des développements importants. Nous renvoyons le lecteur à la doctrine abondante à ce sujet. Nous évoquons ici deux directives européennes qui encadrent utilement la responsabilité environnementale des acteurs quels qu’ils soient.
La directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale : la réparation a posteriori
La directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux a été transposée dans le Code français de l’environnement (art. L 160-1 et s.). Elle instaure un mécanisme de responsabilité administrative environnementale fondée sur le principe pollueur-payeur. Si la directive vise essentiellement la responsabilité pour un dommage causé, elle prévoit aussi des mesures préventives pour éviter qu’un dommage soit causé, mesures que nous n’aborderons pas ici.
Le régime est le suivant (art. 3). Pour les dommages causés par des activités listées par la directive – il s’agit d’activités qui sont régies par d’autres directives comme celles par exemple en matière de déchets ou pour les installations classées (IED) -, c’est le régime de la responsabilité sans faute qui s’applique : il suffit que le lien de causalité entre l’activité professionnelle et le dommage environnemental soit établi pour que la responsabilité administrative de l’exploitant soit engagée. Pour les autres activités professionnelles, la responsabilité de l’exploitant sera engagée si son activité est entachée d’une faute ou d’une négligence et que le dommage qui en résulte est causé aux espèces et habitats naturels protégés.
La directive définit le concept de « dommage environnemental » (art. 2). Pour celui qui affecte les espèces et habitats naturels protégés, c’est le critère de l’impact sur l’état de conservation favorable à ces habitats et ses espèces qui prévaut. Pour le dommage causé aux eaux, on retiendra l’impact grave et négatif sur l’état écologique, chimique ou quantitatif ou le potentiel écologique des eaux. Pour le dommage causé aux sols, la directive est plus laxiste puisqu’elle ne sanctionne que les contaminations des sols qui engendrent un risque d’incidence négative grave sur la santé humaine. La proposition de directive sur la santé des sols pourrait combler cette lacune.
Outre cette définition du dommage environnemental, un des apports majeurs de la directive est d’avoir instauré un régime sophistiqué de réparation du dommage environnemental. L’annexe II fixe un cadre pour choisir les mesures les plus appropriées de réparation classées en trois catégories : la réparation primaire, la réparation complémentaire et la réparation compensatoire.
- La réparation primaire vise la réparation par laquelle les ressources naturelles endommagées ou les services détériorés retournent à leur état initial ou s’en rapprochent.
- La réparation complémentaire vise à compenser le fait que la réparation primaire n’aboutit pas à la restauration complète des ressources naturelles ou des services.
- La réparation compensatoire vise la compensation des pertes intermédiaires entre la date de la survenance du dommage et le retour à l’état initial.

La Haute-Sûre à Winville. Par Original téléversé par Beideler René sur Wikipédia français. — Transféré de wikipedia.fr à Commons par Bloody-libu utilisant CommonsHelper., CC BY-SA 3.0
On peut illustrer le régime de la responsabilité environnementale par le cas d’un accident survenu en 2014 en Wallonie impliquant le tracteur et le pulvérisateur d’un agriculteur entrainant le déversement de 6000 litres d’un herbicide (Rapsan TDI) sur des prairies avoisinantes, directement dans les avaloirs de la route et dans un ruisseau affluent de la Sûre (Belgique et Luxembourg). Les dommages ont été considérables : pollution de la voirie, de la pâture, de la nappe phréatique et des eaux de surface avec la destruction de stations de moules perlières (100 %) et de mulettes épaisses (75 %).
Différentes mesures ont été imposées. Au titre de réparation primaire : l’excavation d’une partie des terres contaminées, la pose d’un dispositif de collecte et de filtration de l’eau, des campagnes de mesures de l’eau du cours d’eau et de celle de la nappe phréatique, des campagnes de monitoring à l’échelle du bassin (4 campagnes/an sur 19 stations), l’élevage de moules perlières et de mulettes épaisses et leur réintroduction dans la rivière dépolluée. La mesure de réparation complémentaire a porté sur la restauration d’un gué forestier. Quant à la mesure de réparation compensatoire, elle a consisté en la plantation de 500 m de cordons rivulaires sur 5 m de large pour permettre de retrouver l’état initial de la population des moules après leur réintroduction. Le coût total des mesures de réparation a été de l’ordre d’1 million €.
La directive 92/43/CEE « habitats » : la compensation anticipée du dommage annoncé
En vertu de la directive « habitats », on ne peut adopter un plan ou autoriser un projet susceptible d’avoir un impact significatif sur un site Natura 2000 ou une espèce faune/flore protégée que s’il a fait l’objet d’une évaluation appropriée et que celle-ci apporte la certitude scientifique de l’absence de dommage significatif (art. 6, § 3).
Si cette évaluation démontre que le plan ou le projet aura un impact négatif significatif, le projet pourrait être néanmoins autorisé s’il existe des raisons impératives d’intérêt public majeur – cette notion est interprétée de manière stricte par la jurisprudence[1] -, en l’absence de solution alternative et moyennant l’adoption de mesures compensatoires (art. 6, § 4).
Ces mesures compensatoires se distinguent des mesures d’atténuation que l’on peut adopter lors de la réalisation : le placement d’un mur antibruit le long d’une nouvelle route n’est pas une mesure compensatoire mais une mesure d’atténuation. Les mesures compensatoires sont variées et les exemples multiples[2].
On notera que, de manière générale, si une évaluation environnementale réalisée en dehors de la sphère spécifique de la directive ‘habitats’, comme c’est le cas pour certains projets publics ou privés en vertu de la directive 2011/92/UE, identifie des impacts négatifs, des mesures compensatoires pourraient être imposées comme condition aux autorisations octroyées.

Barrage de La Breña II – Espagne By kallerna – Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=97239800
La construction du barrage de La Breña II en Espagne illustre parfaitement le mécanisme des mesures compensatoires aux dommages causés par l’inondation de 626 ha constituant l’habitat du Lynx ibérique et des dommages à plusieurs oiseaux protégés. Ces mesures ont porté sur l’expropriation de 2134 ha à proximité (plus de trois fois la superficie inondée), la réinsertion des proies du lynx, la restauration d’habitats (bosquets, boisements, …), la construction de refuges pour le lynx et la modification de lignes électriques aériennes pour protéger le vautour moine, l’aigle de Bonelli et la cigogne noire. Le coût estimé de ces mesures étaient de 27 millions € en 2004[3]
Il est évident que les mesures compensatoires ont des coûts variables selon les impacts environnementaux attendus. Ces mesures compensatoires ne sont pas nécessairement proportionnelles au montant du projet envisagé. Comme le souligne la Cour de justice de l’UE, le coût économique de ces mesures n’est pas déterminant et ne permet pas de justifier qu’elles ne soient pas imposées[4].
L’indemnisation des restrictions en faveur de la biodiversité.
Les droits européens régissent la question de l’indemnisation des contraintes imposées par les autorités en faveur de la biodiversité. Cette indemnisation se concrétise soit par l’octroi d’aides financières aux personnes impactées par les contraintes, soit par l’octroi d’une indemnité pour la moins-value foncière subie.
Les aides d’Etat
La question des aides d’Etat dans le droit de l’Union européenne a une place importante. Leur octroi est strictement contrôlé en application de l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’UE pour éviter qu’elles soient susceptibles de fausser la concurrence entre entreprises. Les aides européennes sont elles-mêmes des aides d’Etat. Certaines aides à finalité environnementale sont considérées comme compatibles avec les exigences de l’article 107[5].
Dans le cadre de la conservation de la biodiversité, certains règlements européens adoptés dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) prévoient expressément que des aides financières puissent être octroyées aux propriétaires ou aux exploitants pour les restrictions à l’usage des biens concernés imposées au profit de la biodiversité. Et le non-paiement de ces aides peut être contraire au droit de l’Union.
Ce mécanisme d’aides est donc une reconnaissance que, pour l’Union européenne et pour les Etats membres, les mesures de conservation de la nature diminuent la valeur des biens impactés ou en tout cas leur valeur d’exploitation.
La protection du droit de propriété
La Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne protègent l’une et l’autre le droit de propriété dans des termes similaires[6]. L’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention et l’article 17 de la Charte reconnaissent le droit au respect des biens ce qui se traduit par des garanties pour toute privation de propriété et l’encadrement des restrictions de l’usage des biens. Les ingérences des autorités publiques ne sont conformes à ces deux dispositions que si elles sont légales, légitimes et proportionnelles. Pour respecter le principe de proportionnalité, une limitation de l’usage d’un bien doit dans certaines circonstances être compensée par une indemnisation financière ou par équivalent. La jurisprudence des deux Cours européennes précise les contours de ces mécanismes de protection.
La Cour européenne des droits de l’homme rappelle régulièrement que, lorsqu’une mesure de restriction de l’usage des biens est en cause, l’absence d’indemnisation est l’un des facteurs à prendre en compte pour établir si un juste équilibre a été respecté. Mais cette absence ne saurait, à elle seule, être constitutive d’une violation de l’article 1[7]. C’est ainsi que la Cour rejette les demandes lorsque les restrictions n’ont pas un niveau de sévérité qui justifie une indemnisation ou lorsque le propriétaire a eu de nombreuses années pour valoriser son terrain qui était précédemment constructible[8]. De manière générale, on constate que la jurisprudence de la Cour européenne est plutôt restrictive quant à la reconnaissance du droit à l’indemnisation. Toutefois, dans certaines circonstances, l’absence d’une telle indemnisation rompt l’équilibre visé par l’article 1 en rendant l’ingérence disproportionnée.
On peut citer quelques exemples. Ce fut le cas des mesures successives limitant la construction précédemment autorisée sur un bien pour finir par l’interdire dans le but de la protection de l’habitat d’une espèce protégée alors que, dans la réalité, les autorités ont laissé se développer des activités touristiques nuisant de toute évidence aux espèces concernées ce qui a justifié l’octroi d’une indemnité partielle[9]. De même, l’adoption, sans indemnisation, d’un périmètre de protection stricte d’une source interdisant tout usage et tout accès au bien, clôturé sans l’accord des propriétaires, peut violer l’article 1[10]. Dès lors que le droit de l’Union européenne prévoit le versement d’indemnités aux propriétaires et exploitants forestiers préjudiciés du fait du classement de leurs biens en site Natura 2000, l’absence de règlementation nationale empêchant le paiement desdites indemnités viole l’article 1, dit la Cour européenne des droits de l’homme[11].
Depuis l’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union[12], la Cour de justice de l’Union européenne est plus régulièrement saisie de recours fondés sur la violation du droit de propriété (art. 17) découlant des mesures de conservation de la nature fondées sur le droit de l’Union.
La désignation des sites Natura 2000 est incontestablement une mise en œuvre obligatoire de la directive 92/43/CEE ‘habitats’. La jurisprudence de la Cour de justice est claire à ce sujet. Dans le domaine de la conservation de la nature, par exemple, la Cour de justice estime que l’ingérence des Etats membres peut aller très loin. C’est ainsi que, en ce qui concerne les mesures restrictives qui résultent de l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages poursuivi par la directive ‘habitats’, leur coût économique, ce qui peut comprendre la démolition d’un ouvrage autorisé précédemment et déjà réalisé, ne revêt pas une importance équivalente à l’objectif de conservation précité[13].
Si l’article 17 de la Charte est muet sur la question de la compensation financière suite aux restrictions de l’usage d’un bien, la Cour de justice estime que cette absence de mention n’est pas préjudiciable en elle-même. C’est d’ailleurs en ce sens que s’est prononcée la Cour de justice dans des affaires antérieures à l’entrée en vigueur de la Charte. Dans plusieurs arrêts, elle a été appelée à examiner la question de l’indemnisation éventuelle suite à une ingérence pour préserver le droit de propriété garanti par le droit de l’Union en s’inspirant de l’article 1 du Protocole n° 1[14].
L’entrée en vigueur de l’article 17 de la Charte ne peut que renforcer ce constat. C’est ce qu’illustre l’arrêt rendu par la Cour concernant les mesures prises par la Commission européenne pour éviter l’introduction et la propagation dans l’Union de la bactérie Xylella présente dans deux régions des Pouilles par le biais de l’abattage systémique des oliviers : « Dans la mesure où le droit à l’indemnisation découle directement de l’article 17 de la Charte, le seul fait que ni la directive 2000/29 ni la décision d’exécution 2015/789 ne comportent elles-mêmes un régime d’indemnisation ou qu’elles n’imposent l’obligation explicite de prévoir un tel régime ne saurait être interprété en ce sens qu’un tel droit est exclu »[15]. Ceci ne signifie pas qu’une indemnisation est due en toutes circonstances.
Cela étant, de nombreuses dispositions du droit dérivé de l’Union européenne prévoient un mécanisme d’indemnisation pour des restrictions au droit de propriété comme celles qui découlent du régime Natura 2000 par exemple[16]. Ceci est évidemment important dans l’appréciation de la proportionnalité des ingérences sous la forme des limitations à l’usage d’un bien et de leur conformité à l’article 17 de la Charte.
La Cour est claire à ce sujet comme l’illustre son arrêt Lingurár[17]. Dans cette affaire, le requérant s’était vu refuser une compensation financière néanmoins prévue dans le règlement européen au motif qu’il ne possède ‘que’ 99,818 % de la forêt concernée classée en Natura 2000 alors que le solde appartient à l’Etat hongrois. Pour la Cour, la législation nationale qui refuse toute indemnisation au motif que le propriétaire privé ne possède pas 100 % de la superficie n’est pas conforme au règlement européen et ne saurait s’inscrire dans la marge d’appréciation reconnue à chaque Etat membre pour la mise en œuvre des paiements Natura 2000. Le fait qu’une partie d’une exploitation forestière Natura 2000 ne relève pas du champ d’application de l’aide Natura 2000 au motif qu’elle est propriété de l’Etat, n’entraîne pas la disparition de la nécessité de compenser les restrictions à l’utilisation des parcelles de cette exploitation appartenant à un particulier. L’exclusion complète du champ d’application des paiements Natura 2000 éliminerait la visée compensatoire du système d’indemnisation et ne respecterait pas le principe de proportionnalité.
Observations finales
Intuitivement, on considère que les mesures restreignant l’usage d’un bien au profit de la conservation de la nature impactent négativement la valeur économique du bien concerné. Les mécanismes que nous avons évoqués l’illustrent parfaitement.
Si un bien est classé par exemple comme site Natura 2000, son propriétaire ou l’exploitant pourra obtenir des aides financières. Celles-ci ne sont pas censées couvrir la moins-value due à ce classement mais à compenser la perte de revenus agricoles ou forestiers conséquente audit classement. Si la personne concernée ne peut prétendre à de telles aides ou si ces aides ne couvrent que partiellement son préjudice, des recours en indemnisation peuvent s’ouvrir devant les instances nationales et, en cas d’échec, devant les juridictions européennes.
Cela étant, de nombreux litiges portent directement sur la moins-value foncière. C’est le cas lorsqu’un terrain qui n’est ni forestier, ni agricole, était constructible et ne l’est plus du jour au lendemain.
La Cour européenne des droits de l’homme opère assez rarement des calculs d’expert et statue en équité comme le prévoit l’article 41 de la Convention. Parfois, elle va même jusqu’à conclure à ce que la condamnation de l’Etat partie au litige constitue en elle-même la compensation équitable. Quant à la Cour de justice de l’Union européenne, si elle considère que, dans le cas d’espèce qui lui est soumis, il n’est pas exclu que le propriétaire ou l’exploitant lésé doive être indemnisé, elle renvoie à la juridiction nationale le soin de trancher le point.
Si les décisions rendues par les deux Cours européennes peuvent paraître parfois décevantes, elles font avancer le droit dès lors qu’elles peuvent être invoquées devant les juridictions nationales à l’appui d’une demande d’indemnisation.
Le volet « réparation du dommage écologique » soit a posteriori sur la base de la directive sur la responsabilité environnementale, soit a priori sous la forme de compensation à une future atteinte, n’a pas d’impact à première vue sur les valeurs foncières. Il n’existe en effet pas de lien mathématique entre le coût des réparations écologiques et la valeur intrinsèque du foncier concerné.
L’expropriation d’un bien nécessaire à la réalisation d’un projet pour lequel il existe des raisons impératives d’intérêt public majeur et qu’aucune solution alternative n’a été trouvée se fera à la valeur foncière objective déterminée par le juge de l’expropriation. S’il s’avère que le projet qui a justifié l’expropriation est de nature à détruire un site protégé ou l’impacter négativement, le développeur devra en sus de l’indemnité d’expropriation, prendre en charge le coût des mesures compensatoires qui peut être élevé[18].
Le coût de réparation du dommage avéré ou attendu ne reflète pas la valeur foncière intrinsèque d’un bien, mais sa valeur en tant que patrimoine naturel. Si en application du principe pollueur-payeur, la réparation est à charge de celui qui en est responsable, lorsque les dégradations environnementales sont la résultante de multiples facteurs et non pas d’un acte volontaire ou accidentel, cette réparation sera à charge de la collectivité. La promulgation le 29 juillet 2024 du règlement (UE) 2024/1991 relatif à la restauration de la nature confirme la volonté des Etats membres d’œuvrer pour restaurer les écosystèmes dont 81 % sont détériorés. La restauration des biotopes en ce compris le sol et les espaces marins va nécessiter des investissements privés et publics très importants. Les Etats membres devront assurer leur part des dépenses requises. Mais les programmes de l’Union européenne soutenus par les fonds structurels (LIFE, Feader, FEDER, …) ou par la PAC aideront assurément à la concrétisation de cette politique en faveur de la nature la nature.
Est-ce que ces mesures de réparation et de restauration vont impacter la valeur économique des biens concernés ? Dans certaines circonstances, assurément. Une forêt régénérée vaut plus qu’une forêt en mauvais état. Une terre agricole restaurée vaudra plus qu’un sol agricole dégradé.
La protection de la nature a en tout cas un impact positif sur les valeurs foncières des biens à proximité immédiate d’un site classé. La contiguïté d’un bien à vendre à un site Natura 2000 est un argument régulièrement avancé dans les annonces notariales ou des agences immobilières. Et la destruction du voisinage naturel d’une habitation peut impacter les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme[19].
Pourrions-nous assister prochainement à une évolution jurisprudentielle actant que le classement d’un bien en site naturel protégé confère à celui-ci une plus-value ? L’espoir existe si l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’expropriation de biens historiques. En effet, la Cour a estimé qu’un mécanisme qui permet de tenir compte de la moins-value découlant du classement du bien exproprié mais pas de la plus-value qui en découle en tant qu’élément du patrimoine culturel violait l’article 1 [20]. A quand une approche similaire pour reconnaître la plus-value que le classement d’un site naturel apporte à un bien ?
[1] Voir not. C.E. fr., 9 octobre 2013, n° 366803, SEM Nièvre Aménagement et crts. Mais les actes législatifs européens récents sur le RePowering en vue de l’accélération des investissements en matières d’énergie renouvelable créent, pour ces projets, une présomption de l’existence de raisons impératives d’intérêt public majeur.
[2] Voir not. F. Haumont, « L’application des mesures compensatoires prévues par Natura 2000 » in ERA Forum (2009), 10, p. 611-624 et exemples cités. Ce texte a été mis sur le site du FED le 3 juin 2021.
[3] De l’ordre de 40 millions actualisés en 2025.
[4] C.J.U.E., 14 janvier 2016, C-399/14, Grüne Liga Sachsen eV et crts c. Freistaat Sachsen, à propos du coût de la démolition d’un pont.
[5] Lignes directrices concernant les aides d’Etat au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie (2022/C 80/01).
[6] Sur cette question, voir not. F. Haumont, Droit européen de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 2024, pp. 684-821 et réf. citées.
[7] Voir par ex., C.E.D.H. (gr. ch.), 29 mars 2010, Depalle c. France, § 91.
[8] La décision dans l’affaire Bahia Nova (C.E.D.H. (déc.), 12 décembre 2000, Bahia Nova sa c. Espagne) est éclairante de la position de la Cour. Cette société avait acquis des terrains agricoles dans l’île de Majorque dans le but d’un développement touristique. Pour ce faire, elle obtint le reclassement du site en site touristique et réalisa une partie des travaux d’équipement sans toutefois les achever dans le délai imparti. Plus tard, une loi déclara la propriété zone naturelle protégée. La société n’obtint qu’une indemnisation très partielle dès lors qu’elle avait eu les autorisations et le temps pour réaliser les travaux avant le déclassement du site.
[9] A propos d’une plage sur la presqu’île de Zakynthos, habitat de la tortue Caretta caretta, C.E.D.H., 6 décembre 2007, Z.A.N.T.E.- Marathonisi A.E. c. Grèce ; la Cour a octroyé une indemnité de 2 millions € à charge de la Grèce.
[10] C.E.D.H., 21 septembre 2021, Bērziņš et crts c. Pologne.
[11] C.E.D.H., 28 novembre 2023, Associations de copropriété forestière Porceni Pleșa et Piciorul Bătrân Banciu c. Roumanie.
[12] 1er décembre 2009.
[13] C.J.U.E., 14 janvier 2016, C-399/14, Grüne Liga eV et crts c. Freistaat Sachsen, pt 77.
[14] Voir not. C.J.C.E., 13 juillet 1989, C-5/88, Wachauf .
[15] C.J.U.E., 9 juin 2016, C-78/16 et C-79/16, Pesce et crts et Serinellei et crts, pt 86.
[16] Voir par ex. le règlement (UE) n° 1305/2013
[17] C.J.U.E., 30 mars 2017, C-315/16, Lingurár. Voy. égal. C.J.U.E., 27 janvier 2022, C-234/20, Sãtini-I ; C.J.U.E., 27 janvier 2022, C-238/20, Sãtini-I ; C.J.U.E., 28 avril 2022, C-251/21, Piltenes meži SIA.
[18] Voir F. Haumont, « Coût et emprise foncière des compensations environnementales », Etudes Foncières, n° 125, 2007, pp. 17-19.
[19] C.E.D.H., 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grèce.
[20] C.E.D.H. (gr. ch.), 19 février 2009, Kozacioglu c. Turquie ; la Cour alloue une somme de 75.000 € qui s’ajoute donc à l’indemnité d’expropriation déjà perçue.