Retour sur le colloque : L’utopie du foncier comme sol et terre

par | 3 Août 2024 | 2024: pour une nouvelle utopie foncière

Nous retiendrons de ce colloque un changement de paradigme pour aborder au-delà du foncier la question des sols et des terres : on intègre aux deux dimensions surfaciques traditionnelles une troisième dimension de profondeur. Ce changement de paradigme évoqué par différents intervenants aujourd’hui relève d’une vision écosystémique du foncier déjà amorcée par Edgar Pisani en 1977. Il reste à faire pour l’intégrer dans les pratiques.

Cette vision écosystémique a été introduite par les organisateurs des ateliers :
– définir les enjeux du foncier écosystémique (1.A)
– prendre en compte la valeur écologique du foncier (2.A)
– mobiliser les données et l’observation (notamment pour mieux connaître la valeur écosystémique du foncier) (3.A).
Mais cette vision écosystémique a été également abordée spontanément au cours de différentes interventions en plénière et table-rondes. Nous en retiendrons quelques observations saillantes:

  • Jean-Marc Offner souligne l’importance des sols vivants, altérés non seulement par l’urbanisation mais aussi par l’agriculture intensive, alors qu’ils ne sont pas protégés juridiquement (contrairement à l’eau par exemple). Il invite à inverser le regard en pensant les « espaces vides » de l’aménagement du territoire comme des « espaces pleins » en termes écologiques. Dans la table ronde, il rappelle l’importance des périmètres de protection (zones Natura 2000 par exemple) mais également des trames et corridors écologiques.
  • Cécile Claveirole alerte sur le risque lié à la « compensation environnementale » qui apparaît comme un leurre, sur la concurrence et la spéculation qui font oublier les fonctions essentielles des sols. La technologie est également pour elle insuffisante pour nous sauver d’un manque de sol vivant. Elle nous invite à penser autrement et à changer notre modèle d’aménagement pour éviter de détruire notre système vivant. Le foncier – sol est si essentiel qu’il devrait être considéré comme inestimable et ne plus avoir de prix. L’agriculture notamment devrait toujours pouvoir disposer d’un volume de terre suffisant.
  • Guillaume Pasquier invite à s’intéresser aux terres excavées, aujourd’hui considérées comme des déchets.
  • Eric Charmes évoque l’importance des jardins des particuliers, dont la surface pourrait être amenée à diminuer avec des projets de « densification douce ». Le ZAN (Zéro Artificialisation Nette) considére ces surfaces comme artificialisées, alors qu’elles jouent un rôle majeur pour la biodiversité, la diminution des effets d’îlots de chaleur, et la culture vivrière.

Si ce changement de vision du foncier intégrant  la valeur écologique des sols est clairement établi dans les propos, il semble rester davantage dans le domaine des idées et des concepts. Il est généralement mis en avant par des universitaires ou des experts mais peu par des praticiens, et se heurte au modèle économique toujours en cours des projets d’aménagement, qui repose sur une valorisation du foncier urbanisé. Les élus, les techniciens des collectivités, les experts des Etablissements Publics Fonciers rendent généralement compte de leurs difficultés pour mobiliser du foncier, y compris en régénération urbaine, pour pouvoir conduire les projets permettant de répondre aux attentes des habitants et de la Nation : logement abordable, activité économique dont industrie, infrastructures de transports dont transports en communs… Les difficultés dont ils font part pour y parvenir, en raison des tensions et du prix du foncier, y compris en remettant en cause la notion d’attractivité et de développement territorial à l’exemple du maire d’Annemasse, éclipsent les enjeux de préservation des sols, alors même que la loi climat et résilience instaurant le ZAN entend y répondre.

Une structure telle que Ile de France Nature montre qu’il est possible de protéger le patrimoine naturel, de le valoriser et de renaturer des espaces urbanisés : cette approche permet ainsi d’agir sur les leviers « éviter » et « compenser » de la séquence Eviter – Réduire – Compenser (ERC). Mais comment mettre en œuvre le levier « réduire » pour réaliser les projets de construction en extension ou en densification des tissus existants jugés nécessaires tout en limitant drastiquement leur impact environnemental (voire en améliorant la qualité environnementale de quartiers existants) ? Et surtout quel nouveau modèle économique peut rendre possibles ces nouveaux modèles d’aménagement préservant les sols et la biodiversité ?

Agnès Thouvenot a évoqué 2 pistes : la collectivité peut devenir propriétaire des terrains pour élaborer une programmation écologique plus ambitieuse, ou imposer des obligations environnementales fortes aux acteurs privés. Dans les deux cas, ces mesures se heurtent à des capacités financières limitées de la puissance publique, mais aussi à la nécessité d’évaluer la valeur environnementale d’un projet urbain pour pouvoir imaginer la réintégrer ensuite dans la chaîne de valeur globale de l’aménagement (et ainsi déterminer qui la finance).

Le colloque a apporté un éclairage sur la valeur écologique du foncier :

  • cette valeur peut être mesurée au regard des coûts environnementaux, valeurs des services écosystémiques détruits ou coûts du maintien des potentialités écologiques. Mais ces coûts ne sont pas réintégrés dans la chaîne de valeur de l’aménagement et peuvent de plus faire perdurer l’illusion d’un mécanisme de compensation efficace en terme d’équivalence et inciter à actionner le levier « compensation » de la séquence ERC au détriment des autres.
  • Cette valeur peut être mesurée au regard de la valeur d’usage, notamment à travers les prix hédoniques, et au regard de la valeur de non-usage, difficile à approcher (méthode des préférences déclarées).

 

On voit qu’il peut être utile d’aller plus loin dans ces questions de mesures : comment évaluer les gains écologiques d’un projet d’aménagement ? Cette évaluation peut constituer une aide à la décision pour arbitrer entre différentes options d’un projet, mais aussi et surtout pour amener à changer les référentiels d’aménagement afin de préserver le vivant et les sols, en leur donnant une valeur autre que la valeur du foncier.
L’équipe de recherche constituée de Agnès Bastin, Daniel Florentin et Magali Castex a rendu compte d’un premier travail sur ce sujet dans le cadre d’une recherche financée par le PUCA, intitulée « nouveaux modèles d’aménagement ». Cette recherche se poursuit actuellement dans le cadre du projet ECOMODAM financé par l’ANR.

Ces premiers travaux exploitent des exemples réels de nouvelles métriques employées : Analyse de Cycle de Vie de quartier, l’outil d’aide à la décision s’appuyant sur la qualité des sols de Rennes Métropole, l’indice d’écopotentialité genevois, notamment, ainsi que les bilans écologiques des projets d’aménagement .

Au regard des nouvelles métriques qu’ils repèrent et analysent, une clarification opérationnelle des rapports entre valeur du foncier, valeur des sols et valeur écologique des projets  serait certainement très profitable à l’ensemble des acteurs.

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