Les villes chinoises se convertissent à l’écologie

Connues pour la gravité de leurs problèmes environnementaux, les villes chinoises paraissent décidées à prendre le taureau par les cornes. Dans la grande tradition de ses anciens retournements politiques, le pays de l’ancien Petit livre rouge serait-il donc sur le point d’adopter un nouveau Grand livre vert ?

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l y a deux ans (c’était le 15 mars I2014), le Conseil des Affaires d’État de la République populaire de Chine (RPC) annonçait le lancement d’un plan pour une urbanisation « d’un nouveau type », afin de maîtriser le rythme effréné de l’urbanisation que connaît le pays depuis ces dernières années.

Que faut-il entendre au juste par « urbanisme d’un nouveau type » (« National New Type Urbanization » dans la traduction anglaise du mandarin)? 1 Il y a lieu de s’interroger ; et cela malgré tous les risques d’erreurs ou de diagnostic erroné que cela suppose. car au cours des 66 ans d’existence de la RPC, les observateurs de la réalité politique et administrative chinoise ont été interpellés à de fréquentes reprises sur la portée des importantes réformes en cours, sans bien mesurer au départ, à l’exception de certains grands noms de la sinologie comme ceux du belge Simon Leys ou du français Alain Peyrefitte, comment il fallait interpréter les signes annonciateurs des réformes en question, qu’il s’agisse de la révolution culturelle maoïste ou de l’ouverture du pays à l’économie de marché sous l’influence de Deng Xiao Ping. De nos jours, et plus précisément depuis le 15 mars 2014, les observateurs s’interrogent donc. Comment interpréter les divers événements, annonces de décisions et de réformes, débats multiples sur « les conditions nouvelles du développe-ment urbain » dans la cinquantaine de villes millionnaires que compte désormais l’Empire du Milieu ?

Sans prétendre porter un jugement défini-tif sur ce qui se prépare, quelques questions doivent quand même être formulées. La Chine est-elle à l’aube d’un bouleversement de sa politique d’aménagement du territoire, ou du moins d’une approche inédite de son développement urbain et en particulier de son droit foncier et de son droit de l’urbanisme ? Une telle problématique s’appuie sur une série d’événements ayant jalonné l’histoire récente du développement urbain de la Chine, et accompagné les échanges techniques et économiques, dans ce domaine, de la Chine avec des organisations internationales (dont l’Union européenne) ou des organismes nationaux s’intéressant à la gestion urbaine (comme par exemple, en matière d’ingénierie urbaine la Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit/GIZ), l’organisme allemand bien connu pour l’importance de ses appuis techniques à des pays étrangers.

Pourquoi donc les gouvernants chinois, suivis par des observateurs internationaux, en viennent-ils à évoquer la nécessité d’une politique de développement urbain « d’un nouveau type » et en quoi va-t-elle consister ?

 

Composantes principales de la politique de développement urbain « d’un nouveau type »

La lecture du document évoqué, qui porte le sceau du Conseil des Affaires d’État, donne le sentiment que la Chine est désormais inspirée, non plus par des exigences uniquement idéologiques, mais par des préoccupations de bonne écologie urbaine, que ne renieraient certainement pas les représentants des pays développés ayant participé en décembre 2015 à la COP 21 à Paris. Désormais, le primat est à croissance urbaine verte dans le 13e plan quinquennal de la Chine (2016-2020), comme il l’était dans le National New Type Urbanisation Plan 2014-2016 ».

Une équipe de la GIZ, œuvrant au rapprochement des politiques urbaines entre l’UE et la RPC, a récemment souligné la portée novatrice exceptionnelle de ces événements 2. On a parfois l’impression, en lisant les épais rapports de la GIZ, qu’au Petit livre rouge a succédé le Grand livre vert de la promotion foncière et immobilière en milieu urbain. Les nouvelles orientations chinoises annoncées portent sur une série de points :

  • le respect de l’état de droit ;
  • la clarification des données cadastrales, incluant les servitudes d’utilité publiques applicables ;
  • la sauvegarde des sites urbains et de l’héritage architectural traditionnel (les fameux
  • Hutongs » de Beijing, par exemple) ;
  • l’amélioration de la qualité des services publics procurés aux citadins, selon un coût devant être défini non plus selon un raisonnement idéologique, mais suivant une approche au caractère « scientifique » ;
  • la mise en œuvre des techniques les plus innovantes, en matière d’habitat, avec les nouveaux concepts à la mode dans les pays occidentaux tels que celui de « villes intelligentes », ou « d’habitat passif » ou encore de « sponge cities ». 3

De leur côté, certaines grandes municipalités chinoises, (en particulier celles ayant des populations voisines de celle de Paris, comme Zhuhai non loin de Hong-Kong, Weihai à quelques 200 km de la capitale ou Guangzhou près de Shanghai) ne semblent pas être prêtes à se reposer sur les avantages qu’elles ont pu acquérir, grâce à leur poids économique, démographique ou géographique. Elles s’emploient à multiplier les réalisations novatrices, ayant pour but la recherche de solutions à caractère écologique. Elles s’attachent à mettre en œuvre et à gérer leurs services publics selon les derniers canons de la « science » urbanistique ou de la plus grande protection de l’environnement.

Cela est rendu possible par le fait que le pays reconnaît traditionnellement de larges pouvoirs aux municipalités… sous le contrôle du Parti communiste chinois. Mais celui-ci parait se borner à un contrôle proprement politique. C’est ainsi que du point de vue administratif, la Chine est sans doute, paradoxalement, l’un des pays au monde ayant le plus grand degré de décentralisation territoriale. Cela lui a permis de faire proliférer les accords de partenariat public privé. Ces PPP chinois, après une période d’expérimentation d’une dizaine d’années au cours des années 90, ont permis à des entreprises privées (nationales et étrangères) de se faire financer pour coopérer avec des municipalités, ces dernières y voyant un moyen de dynamiser la gestion urbaine. Au cours des années 2002 et 2003, le ministère de la Construction (devenu depuis, le ministère de l’Habitat et du Développement urbain et rural) devait ainsi officialiser le recours au PPP en matière d’interventionnisme municipal, ouvrant la voie à de nombreuses appli-cations municipales 4. Aujourd’hui, notamment depuis l’entrée en vigueur le 19 mai 2015 d’une décision du Conseil des Affaires d’État, les PPP forment, à eux seuls, une composante très importante du droit public économique chinois appliqué au développe-ment local 5.

Tout cela indique que le décor est désormais bien planté en faveur d’une sorte de nouvelle révolution culturelle, mais à l’inverse de la précédente. Compte tenu des engagements internationaux de la Chine, il serait surprenant que cette tendance ne s’étende pas, à plus long terme, à la plupart des grandes municipalités du pays. D’ores et déjà, divers services publics urbains se sont mis à l’heure de ce nouvel urbanisme.

 

Vers une gestion « d’un nouveau type » de quelques services urbains emblématique

Ces dernières années, la Chine a fait reposer sa politique d’aménagement du territoire sur de nouvelles stratégies de développe-ment urbain avec une vision plus écologique des choses, tout en conservant l’encadre-ment juridique mis en place antérieurement, celui-ci étant suffisamment souple pour être conservé toute son actualité 6. La « vertitude », pour parler comme un ministre français, semble être devenu le mot d’ordre des nouvelles politiques urbaines, à en croire les proclamations gouvernementales chinoises en faveur de l’énergie « verte », des transports « verts », de l’habitat « vert »… 7 Le pays est aidé à ce stade par l’Union européenne, cette dernière apportant un concours non négligeable à la Chine dans le domaine des relations entre développement urbain et protection de l’environnement 8. Depuis le 6 février 2016, un important programme de gestion des services publics urbains a donc été lancé visant à une meilleure prise en compte des conditions de mis en œuvre et de gestion de certaines grandes fonctions urbaines :

  • Eau et l’assainissement : il est désormais prévu de dépasser l’approche expérimentale des « sponge cities » pour l’ériger au plan de stratégie nationale.
  • Transport urbains « verts » : en 2014, une directive nationale sur le sujet a été pro-clamée par le Conseil des Affaires d’État pour favoriser la recherche de programme de promotion immobilière inspirée du souci de mettre l’accent sur certaines formes de densité immobilière. De son côté, le ministère de l’Habitat et du Développement urbain et rural a publié, la même année, une série de directives inspirées du concept américain de Transit-Oriented Development (TOD) relatif à l’aménagement de zones résidentielles ou commerciales destinées à favoriser l’usage des transports en commun et le covoiturage.
  • « Énergie verte » : L’accent est mis, en application d’un programme d’actions arrêté en 2014 par le Conseil des Affaires d’État, en conformité au 12e plan quinquennal (2011-2015), sur le développement de la biomasse et de l’énergie photovoltaïque.
  • « Habitat vert » (« green buildings ») : l’appellation est réservée à certains types de constructions et en 2015, des normes tech-niques sont entrées en vigueur sur le thème de « l’habitat passif » suite à une initiative émanant du ministère de l’Habitat. Selon les autorités, d’ici 2020, 50 % des nouveaux bâtiments devront intégrer des normes de construction écologiques (contre 2 % en 2012), 13 % de la consommation énergétique dans les villes proviennent d’énergies renouvelables (contre 9 % en 2012), 60 % des villes de niveau préfecture respectent les standards nationaux de qualité de l’air (contre 41 % en 2012).
  • « L’industrie verte » : depuis le 12e plan quinquennal et l’année 2012, et notamment en application d’un programme décidé par le Conseil des Affaires d’État en 2013, le thème de l’industrie verte doit inspirer le développement urbain de 100 villes pilotes, de 1 000 entreprises pilotes ou parc industriels et la mise en œuvre de 10 projets pilotes.

Enlèvement des ordures ménagères : on relèvera notamment la publication en 2014 d’un programme interministériel (mis en œuvre par trois ministères et une com-mission interministérielle ad hoc) destiné à permettre de faire le tri entre les ordures susceptibles d’enfouissement, ou de bio-traitement, ou d’incinération ou de destruction.

La Chine imagine en vert l’avenir de ses villes
© Michel Prouzet

Sauvegarde du patrimoine historique urbain : dans l’histoire de la Chine urbaine après 1949, cette politique a eu du mal à s’appliquer et l’on a assisté pendant de longues années, notamment à l’époque de la présidence maoïste, à des destructions de monuments historiques (notamment les fortifications du vieux Pékin). Il faudra attendre la loi du 28 octobre 2002 sur la « protection des reliques historiques » pour que des efforts soient faits en faveur de la sauvegarde du patrimoine urbain. Des municipalités sont données en exemple pour les efforts déployés en la matière, en dépit des encombrements que connaissent les grandes villes.

Les politiques qui se mettent ainsi en place s’accompagnent, il y a lieu de le signaler, de tentatives gouvernementales, annoncées le 14 décembre 2013 visant à augmenter et à diversifier les sources de revenus des gouvernements locaux. Mais les progrès dans ce domaine sont lents. L’affaire est à suivre par conséquent et notamment les efforts en vue de réaliser le programme pilote de taxe foncière lancé en 2011 à Shanghai et à Chongqing.

Pour l’heure, la volonté, exprimée par les autorités chinoises, de faire reposer « l’urbanisme-d’un-nouveau-type » sur une approche écologique est incontestable. Elle pourrait même faire des jaloux parmi les villes européennes… Le développement de certaines villes millionnaires chinoises, telles Zhuhai, Changzhou et Weihai, apporte la preuve d’un réel renouveau de la pensée urbanistique. Les réformes précédemment évoquées, en date du 15 mars 2014, devraient aussi bénéficier à d’autres villes chinoises, et notamment à sept autres d’entre elles qui ont été choisies en 2013 par le programme Europe-Chine Link. Ces villes, après avoir été conjointement sélectionnées par les autorités chinoises et la Commission européenne devraient donc, elles aussi, bénéficier des efforts de la puissance publique en vue de cet « urbanisme d’un nouveau type ».

 

  1. Les précisions au sujet de la politique urbaine « d’un nouveau type » ont été reprises en substance d’un docu-ment émanant du Conseil des Affaires d’État, traduit en anglais, intitulé « National New Type Urbanization Plan 2014-2016 »
  2. Voir les nombreuses études réalisées par le projet « EC Link » de l’Union européenne, tels qu’elles sont conduites depuis le début de l’année 2014 par la GIZ sous la direction du ministère en charge de l’Habitat et du Développement urbain et rural et en liaison avec la « Chinese Society for Urban Planning ».
  3. La RPC veut devenir le champion des « sponge ci-ties » : les villes qui collectent les eaux de pluie afin de les réutiliser pour l’arrosage, le nettoyage des rues ou encore la lutte contre les incendies.
  4. S’agissant du ministère de la Construction, on lui doit deux textes importants sur les PPP : « Opinions on Acceleration of Privatization Process of Public Utilities » (décembre 2002) et « Rules on Management of Franchised Operation on Public Facilities » (mai 2003). Ces deux textes ont été immédiatement suivis d’initiatives municipales, la ville de Shenzen se hâtant de publier, également en mai 2003, ses propres « Rules for the Franchised Operations of Public Facilities ».
  5. Voir notamment les documents intitulés : « Notice of the General Office of the State Council on Forwarding the Guiding Opinions of the Ministry of Finance, the National Development and Reform Commission and the People’s Bank of China on Promoting the PPP Mode in Public Service Field », document Guo Ban Fa (2015) n° 42 en date du 19 mai 2015.
  6. Deux textes principaux relatifs au développement urbain adoptés en 1986 et 1989, puis amendés quelque peu au fil des ans, fondent toujours l’encadrement urbanistique du pays. Il s’agit de la loi foncière de 1986 (« Law of land administration ») du 25 juin 1986 et de la loi sur l’urbanisme (« City Planning Law ») en date du 26 décembre 1989
  7. Sur la promotion de l’écologie urbaine en Chine, voir les pages 40 à 86 du rapport de l’OCDE (Paris) intitulé : « Regional Development Working » Paper 2013 / (0), portant sur le thème « Urbanisation & Green Growth in China ». Voir aussi : The World Bank, « Sustainable Low-Carbon City Development in China », by Axel Baeumler, Ede Lijasz-Vasquez, Shomik Mehndiratta Editors, Washington 2012, 514 pages et l’ouvrage, édité par le Lincoln Institute of land Policy (Cambridge, Massachusetts 2013), China’s Environmental Policy and Urban Development (2013, 219 pages).
  8. Ces quatre ou cinq dernières années, la coopération technique entre l’UE et la RPC au titre du programme « Europ-China Link » a mis effectivement l’accent sur les relations entre développement urbain et protection de l’environnement. La preuve en est fournie par les projets intitulés : « From pilot to sustainable towns : Satellite cities and metropolitan governance » ; « Urbachina » (la Chine urbaine à l’horizon de années 2050) ; « Supporting the Design and Implementation of Emissions Trading Systems in China » ; EU-China Low carbon platform » ; Europe-China Clean Energy Centre ».