La loi littoral, une invitation à la géographie appliquée

Votée à l’unanimité par le Parlement, chose peu commune, la « loi littorale » est entrée en vigueur le 3 janvier 1986. Trente ans plus tard, sa mise en œuvre pose toujours problème : le mariage du droit et de la géographie est une union difficile.

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« La Côte d’Azur assassinée ? » Ce titre avait marqué les esprits dans les années 1970… 1  Et pourtant, quelques années à peine après son adoption unanime au Parlement, le garde-fou était déjà remis en cause : « la loi Littoral est une bonne loi, mais elle doit évoluer avec le temps. Les contingences économiques ne sont plus les mêmes qu’en 86. Nous sommes là pour créer de la dynamique économique, pas pour stagner. » 2 Depuis 1986, nombreuses ont été les tentatives d’adapter, de contourner, voire de « sortir » de l’aire d’application de la loi Littoral. Il s’est souvent agit de saper ce barrage contre la spéculation «à courte vue ». Mais il faut aussi constater que, parfois, le dispositif a dû être ajusté sous la pression des faits géographiques. L’intitulé même du texte, relatif à « l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral », avait annoncé la complexité du terrain à traiter. L’ambition n’était-elle pas de faire d’une entité géographique 3 un objet juridique ? Or, les concepts manipulés par les géographes se prêtent mal à une rhétorique trop éloignée des réalités de terrain. Nombre de circulaires, d’instructions ministérielles et de rapports parlementaires ont témoigné de cette difficulté qui mobilise le juge administratif depuis trente ans. 4

À l’expérience, pour conforter la loi Littoral, il apparaît indispensable de mieux la Il s’agit d’en ménager, protéger et mettre en valeur, la logique originelle : une logique géographique. Celle-ci permet d’en mesurer les enjeux, qui dépassent de très loin les simples « contingences économiques » et ont aujourd’hui plus à voir avec le « changement climatique ». La logique géographique permet surtout d’appliquer les différentes dispositions du texte en leur conférant toute leur portée, mais rien que leur portée.

 

Pourquoi et comment légiférer sur le « littoral » ?

Pourquoi une loi Littoral ? Dans une « République indivisible », la question peut se poser. La géographie s’était déjà imposée pour un autre espace problématique, avec la loi Montagne, en 1985. Il était tout autant indispensable d’encadrer un certain nombre d’activités humaines sur le littoral, et notamment l’urbanisation, parce que le littoral est un espace rare, précieux, et très convoité. Rare, si l’on considère que cet espace terrestre modifié par ses relations avec la mer représente à peine 2 % des terres émergées. De surcroît, sa valeur n’est pas uniquement due à sa rareté. Comme tout phénomène de transition, le contact entre terre et mer produit des effets spécifiques, des richesses, des ressources spécifiques en termes biologiques, géomorphologiques, voire psychologiques chez l’être humain : « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » 5 . Or, le littoral est à ce point convoité qu’il est en proie à un mouvement observé sur toute la planète : les populations migrent vers les rivages. C’est le phénomène de la « littoralisation » bien décrit en géographie. La France y échappe d’autant moins qu’elle a renoncé à toute véritable politique d’aménagement du territoire.

Des espaces naturels surfréquentés…

Comment légiférer sur une « entité géographique » ? En introduisant dans le texte de loi toute la complexité logique d’un organisme vivant, le territoire, qui se définit par la diversité et ne saurait être contenu sans dommage dans une règle uniforme. C’est ce qui a été fait par les auteurs du texte, dès son article 1er, qui prescrit un effort de « recherche et d’innovation » portant sur les « particularités et les ressources » du littoral 6 . Ce souci d’adéquation entre la règle et le territoire a inspiré l’esprit comme la lettre de la loi. Ses concepts phares, qui ont alimenté des discussions parfois passionnées. Mais aussi des notions restées injustement méconnues, qui devraient commencer à émerger et s’affirmeront normalement ces prochaines années…

 

« Capacité d’accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser » : les limites de la croissance !

L’article L146-2 (L121-21 nouveau) du code de l’urbanisme n’est pas le plus connu des articles issus de la loi Littoral. C’est pourtant, à maints égards, le plus représentatif de la logique géographique qui est à la base de tout le dis-positif. « Pour déterminer la capacité d’accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser, les documents d’urbanisme doivent tenir compte : 1° De la préservation des espaces et milieux mentionnés à l’article L. 121-23 ; 2° De la protection des espaces nécessaires au maintien ou au développement des activités agricoles, pastorales, forestières et maritimes ; 3° Des conditions de fréquentation par le public des espaces naturels, du rivage et des équipements qui y sont liés. » À travers cette limite qu’il imposait la croissance urbaine, le législateur prescrivait une gestion intégrée du littoral, alors que notre civilisation est au contraire de plus en plus menacée par son inconséquence. Face au phénomène de la « littoralisation », cette limitation constitue plus que jamais une invitation impérative à prévenir les nuisances et les dégradations d’une urbanisation excessive pour tout un ensemble d’espaces naturels périphériques.

La capacité d’accueil des ports de plaisance fournit un champ d’application des plus démonstratifs pour la mise en œuvre de l’article L121-21.

Les ports sont aménagés sur l’espace littoral le plus spécifique et le plus étroit : le rivage, l’endroit où se produit le contact entre terre et mer. Qu’il s’agisse de la partie terrestre ou marine d’un tel espace, c’est celle où la vie est le plus intense, les eaux peu profondes permet-tant par exemple à des plantes sous-marines, telle la posidonie en Méditerranée, de produire de l’oxygène grâce à un ensoleillement encore suffisant des fonds marins inférieurs à 35 mètres. Deux inventions de la fin du XXe siècle donnent une idée de la façon dont l’Humain gère cette rareté. D’une part, le phénomène des locations de « bateaux à quai », transformant les ports en camps de vacance. Les publicités proposent ainsi au chaland de « rester dans le port sur un des bateaux à quai disponibles à la location », tout en ajoutant, comble de l’ironie : « certains bateaux proposent quand même (sic) une navigation maritime ». Autre invention, le catamaran à moteur de luxe par Hermès, qui surpasse l’encombrement toujours plus important des yachts classiques, avec « seulement » 58 m de long, mais 38 mètres de large, soit une surface au port de 3 400 m2 pour un seul navire. Mais qu’ils soient saturés ou pas, l’impact des ports sur l’environnement s’étend bien au-delà de leur stricte emprise. En effet les bateaux, qui pour la plupart ne naviguent que quelques heures par jour, rejoignent immanquablement dans les environs du port les espaces naturels les plus remarquables du littoral, pour y mouiller plus ou moins longtemps. Ces concentrations de mouillages, qui augmentent avec le nombre d’unités de plaisance mises à l’eau chaque année, entraînent ainsi des nuisances et dégradations pour les espaces naturels surfréquentés : ripages des ancres, rejets de déchets et d’eaux usées, épuisement des populations d’espèces sauvages, bruit… L’exemple des petites îles est à cet égard typique de cette problématique. Longtemps inaccessibles ou presque, ces îlots inhabités (ou presque) ont pu développer des écosystèmes remarquables abritant une faune et une flore parfois uniques au monde. Mais ces îles et îlots sont désormais vulnérables et effectivement menacés. L’initiative pour les Petites Îles de Méditerranée (PIM), programme international pour la promotion et l’assistance à la gestion des petites îles de Méditerranée coordonné par le Conservatoire du littoral, est une réponse à cette menace. La limitation des capacités portuaires constitue une autre réponse possible, exemple parmi d’autres des enjeux que recouvre la mise en œuvre de l’article L121-21.

 

Boisements anemomorphoses remarquables

Qu’est-ce qu’un « hameau nouveau intégré à l’environnement » ?

Longtemps avant le vote de la loi, les géo-graphes s’étaient émus du gaspillage d’espace, de voirie, réseaux divers et de paysages qu’entraînait l’explosion de l’habitat dispersé, favorisée par la voiture individuelle depuis les années 1950. C’est pour limiter ce gaspillage sur le littoral que l’extension de l’urbanisation en continuité avec les tissus urbanisés existants, ou en hameaux, y a été prescrite. Bien des trébuchets, depuis 1986, ont dû s’user à vouloir fixer le poids « normal » du hameau sur le littoral. À cet égard, le ministère en charge de la protection des paysages a dû rappeler avec raison que « la taille et le type d’organisation des hameaux dépendent très largement des traditions locales et aucune définition générale et nationale ne peut y être apportée. » 7 Le législateur avait fourni un indice en imposant l’« intégration à l’environnement ». Ce sont bien les ressources de la géographie, conjuguées aux vicissitudes de l’histoire, qui ont produit l’organisation traditionnelle de l’habitat selon les régions, selon les lieux, selon que l’eau affleure en abondance sur des terres grasses et étalées généreusement, ou que les sources sont rares et le sol squelettique. Le hameau est un organisme vivant. Il se nourrit des ressources que lui procure sa localisation. Il y a donc de petits et de grands hameaux suivant leurs âges et suivant leur situation dans une même région.

Créer aujourd’hui un hameau nouveau ne répond plus exactement aux mêmes besoins et son développement ne correspond plus au rythme de l’économie agraire d’autrefois. Il n’en demeure pas moins que le hameau nouveau intégré à l’environnement est aujourd’hui encore, destiné à abriter une communauté humaine, avec une économie optimale de moyens, en réduisant au strict minimum l’impact sur l’environnement et en favorisant la vie collective par l’usage d’espaces et d’équipements communs. Le hameau nouveau intègrera dans sa forme urbaine les préoccupations hygiénistes modernes d’éclairement et d’aération, mais il retrouvera la préoccupation plus ancienne de l’adaptation au climat, du respect de la fertilité étendue à la biodiversité, d’une desserte aisée depuis les voiries et réseaux divers existants, etc. Il serait contre-productif de limiter a priori la dimension d’un hameau nouveau. Plus l’effort d’intégration à l’environnement aura été pensé avec soin, plus il sera en effet souhaitable de valoriser un espace sélectionné méticuleuse-ment par une réponse conséquente aux besoins de la population. Dans le cas contraire de « micros-hameaux » imposés arbitrairement, il y aurait inévitablement plus de localisations moins bien intégrées, plus de gaspillages, et l’on en reviendrait au mitage combattu par la loi ! 8

 

Quand un espace est-il « proche du rivage » ?

La notion d’ « espace proche du rivage » a également suscité bien des spéculations géo-métriques. Là encore, il est tout indiqué de revenir vers le raisonnement géographique. L’empreinte laissée par l’Humain sur le paysage au fil du temps permet de délimiter un espace « proche du rivage ». Parce que dans la durée, c’est sa plus ou moins grande proximité, sa proximité plus ou moins fonctionnelle avec le rivage qui a marqué l’évolution d’un espace littoral. L’on y retrouve les marques du tourisme que la loi a précisément eu pour objectif d’endiguer – terrains de camping, lotissements concentrés dans les limites d’une bande parallèle au rivage, avec « vue sur mer », où l’on peut en quelques minutes avoir « les pieds dans l’eau ». L’examen des éditions successives d’une même carte de l’Institut géographique national est, à cet égard, particulièrement éclairant.

Comment définir les « espaces remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral » ?

La protection des espaces naturels (ou culturels) remarquables ou caractéristiques du littoral est une des plus fortes protections instituées par le code de l’urbanisme. Aussi, cette qualification d’ « espace remarquable » est-elle utilisée systématiquement par certains avocats qui ont eu tendance à transformer l’article L146-6 du code de l’urbanisme (L121-27 nouveau) en « argument de destruction massive ». Or, tout au contraire d’une approche simpliste, c’est ce dispositif que le législateur a circonstancié avec le plus de soin. Bien des méthodes ont été suggérées depuis pour parvenir à la qualification d’« espace remarquable du littoral » 9. Mais avec l’expérience, c’est avant tout le recours à la logique géographique qui paraît assurer la meilleure pertinence. Quel est le point commun entre toutes les catégories géographiques désignées par le législateur comme susceptibles d’être protégées ?

Carte postale ancienne du hameau d’Emponce au Plan-de-la-Tour.

Ce ne sont que des espaces naturels spécifiques du littoral, des espaces modifiés, voire produits, par leur relation avec la mer. Des milieux nourris, sculptés par des forces, fluides, flux d’origine maritime, qu’il s’agisse de brise ou de flots : dunes et landes côtières, plages et lidos, îlots inhabités, parties naturelles des estuaires, rias ou abers, caps, marais, vasières, zones humides, milieux temporairement immergés, zones de repos, de nidification et de gagnage des oiseaux sauvages dont l’interface terre/mer constitue l’écosystème, récifs coralliens, lagons et mangroves. C’est le lien indissoluble de ces espaces, milieux et paysages avec le littoral qui fonde leur rareté et motive leur protection. La catégorie « forêts et zones boisées côtières » en fournit la meilleure démonstration. Ainsi, les territoires des communes littorales ne manquent-ils pas de forêts. Mais seules les forêts et zones boisées « côtières » peuvent être sculptées, leurs arbres morphosés par l’action du vent marin, ou se refléter dans l’eau toute proche et former les paysages spécifiques « du littoral ». Suivant cette logique, le Conseil d’État a considéré que c’est parmi les « zones boisées côtières » que doivent être sélectionnés les « ensembles boisés les plus significatifs » 10 à classer, suivant le dernier alinéa de l’article L121-27, au sens de l’article L. 113-1 11. D’autres dispositions des codes de l’urbanisme ou de l’environnement permettent en effet de protéger les ensembles boisés et espaces remarquables qui ne sont pas spécifiques du littoral. Ces protections ne découlent pas de la loi Littoral 12.

Carte ancienne du village du Plan-de-la-tour et de ses hameaux

 

La tradition des hameaux en Provence

« À l’origine, un paysan et sa famille vivent dans un mas, entouré des terres qu’ils exploitent. Les années passant, les enfants se multiplient, en même tems [orthographe ancienne] que l’héritage se divise ; or, il est à noter, fait marquant de la tradition provençale, que les générations successives persistent à vivre dans le mas ancestral. Des bâtiments se construisent, juxtaposés les uns aux autres. Le paysan provençal ne choisit pas de bâtir à proximité du mas familial : il trouve le moyen d’aménager de nouveaux locaux d’habitation sur place, enchevêtrés et superposés. En aucun cas la prolifération familiale ne donnera lieu, ni à l’émigration, ni au morcellement de la propriété (…). On aboutit ainsi à la transformation de la bastide en hameau, et à la juxtaposition de plusieurs familles voisines de la même souche conservant chacune un foyer distinct sur l’emplacement de l’ancien foyer commun dont la survivance va se maintenir également dans la toponymie, la grande majorité des hameaux provençaux portant justement un nom propre de famille au pluriel (Les Codouls, les Mauniers, les Camails… ). Le maintien systématique des descendants au sein de la cellule familiale, dans le mas ancestral, s’explique d’ailleurs aisément par des considérations d’ordre pratique et économique : le patrimoine successoral est exclusivement l’outil de travail, et les héritiers en ont besoin pour vivre. En Provence, la bonne terre cultivable est rare, et l’implantation du bâtiment d’habitation a toujours été faite à l’endroit aride, rocailleux, mal exploitable, quoique bien exposé au soleil, abrité des vents dominants, Mistral et Tramontane, et généralement près d’un point d’eau. Pourquoi donc aller « gâcher » la bonne terre pour installer plus loin le fils qui continuera à travailler dans la propriété ? D’autant qu’en choisissant de s’accoler aux bâtiments préexistants, il continuera à profiter des équipements collectifs indispensables de la bastide, que sont le puits, le four, le cloaque, le lavoir… et va gagner un quart de construction – les murs maîtres en pierre pouvant atteindre jusqu’à un mètre d’épaisseur sont si longs à monter ! » 13. À noter que, parmi leurs équipements communs, les hameaux le plus importants comportaient assez habituellement une chapelle. De ce regroupement autour d’usages et d’équipements communs s’ensuit « une vie collective intense » 14, et la permanence de l’espace privé mais commun, le « patecq », qui entoure chaque hameau.

Sur le littoral, la possibilité de résider dans des hameaux, en-dehors donc des murailles entretenues par les villageois pour se protéger, a été rétablie par l’éradication de la piraterie et du brigandage sous Louis XIV, après la période troublée qui suivit l’effondrement de l’Empire romain 15 . D’une seule famille, au départ abritée dans une grosse maison, le hameau selon qu’il est plus ou moins bien placé au contact de terres fertiles et de routes passagères, pourra soit péricliter et disparaître, soit devenir un village et plus encore. Ainsi, dans les Maures, montagne provençale qui plonge dans la mer, la commune du Plan-de-la-Tour est-elle composée d’une vingtaine de hameaux environ, dont trois ont fusionné pour former l’actuel village.

 

Perspectives ouvertes par la loi Littoral

Les géographes n’ont pu que se réjouir de voir leur science appliquée à une gestion économe de l’espace littoral – et collaborer toujours plus avec leurs collègues juristes.

Puisqu’elles sont encore en charge de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme, les communes pourraient également se réjouir aujourd’hui que la loi ait porté une telle ambition en termes d’intelligence du territoire. Car c’est à l’échelle d’une commune qu’est possible l’analyse fine des catégories géographiques énumérées par le législateur. Il y a là une chance, pour les conseils municipaux, de faire prévaloir l’intérêt de leur proximité avec le territoire dans la bonne gestion du patrimoine commun de la Nation – les documents supra-communaux garantissant la cohérence d’ensemble.

Quant aux services de l’État chargés de produire un « service après vote », ou de contrôler la légalité des décisions, ils peuvent s’appuyer sur les travaux des géographes universitaires qui, depuis quelques siècles déjà, s’efforcent de comprendre les relations entre l’Humain et sa planète…

S’ils devaient formuler un vœu à l’occasion des trente ans de la loi Littoral, les géographes pourraient souhaiter que le législateur étende la même logique à l’ensemble du territoire national. Certains articles, qui encadrent l’extension de l’urbanisation notamment, seraient profitables aux continents entiers. Une telle sagesse se justifierait chaque jour un peu plus, au fil de la prise de conscience par l’Humain que la planète Terre est finie, et non reproductible.

 


La loi Littoral et le fait géographique

Deux évolutions du dispositif issu de la loi sont particulièrement révélatrices des rapports étroits qu’entretiennent ce cadre juridique et les faits géographiques.

L’ « amendement Pampelonne »

Tout d’abord, un article L146-6-1 (réduit dans l’article nouveau L121-28) a été ajouté au code de l’urbanisme pour nuancer les dis-positions relatives aux « espaces naturels remarquables du littoral », lorsque cette qualification peut encore être attribuée à une plage intensément fréquentée par les touristes. Cet amende-ment a aussi été appelé « amendement Gaïa», du nom prédestiné du député qui en a été l’auteur. Il a spécialement été conçu pour sauvegarder le « mythe tropézien » à travers le maintien, à Ramatuelle, d’établissements de renommée internationale sur la plage de Pampelonne – la presqu’île de St-Tropez dont elle est la principale ressource ayant, bien avant 1986, évolué en « pôle mondial de tourisme ». L’article L121-28 permet de concilier, dans un schéma d’aménagement d’ensemble, une économie balnéaire préexistant à la loi Littoral avec la restauration d’un environnement naturel remarquable mais menacé 16. C’est ce que démontre le schéma d’aménagement de la plage de Pampelonne approuvé par décret du 15 décembre 2015.

L’ « amendement Sicié »

La logique du nouvel article L146-8 (L121-5 nouveau) relevait plus de la géographie physique. Un autre amendement parlementaire y ouvrait, « à titre exceptionnel, [la possibilité de réaliser] les stations d’épuration d’eaux usées, non liées à une opération d’urbanisation nouvelle (…) par dérogation aux dispositions [issues de la loi Littoral] ». Il s’agissait en l’occurrence d’autoriser celle du cap Sicié à Toulon. Contrairement en effet à l’arborescence d’un réseau d’eau potable, qui part d’un point haut, un réseau d’égout aboutit à un point bas, la station d’épuration. Sur le littoral, il y a ainsi de très grandes chances qu’un tel équipe-ment doive approcher le niveau de la mer et se trouver dans la bande littorale des 100 mètres – où il faudra l’intégrer au mieux à l’environnement 17.


 

  1. Richard, René, Bartoli Camille, La Côte d’Azur assassinée, Paris, Roudil Éd., 1971, 137 pages.
  2. Serge Pallarès, président de la Fédération française des ports de plaisance, Var-Matin, 3 avril 2004.
  3. Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménage-ment, la protection et la mise en valeur du littoral, article 1er, aujourd’hui article L321-1 du code de l’environne-ment : « Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur. »
  4. Entre autres : Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction. Circulaire UHC/DU1 no 2006-31 du 14 mars 2006 relative à l’application de la loi littoral. Rapport d’information fait au nom de la commission sénatoriale du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire sur la loi Littoral, par Mme Odette Herviaux et M. Jean Bizet, janvier 2014. Instruction du gouvernement du 7 décembre 2015 relative aux dispositions particulières au littoral.
  5. Charles Baudelaire, « L’Homme et la Mer ».
  6. Article 1er de la loi, codifié à l’article L321-1 du code de l’environnement
  7. Circulaire UHC/DU1 no 2006-31 du 14 mars 2006 relative à l’application de la loi littoral.
  8. Il est à cet égard intéressant de relever qu’en montagne, la loi autorise l’extension de l’urbanisation à partir des hameaux existants, ce qui n’est pas encore le cas avec la loi Littoral. C’est que la rareté des espaces exploitables est soumise à des contraintes supplémentaires : la prise en compte d’un relief tourmenté et des couloirs d’avalanche. Un site éprouvé dans le temps par l’existence d’un hameau historique peut encore moins être gaspillé que sur le littoral étant donné la rudesse de la géographie montagnarde et des sanctions qu’elle inflige à la moindre erreur…
  9. « Loi littoral : identifier les espaces remarquables » / Guy Martin, Le Moniteur n°4932, 5 juin 1998, p. 60-61. « Espaces naturels remarquables Le paradoxe de la loi littoral ». Guy Martin, Le Moniteur N° 5026 – 24 mars /2000. « Identifier les espaces remarquables au sens de l’article L146-6 du code de l’urbanisme ». Guy Martin, Bulletin de Jurisprudence du Droit de l’Urbanisme (BJDU) n°5/98, décembre 2000, pages 328 et s. « La rareté de l’espace littoral saisie par le juge administratif. » Jean-François Calmette, Etudes foncières n°126, mars-avril 2007. « Le juge continue de définir les contours d’application de la loi Littoral ». Alexia Robbes et Emmanuel Guillaume, avocats. Le Moniteur n° 5847 – 18 décembre 2015
  10. Les « zones » ou « ensembles boisés » ne sont pas, en principe, l’équivalent des « forêts ». Celles-ci désignent historiquement de vastes espaces extérieurs aux limites du terroir cultivé et habité, puis des espaces suffisamment étendus pour que le seigneur les réserve à la chasse. Les simples bois n’ont pas la même ampleur et sont destinés à l’exploitation du matériau.
  11. Conseil d’État, 30 décembre 2009, Cne du Lavandou, req. n° 307893.
  12. Articles L101-1 à L101-3, L. 113-1 du code de l’urbanisme ; L411-1 et s. du code de l’environnement, etc.
  13. Doublat Corinne, Le Patecq en Provence : survivance désuète d’un usage rural et agricole ancestral. Imprimé à compte d’auteur par Riccobono. Mémoire pour l’obtention du diplôme de notaire, 79 p. (non daté, disponible à la bibliothèque municipale de Marseille). Sur ce thème, on se réfèrera avec profit à : Roger Livet, Habitat rural et structures agraires en Basse Provence, impr. L. Jean , 1962.
  14. Doublat Corinne, cit.
  15. Juillard Etienne, La Côte des Maures. Son évolution économique et sociale depuis cent ans étudiée dans la région de St-Tropez, 1957. In : Le Var et les Maures entre géographie et histoire. Recueil d’articles 1957-2006. Hyères, Mémoire à Lire Territoire à l’Écoute éd., 2015
  16. Amendement à la loi relative à la solidarité et au re-nouvellement urbains du 13 décembre 2000. On trouvera plus d’explications sur cet amendement et ses suites dans : « Économie de plage et impératifs environnementaux. L’exemple de la plage de Pampelonne, à Ramatuelle », Guy Martin in revue Espaces n° 319, juillet 2014, 9 pages.
  17. Amendement à la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux.