Une hausse structurelle des valeurs immobilières résidentielles caractérise les économies occidentales depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale (8). Nous comprenons désormais que, derrière cette inflation immobilière de long terme, se cache un « retour » de la rente foncière dans la vie économique (13), (14). À la suite de ce retour, mais avec quelques décennies de décalage, la récupération des plus-values foncières – en d’autres termes, la collectivisation de la rente foncière – fait l’objet d’un intérêt croissant tant au sein des sphères scientifiques que politiques.
Pour la France, le récent ouvrage d’Alain Trannoy et d’Etienne Wasmer (16) illustre parfaitement le « retour » de la rente foncière dans la vie scientifique. Au niveau international, les recherches sur la récupération des plus-values foncières sont de plus en plus nombreuses (17). L’intérêt est également croissant de la part des grandes organisations internationales. Faisons ici référence au récent compendium global préparé par l’OCDE sur le sujet du « Land Value Capture » (12). Pour le niveau européen, faisons également référence à la volonté de consacrer une action COST à la même thématique (6).
Dédier un projet européen COST au « Land Value Capture » nous a offert l’opportunité de réfléchir sur la manière dont les systèmes de l’aménagement[i] et les politiques foncières intègrent les deux objectifs de l’efficacité territoriale d’une part et de l’efficacité socio-économique d’autre part. Alors que l’efficacité territoriale fait référence à l’enjeu pour les collectivités de la promotion des organisations territoriales jugées les plus performantes, l’efficacité socio-économique fait pour sa part référence aux enjeux de la récupération des plus-values foncières et donc au domaine des finances publiques.
Notre recherche est partie de l’intuition selon laquelle les travaux qui se développent sur la récupération des plus-values foncières devraient mieux intégrer ces deux composantes des politiques publiques. Elle pose un cadrage théorique qu’elle confronte à une analyse empirique exploratoire dédiée à la Norvège et à la Belgique. Ses résultats ont été publiés dans un récent article scientifique que nous synthétisons dans la présente contribution. Nous nous permettons d’y renvoyer le lecteur intéressé par des développements plus détaillés (7).
Cadrage théorique : formalisation d’un système de l’aménagement idéal
Notre cadrage théorique a consisté dans la formalisation d’un système de l’aménagement idéal, à la fois sur le plan territorial et sur le plan socio-économique. Ce système idéal et théorique a ensuite été confronté à la réalité empirique des deux terrains analysés.
Sur le plan socio-économique, le premier postulat nous ayant guidé dans la formalisation d’un système de l’aménagement idéal est qu’il doit permettre de collectiviser les hausses des valeurs foncières. Ce postulat repose sur le constat qu’une hausse des valeurs foncières ne résulte généralement, ni du travail du propriétaire, ni d’un investissement financier de sa part. Cette vision, qui peut être politiquement débattue, s’inscrit dans la tradition séculaire des analyses consacrées à la rente foncière (3). En langue anglaise, le terme de « unearned increment » (10) résume parfaitement le caractère inéquitable de la privatisation de la rente foncière. C’est notamment ce caractère inéquitable qui justifie l’intérêt croissant des sphères scientifiques et politiques pour le sujet du « Land Value Capture ».
Afin de proposer une prise en compte adéquate des fluctuations foncières, nous avons considéré qu’un système de l’aménagement idéal doit permettre la collectivisation des plus-values mais également des moins-values. En matière de finance publique, nous postulons donc que l’efficacité socio-économique des politiques foncières est déterminée par leur capacité à collectiviser tant les évolutions à la hausse qu’à la baisse de la valeur des terrains. Du côté des plus-value, la problématique interroge l’opportunité d’inclure dans le droit de propriété le droit aux valorisations liées à l’action collective et, en particulier, aux travaux publics et aux régulations mises en place par les systèmes de l’aménagement. Du côté des moins-values, la problématique interroge la possibilité d’inclure le droit à l’indemnisation dans le droit de propriété, en particulier le droit à l’indemnisation des servitudes d’urbanisme (9).
Sur le plan territorial, le postulat nous ayant guidé dans la formalisation théorique d’un système de l’aménagement idéal est qu’il doit reposer sur une articulation parfaite entre aménagement stratégique et aménagement opérationnel. Par aménagement stratégique, nous entendons les pratiques, idéalement multiscalaires et participatives, qui aboutissent à la définition des organisations territoriales jugées les plus performantes. Par aménagement opérationnel, nous entendons les pratiques mises en œuvre par les systèmes de l’aménagement afin que ces organisations territoriales jugées les plus performantes puissent se matérialiser. En matière d’aménagement du territoire, une politique foncière sera jugée d’autant plus efficace qu’elle permettra cette matérialisation. Deux pratiques jouent alors un rôle majeur : d’abord la mise en place des plans d’affectation et, ensuite, la délivrance des autorisations administratives. Dans un système idéal, les plans d’affectation sont déterminés par les ambitions stratégiques. Ensuite, les autorisations administratives ne seront octroyées que si elles sont en adéquation avec le zonage et, dès lors, avec les ambitions stratégiques dont il doit résulter. Force est de constater que la réalité empirique ne ressemble pas toujours à cette configuration idéale…
L’approche méthodologique
Le cadrage théorique rapidement présenté ci-dessus nous a conduit à formuler quatre hypothèses de travail. Ces hypothèses reposent sur l’idée selon laquelle, dans le champ des politiques foncières, il y a des processus de renforcements et de blocages mutuels entre efficacité territoriale et efficacité socio-économique. Les quatre hypothèses ont été formulées de la manière suivante :
– Hypothèse 1 : une forte efficacité territoriale des politiques foncières permet d’en accroître l’efficacité socio-économique ;
– Hypothèse 2 : une forte efficacité socio-économique des politiques foncières permet d’en accroître l’efficacité territoriale ;
– Hypothèse 3 : une faible efficacité territoriale des politiques foncières conduit à en réduire l’efficacité socio-économique ;
– Hypothèse 4 : une faible efficacité socio-économique des politiques foncières conduit à en réduire l’efficacité territoriale.
Nous avons d’abord analysé la littérature afin d’étudier ces quatre hypothèses. Une revue de la littérature consacrée aux politiques foncières ne nous a pas permis d’identifier de recherches ayant explicitement traité des interactions entre efficacité territoriale et efficacité socio-économique. Nous avons toutefois pu mettre en avant que, telle que traditionnellement pratiquée aux Pays-Bas, l’intervention directe des collectivités locales dans la production de foncier aménagé[ii] interroge quant à un potentiel problème de double casquette (15). Le problème réside dans le fait que les développements fonciers de certaines autorités néerlandaises sont guidés par des objectifs de rendements financiers qui peuvent être préjudiciables aux objectifs urbanistiques, cela par exemple en haussant trop les densités. Cette observation va à l’encontre de notre postulat des renforcements mutuels entre efficacité territoriale et efficacité socio-économique. Plus précisément, cette observation contredit l’hypothèse 2, selon laquelle une forte efficacité socio-économique des politiques foncières permet d’en accroître l’efficacité territoriale.
À la suite du cadrage théorique et de l’examen de la littérature, notre travail s’est focalisé sur les cas de la Norvège et de la Belgique. Nous avons choisi ces deux terrains d’études en raison des ressemblances et des dissemblances qui les caractérisent. Dans les deux pays, nous sommes en présence de politiques d’aménagement libérales qui n’intègrent pas de politiques foncières proactives, à l’inverse par exemple de la situation néerlandaise venant d’être invoquée. Dans ces deux pays, nous sommes également en présence de systèmes juridiques qui n’intègrent pas explicitement la position philosophique selon laquelle il est légitime que les autorités publiques récupèrent les plus-values foncières, y compris les plus-values foncières générées par l’aménagement urbain. En revanche, les deux pays sont dans des situations opposées quant à la réussite des politiques qui visent à réduire l’étalement urbain. D’un côté, la Belgique continue d’allègrement artificialiser. De l’autre côté, pour reprendre l’expression de Peter Næss et de ses collègues (11), Oslo – mais aussi les autres villes importantes de Norvège – « a dit adieu à l’étalement urbain » (Oslo’s farewell to urban sprawl).
Le cas de la Norvège : l’efficacité socioéconomique à travers la nécessité de financer le modèle de la ville compacte qualitative
Il existe en Norvège une politique nationale ambitieuse en faveur du modèle de la ville compacte qualitative (4). Cette politique, désormais de près de trente ans d’âge, nécessite des budgets significatifs afin de financer tant le développement de transports collectifs structurants que la qualité des voisinages urbains. En effet, renforcer la qualité des voisinages urbains permet de limiter l’exode urbain en y améliorant l’attractivité résidentielle.
À propos du financement des transports collectifs, nous avons découvert en Norvège le système innovant des accords de développement urbains (ADU ; byvekstavtaler en norvégien et urban growth agreements pour la traduction anglaise). Les ADU correspondent à des dispositifs de « subventionnement contre aménagement » (funding against planning en anglais), au travers desquels l’État central cherche à mobiliser les collectivités locales en faveur des objectifs nationaux pour la compacité urbaine. Les accords reposent sur, d’un côté, l’engagement des autorités centrales à investir dans les transports collectifs et, d’un autre côté, l’engagement des autorités locales à lutter activement contre l’étalement urbain. Ce mode de financement n’est pas lié à la collectivisation de la rente foncière, mais il s’inscrit dans une intégration cohérente entre la politique de l’aménagement du territoire et la politique budgétaire.
Les ADU font l’objet d’un système d’évaluation par l’État central. Les collectivités qui ne rencontreraient pas les objectifs négociés pourraient ainsi être pénalisées par des sanctions financières. Concrètement, pour améliorer les indicateurs considérés dans le suivi du système de financement, les municipalités doivent développer des politiques volontaristes. Ces politiques locales volontaristes peuvent reposer sur la suppression de certaines zones constructibles en périphérie et, concomitamment, sur le renforcement de la qualité de vie au sein des tissus urbains centraux. C’est ici qu’intervient la problématique de la récupération des plus-values foncières, au travers de l’instrument des accords de développement (AD ; utbyggingsavtale en norvégien et development agreements pour la traduction anglaise).
Les AD sont négociés entre les autorités locales et les promoteurs lors de l’élaboration des plans d’urbanisme préparés à l’échelle des quartiers. Ils correspondent à des obligations de financement auxquelles les promoteurs sont soumis et qui visent à renforcer la qualité et l’habitabilité des milieux de vie mixtes et compacts. Concrètement, par l’intermédiaire des AD, les communes peuvent financer la création de nouvelles places, de nouveaux parcs, de nouvelles liaisons vertes ou encore de nouvelles infrastructures pour les modes doux[iii].
Il ressort de l’analyse du cas norvégien que les AD sont complémentaires aux ADU. En effet, en contribuant à la progressive matérialisation du modèle de la ville compacte qualitative, ils permettent aux autorités locales de rencontrer les objectifs négociés avec les autorités nationales dans le cadre des ADU.
Les AD s’inscrivent dans une logique de recouvrement des coûts plutôt que dans une volonté explicite de récupérer les plus-values foncières. Leur justification légale ne repose donc pas sur le principe théorique selon lequel il est légitime de collectiviser les rentes foncières, mais plutôt sur l’objectif pragmatique de financer l’amélioration des conditions de vie en milieu urbain. De ce point de vue, le cas norvégien vérifie notre première hypothèse de travail, selon laquelle une forte efficacité territoriale des politiques foncières permet d’en accroître l’efficacité socio-économique. Plus précisément, nous sommes ici dans une configuration où les ambitions poussées en matière d’aménités urbains conduisent à accroître la part des plus-values foncières que la puissance publique cherche à récupérer auprès des promoteurs.
Le cas de la Belgique : comment améliorer l’efficacité socioéconomique face à une faible tradition aménagiste ?
Vis-à-vis de leurs homologues norvégiens, les aménageurs et urbanistes belges, tant en Flandre qu’en Wallonie[iv], ne parviennent toujours pas à inverser les forces centrifuges de l’étalement urbain. Au sein des deux principales régions belges, les principes de la ville compacte sont mis en avant par les schémas stratégiques. Pour autant, dans les faits, divers blocages en limitent la mise en œuvre effective. Par exemple, en comparaison du contexte norvégien, il n’existe pas en Belgique d’instruments de « subventionnements contre aménagement » susceptible de mobiliser les autorités locales. Nous interprétons ce manque par l’incapacité socio-politiques des systèmes de l’aménagement à influencer les autres politiques publiques, en particulier en matière de finance publique (4).
Vis-à-vis du contexte norvégien (mais aussi français), une autre différence majeure se rapporte à une application poussée, et sans limitation dans le temps, du principe de l’indemnisation des servitudes d’urbanisme(9). Étant donné ses implications budgétaires, une telle application empêche de rezoner des terrains depuis une affectation urbanisable vers une affectation non urbanisable. Cela est particulièrement problématique alors que la plupart des régions urbaines fonctionnelles belges sont marquées par une abondance historique en foncier constructible (5). Nous vérifions ici l’hypothèse 4, selon laquelle une faible efficacité socio-économique des politiques foncières conduit à en réduire l’efficacité territoriale. En effet, l’incapacité belge à limiter l’étalement urbain résulte ici d’un très prégnant droit de propriété à l’origine d’une dissymétrie entre collectivisation des moins-values et collectivisation des plus-values. Alors que les propriétaires n’ont pas été imposés lorsque leurs terrains sont devenus constructibles, ils devraient maintenant être indemnisés si ces mêmes terrains devaient perdre leur constructibilité juridique !
Un point commun entre la Belgique et la Norvège correspond à l’existence d’obligations qui sont imposées aux promoteurs et dont il résulte une récupération plus ou moins importante des plus-values foncières. En Flandre comme en Wallonie, il existe deux instruments distincts dénommés « condition d’urbanisme » et « charge d’urbanisme ». Ces deux instruments sont simultanément négociés entre les promoteurs et les autorités locales. En comparaison de la Norvège, les négociations se déroulent plus tardivement, au moment de la délivrance des permis plutôt qu’au moment de la préparation des plans établis à l’échelle des quartiers. Ce caractère plus tardif est synonyme d’une planification moins poussée.
Les logiques juridiques – et philosophiques – derrière les deux instruments des conditions d’urbanisme et des charges d’urbanisme sont distinctes. Vis-à-vis de notre grille de lecture, les conditions sont à associer à l’efficacité territoriale. À l’image des AD pratiqués en Norvège, elles trouvent leur justification dans l’action territoriale et urbanistique. En revanche, les charges sont à associer à la question de l’efficacité socio-économique puisque leur justification légale relève d’ambitions budgétaires plutôt que de la promotion d’organisations territoriales jugées performantes.
Juridiquement, les conditions sont liées à des investissements jugés « nécessaires » pour la bonne mise en œuvre des projets immobiliers. De manière générale, cela correspond à des infrastructures de viabilisation (voirie, égouttage, distribution de l’eau alimentaire…), mais pas à des équipements en espaces verts ou en modes doux. Il résulte de cette perception limitative des équipements « nécessaires » que le niveau qualitatif des investissements sollicités ne se hisse pas à la hauteur des exigences norvégiennes en matière de compacité qualitative.
Pour les charges, comme invoqué ci-dessus, nous sommes dans une logique socio-économique plutôt que territoriale. Plus précisément, nous sommes dans une logique de compensation socio-économique. En Flandre, les charges sont juridiquement justifiées par « des tâches supplémentaires que la prise en charge de l’exécution du permis entraîne pour les autorités » (article 112 de la législation flamande relative à l’aménagement du territoire). S’agissant de la législation wallonne, nous lisons que les chargent visent à « compenser l’impact que le projet fait peser sur la collectivité au niveau communal » (article D.IV.54).
L’analyse de l’instrument des charges d’urbanisme conduit à mettre en avant deux observations majeures. La première se rapporte à la difficulté d’opérationnaliser le dispositif. En effet, méthodologiquement, les ambiguïtés ne permettent pas d’objectiver comment quantifier les « tâches » et les « impacts » invoqués par les législations. Cette ambiguïté est classiquement observée au sein des systèmes de l’aménagement qui n’ont pas explicitement intégré la logique selon laquelle il est légitime de collectiviser les plus-values foncières (1). Dans ces systèmes, où l’on cherche à collectiviser la rente foncière sans (oser) le dire, il faut alors « bricoler » d’autres justifications socio-économiques, comme la compensation d’impacts ou d’externalités négatives. Dans la pratique, ces justifications ne peuvent être qu’ambiguës. Pour le cas analysé, il en résulte une confusion fréquente de la part des communes entre les deux instruments des conditions et des charges. En outre, un même équipement – prenons l’exemple du bassin d’orage – pourra tantôt être imposé comme une condition et tantôt comme une charge.
Une seconde observation intéressante se rapporte à la question des processus de renforcements mutuels entre efficacité territoriale et efficacité socio-économique. En effet, la volonté des autorités locales belges de tirer un profit maximum des charges les poussent à améliorer leur planification spatiale pour mieux négocier avec les promoteurs. Pour ce faire, elles tendent à réaliser des schémas stratégiques plus précis et plus poussés. Nous vérifions ici l’hypothèse 2, selon laquelle chercher à accroître l’efficacité socio-économique des politiques foncières permet d’en accroître l’efficacité territoriale.
Conclusion
La recherche synthétisée dans ce texte avait pour ambition de contribuer aux connaissances sur les systèmes de l’aménagement en s’intéressant aux articulations entre les composantes territoriales et socio-économiques des politiques foncières. Cette recherche est partie de l’intuition selon laquelle l’intérêt croissant des sphères scientifiques pour l’enjeu de la récupération des plus-values foncières devrait reposer sur une prise en compte plus intégrée des deux objectifs de l’efficacité territoriale et de l’efficacité socio-économique. Ces deux objectifs renvoient respectivement aux politiques en matière d’aménagement du territoire et de finance publique.
Notre recherche est également partie de l’intuition selon laquelle, dans le champ des politiques foncières, il y a des processus de renforcements et de blocages mutuels entre efficacité territoriale et efficacité socio-économique. L’analyse conjointe des instruments utilisés en Norvège et en Belgique pour récupérer les plus-values foncières induites par l’aménagement urbain tend à confirmer cette intuition initiale. S’agissant de la Norvège, nous avons pu mettre en avant que les hautes ambitions territoriales associées au paradigme de la ville compacte qualitative tendent à renforcer les exigences vis-à-vis des contributions imposées aux promoteurs immobiliers. En d’autres termes, nous vérifions qu’accroître l’efficacité territoriale des politiques foncières permet d’en accroître l’efficacité socio-économique.
L’analyse du cas de la Belgique nous a conduit à vérifier deux autres hypothèses. Ce cas a notamment mis en avant qu’une application du principe de l’indemnisation des servitudes d’urbanisme sans limitation dans le temps est préjudiciable, tant sur le plan socio-économique que sur le plan territorial. Nous vérifions ici l’hypothèse selon laquelle une faible efficacité socio-économique des politiques foncières conduit à en réduire l’efficacité territoriale. Avec le cas de la Belgique, nous avons également vérifié l’hypothèse selon laquelle renforcer l’efficacité socio-économique des politiques foncières permet d’en accroître l’efficacité territoriale. En effet, la volonté des autorités locales belges de tirer le meilleur parti financier des charges d’urbanisme les poussent à développer des réflexions territoriales plus fines et abouties afin de mieux négocier les investissements en infrastructures auprès des promoteurs.
Au-delà des deux contextes investigués, la prise en compte de la littérature sur la situation bien connue des Pays-Bas a conduit à mettre en avant le problème de la double casquette. Vis-à-vis de nos hypothèses de travail, nous infirmons ici l’hypothèse selon laquelle une forte efficacité socio-économique des politiques foncières permettrait mécaniquement d’en accroître l’efficacité territoriale. Cette observation, qui contraste avec notre intuition initiale relative aux processus de renforcements entre efficacité socio-économique et efficacité territoriale, illustre la nécessité d’approfondir les investigations sur les interactions complexes entre les composantes territoriales et socio-économiques des politiques foncières.
[i] Nous définissons les systèmes de l’aménagement comme les institutions utilisées pour promouvoir les formes urbaines et spatiales préférées, pour allouer des droits de développement et pour arbitrer l’utilisation des propriétés foncières et immobilières. Le concept de système de l’aménagement (planning system) est communément utilisé dans la littérature anglo-saxonne.
[ii] Cette politique a fait l’objet de nombreuses publications et elle est donc bien connue. Elle a notamment fait l’objet d’une analyse récente par Pedro Mathilde dans ce même dossier.
[iii] Des exemples concrets sont développés chez A. Bergsland Finsnes (2019).
[iv] La Belgique est un État fédéral composés de régions et de communautés. Les régions sont en charge des compétences dans les domaines de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. La Belgique est composée de trois régions : la Région flamande (± 6,6 millions d’habitants sur 13 625 km2), la Région wallonne (± 3,6 millions d’habitants sur 16 901 km2) et la Région de Bruxelles-Capitale (± 1,2 million d’habitants sur 161 km2).
Références
(1)Alterman R. (2012) “Land-Use Regulations and Property Values: The ‘Windfalls Capture’ Idea Revisited”. In The Oxford Handbook of Urban Economics and Planning, Brooks N., Donaghy K. et Knap, G.J., Oxford University Press, Oxford, pp. 755-786.
(2)Bergsland Finsnes A. (2019) Land Value Capture’s Potential in Norway, Master’s Thesis, Civil and Environmental Engineering, Norwegian University of Science and Technology, NTNU, Trondheim, Norvège.
(3)Guigou J.-L. (1982) La rente foncière. Les théories et leurs évolutions depuis 1650, Economica, Paris.
(4)Halleux J.-M. (2012) “Vers la ville compacte qualitative ? Gestion de la périurbanisation et actions publiques”, BELGEO, 1-2, pp. 1-16.
(5)Halleux J.-M., Brück L. et Mairy N. (2002) “La périurbanisation résidentielle en Belgique à la lumière des contextes suisses et danois : enracinement, dynamiques centrifuges et régulations collectives”, BELGEO, 3-4, pp. 333-354
(6)Halleux J.-M., Hendricks A., Maliene V., Nordahl, B. (2022b) Public Value Capture of Increasing Property Values across Europe, vdf Hochschulverlag, Zurich.
(7)Halleux J.-M., Nordahl B.I., Havel M.B. (2022a) “Spatial Efficiency and Socioeconomic Efficiency in Urban Land Policy and Value Capturing: Two Sides of the Same Coin?”, Sustainability, 14, 13987
(8)Knoll K., Schularick M. et Steger T. (2017) “No price like home: global house prices, 1870-2012.” American Economic Review, 107(2), pp. 331-353.
(9)Lacoere P., Hengstermann A., Jehling M. et Hartmann T. (2023), “Compensating downzoning. A comparative analysis of European compensation schemes in the light of net land neutrality”, Planning Theory & Practice, DOI: 10.1080/14649357.2023.2190152.
(10)Mill, J.S. (1965) Principles of political economy., Collected Works – Volume 3, Routledge & Kegan Paul, Londres.
(11)Næss P., Næss T. et Strand A. (2011) “Oslo’s farewell to urban sprawl.” European Planning Studies, 19(1), pp. 113-139.
(12)OECD/Lincoln Institute of Land Policy, PKU-Lincoln Institute Center (2022) Global Compendium of Land Value Capture Policies, OECD Regional Development Studies, OECD Publishing, Paris.
(13)Piketty T. (2013) Le capital au XXIe siècle, Le Seuil, Paris.
(14)Saujot M. (2016) “La ville Monopoly, une lecture de Piketty.” La Revue Foncière, 9, pp. 30-35.
(15)Tennekes J. (2018) “Negociated land use plans in the Netherlands: A central instruments in Dutch ‘active’ and ‘passive’ land policy”. In Instruments of Land Policy: Dealing with Scarcity of Land, Gerber J.-D., Hartmann T. et Hengstermann A., Routledge, Abingdon, pp 101-113.
(16)Trannoy A. et Wasmer E. (2022) Le grand retour de la terre dans les patrimoines. Et pourquoi c’est une bonne nouvelle ! Odile Jacob, Paris.
(17)Vejchodská E., Barreira A.P., Auziņš A., Jürgenson E., Fowles S., Maliene V. (2022) “Bridging land value capture with land rent narratives”, Land Use Policy, 114, 105956.
Jean-Marie Halleux (Université de Liège, LEPUR), Berit Irene Nordahl (Norwegian Institute for Urban and Regional Research, Oslo) et Małgorzata Barbara Havel (Warsaw University of Technology, Varsovie)