Avec quel droit de propriété ? La réponse d’Isabelle Rey-Lefebvre

par | 16 Nov 2024 | 2024: pour une nouvelle utopie foncière

« Crise du logement » ou projet politique ?

Et si les logements servaient à se loger, tous, dans de bonnes conditions de confort, pas à gagner de l’argent en spéculant sur leur valeur, au mépris des besoins des villes et de leurs habitants ? L’expression « crise du logement » ne désigne pas, pour nous, les soubresauts du marché immobilier ou de la construction mais le fait que se loger à un coût raisonnable, entre 20% et 25% du revenu, devient impossible pour la majeure partie de la population. Ce renchérissement est le résultat de la spéculation qui, en France et dans toute l’Europe, fait rage depuis 2000. Car dans tout achat d’un logement, même pour y résider, il y a la volonté de se constituer un capital et l’espoir, a fortiori chez un investisseur, de réaliser une plus-value en le revendant.
Depuis 2000, les prix des logements augmentent bien plus vite que le revenu des ménages. Ils ont, en moyenne, été multipliés par 2,3 entre 2001 et 2020, mais par 2,6 en Île-de-France et par 3 à Paris. L’envolée a notamment été favorisée par un crédit abondant et pas cher et qui aura duré plus de vingt ans jusqu’à la hausse brutale des taux, fin 2022, qui n’a fait que révéler la cherté, « l’inabordabilité » de l’immobilier. Pour les ménages modestes et moyens dont le revenu a stagné voire reculé depuis la crise financière de 2008, la perte de pouvoir d’achat immobilier est, bien sûr, encore plus forte. Pour acheter le même logement, un accédant s’endettait 15 ans, en 2000, mais 23 ans, en 2023, à apport personnel et taux d’effort identiques (J. Friggit, 2024).

Une propriété de plus en plus concentrée
La crise ne sévit pas pour tout le monde puisque les spéculateurs, fonds d’investissement et multipropriétaires, accumulent, eux, du patrimoine. En France, un million de ménages, soit 3,5% de l’ensemble des foyers, possèdent chacun, en direct ou via des sociétés civiles immobilières – qui, jusqu’à maintenant, échappaient aux statistiques -, au moins 5 logements (voir Insee).
Au centre des agglomérations, ces multipropriétaires exercent désormais une emprise sur le marché locatif privé, détenant, par exemple, dans le centre de Paris, 58% des logements loués (hors HLM), 57% à Lyon, 56% à Marseille ou 62% à Lille. De jeunes investisseurs se déclarent désormais partisans de « la liberté financière » – nouvelle appellation du « rentier » – et vantent, à longueur de vidéos postées sur les réseaux sociaux, leurs méthodes infaillibles (mais payantes pour celui qui veut les connaître…) pour devenir millionnaire en quelques années.
Les mêmes ménages aisés acquièrent aussi des résidences secondaires, dont le nombre atteint, aujourd’hui, 3,7 millions, soit 10% du parc, et croît de 1,1% par an, plus vite que les résidences principales. Paris, par exemple, compte déjà 9,6% de résidences secondaires et occasionnelles (en 2020, contre 5,7% en 1999), dont beaucoup proposées, légalement ou pas, en locations touristiques, soit 134 000 logements retirés à l’occupation de long terme (et même 262 000 si l’on y ajoute les logements inoccupés). « Paris perd chaque année 5000 à 7000 résidences principales et devient une ville de « pieds-à-terre » », selon Jacques Baudrier, adjoint à la maire de Paris, chargé du logement. La spéculation bat son plein et les surenchères de prix se justifient par le rendement surmultiplié des locations touristiques de type Airbnb, comparé à celui des locations traditionnelles.

Annecy, un terrain public confisqué par les locations touristiques : La tension immobilière est vive, à Annecy, dopée par la proximité de la Suisse et la forte présence de frontaliers aux salaires deux à trois fois plus élevés, mais aussi par un tourisme intense et envahissant, notamment dans la vieille ville. Pour répondre au besoin en logement de ses habitants permanents, la ville d’Annecy a, en 2015, cédé à Crédit Agricole Immobilier le site de l’ancien hôpital public, à deux pas de la Vieille Ville, afin d’y construire 480 logements en accession, 152 sociaux, un hôtel et une résidence pour séniors dans 17 bâtiments répartis sur 2,5 hectares. Le chantier, confié à un architecte de renom, Christian de Portzamparc, s’est achevé en 2018, mais les prix de vente, de 6 000 € à 14 000 € le m2, ont tant découragé les Annéciens que le promoteur a commercialisé les lots auprès d’investisseurs allochtones dont certains ont acheté plus de 15 studios d’un coup. « Sur les 105 appartements de ma copropriété, nous ne sommes que 10 propriétaires occupants dont 2 familles avec enfants, et j’estime le reste à un tiers de locations à l’année, un tiers de résidences secondaires et un tiers de locations touristiques », recense Hugues Tallon, président du conseil syndical. « On nous a vendu de l’habitation, en fait, c’est de la spéculation, avec toutes les nuisances d’une résidence hôtelière non gérée : prostitution, fêtes bruyantes, sacs poubelles abandonnés dans les placards techniques, allées et venues de personnel de ménage avec leurs chariots et sacs de linge entreposés dans les parties communes, le tout dans un anonymat complet, où personne ne se dit « bonjour »… Notre règlement de copropriété interdit bien l’activité commerciale mais pour décider d’une action en justice il faut une décision d’assemblée générale contre laquelle ces loueurs se sont évidemment ligués », déplore M Tallon.

Le démantèlement des politiques sociales
Un troisième facteur aggravant, jamais évoqué, de la crise du logement est le démantèlement des politiques sociales dans la plupart des pays d’Europe où a soufflé un vent libéral. Le mouvement a débuté dans les années 1980 quand Margaret Thatcher, alors premier ministre britannique, a instauré son « right to buy » (droit d’acheter) qui a obligé les bailleurs sociaux à vendre leurs logements aux locataires occupants qui en faisaient la demande. Deux millions de logements à prix cassé sont ainsi passés dans le privé, revendus quelques années plus tard avec de confortables plus-values, et le parc social anglais, de 31% de l’ensemble des logements, en 1999, est passé à 17%, en 2023 : voilà comment rendre spéculatif et hors de prix un logement social par essence antispéculatif donc abordable pour des générations de locataires. Conséquence : le gouvernement anglais se ruine désormais en aides au logement, y consacrant 1,4% de son PIB (contre 0,8% en France), un record dans l’OCDE.
Berlin, en Allemagne, a, elle aussi, dans les années 2000, à l’initiative du maire pourtant socialiste mais préoccupé par l’endettement de la ville, bradé près de 200 000 logements municipaux à des prix dérisoires : 18 000 €, en moyenne, par appartement, dont 12 000 € disparaissaient immédiatement dans le comblement de la dette. Cela a fait l’affaire de fonds d’investissement, l’américain Cerberus, les allemands Vonovia et Deutsche Wöhnen, le français Covivio, qui ont largement pratiqué les « rénovictions » : l’éviction des locataires en place pour réhabiliter les immeubles et les louer beaucoup plus cher. Entre 2007 et 2023, le prix d’achat du mètre carré berlinois a plus que triplé et les loyers plus que doublé.

Le cas emblématique des Pays-Bas
En juillet 2005, une commissaire européenne à la concurrence, la néerlandaise Neelie Kroes, enjoint à deux pays, le sien et la Suède, de réduire leur parc social qu’elle juge en concurrence déloyale vis-à-vis des bailleurs privés. A noter : à l’époque, l’Europe n’avait aucune compétence en matière de logement et Mme Kroes (depuis impliquée dans diverses affaires financières jugées incompatibles avec sa fonction) apparaît, dans cette manœuvre, comme agissant pour le parti libéral (VVD) au pouvoir aux Pays-Bas, dont elle était membre. Elle fixe donc comme objectif aux bailleurs sociaux néerlandais la vente de 50 000 logements sociaux par an pendant 10 ans, soit 500 000 au total, le quart du parc. Mais les villes et leurs bailleurs sociaux ont résisté et limité la casse à 200 000 logements vendus à des fonds d’investissements (Blackstone, Patrizia…). Heureusement, le pays peut encore compter sur un parc social représentant 34% de l’ensemble des logements. Mais le mal était fait, comme le raconte le géographe néerlandais Cody Hochstenbach, rencontré à Amsterdam, avec l’exemple d’un appartement comptant 4 chambres et loué 700 € par mois, vendu, en 2018, par le bailleur social Ymere 450 000 €, revendu, dès 2021, 700 000 € et proposé à la co-location 700 € par chambre, soit autant que pour l’ensemble de l’appartement trois ans auparavant : « Il y a cent ans, cet appartement était construit pour abriter une famille ouvrière. Aujourd’hui, il est présenté comme un investissement prometteur pour spéculateur fortuné », observe l’universitaire. Dans son livre « Waarom het hoog tijd is voor een nieuwe woonpolitiek » (« Pourquoi il est grand temps de mettre en place une politique du logement », 2022, non traduit), il résume cette situation d’une formule simple et éclairante : « La crise du logement est un projet politique ».
Dans le pays, la construction de logements sociaux a, au passage, été divisée par trois, de 40 400 bâtis en 2009, à 14 000, en 2018 ! Amsterdam résiste : depuis 2020, les locations touristiques sont régulées et les achats de logements par des investisseurs limités.
Après avoir longtemps favorisé la spéculation et l’abandon des politiques sociales, la Commission Européenne a heureusement, à partir de 2020, modifié son attitude sur le logement social. Elle encourage désormais les États à investir dans ce domaine et vient même, le 18 juillet 2024, de se doter d’un commissaire européen au logement, le danois Dan Jorgensen, et d’un « plan logement abordable ».

Produire du logement antispéculatif

Les métropoles à la manœuvre
Un nombre croissant d’États et, surtout, de collectivités locales se fixent, aujourd’hui, comme objectif de mettre à l’abri de la spéculation le plus grand nombre possible de terrains et de logements pour les proposer à des prix ou loyers abordables – c’est-à-dire n’absorbant pas plus de 20% à 25% du revenu – à toutes les générations d’occupants qui s’y succèderont, offrant une sécurité de résidence aussi longtemps que nécessaire, assurant une qualité de vie, dans des immeubles bien construits, conçus pour le confort et la convivialité, avec des espaces communs, intérieurs et extérieurs, et une mixité sociale très large, gage de cohésion sociale et d’attractivité des quartiers.
Trois modèles permettent de dépasser, de réinventer les statuts de ‘propriétaire’ et de ‘locataire’ en améliorant leur sort à tous deux : moins de liberté de disposer de son bien pour le propriétaire mais un prix enfin abordable pour lui et ses suivants ; la stabilité du locataire et son implication dans la gestion, voire la conception, de son habitat. Ces modèles reposent sur l’accès à des prêts à long terme, jusqu’à 100 ans, permettant d’étaler le coût de l’achat du terrain ou de l’immeuble entier et d’aboutir à des loyers modérés, et supposent de rendre les logements et/ou les terrains incessibles en les confiant à des organismes à but non lucratifs :

  • Le logement social, qui représente déjà, en France, 18% du nombre de résidences principales, doit devenir « logement abordable » pour une grande majorité des ménages, y compris les plus aisés, comme Vienne (Autriche) en fournit un exemple réussi (voir encadré) ;
  •  La coopérative d’habitants, souvent fruit du projet d’un collectif de coopérateurs qui deviennent locataires de l’immeuble que leur société a fait construire et détient. La Suisse et des villes comme Genève et Zurich en montrent de très nombreux exemple inspirants, innovants dans l’art de vivre, et durables (voir encadré). Barcelone, sous l’impulsion de sa maire jusqu’en 2023, Ada Colau, en a favorisé l’émergence. Amsterdam, ville où les coopératives étaient, dès le début du 20ème siècle, à l’origine du logement social, renoue avec cette tradition.
  • Le Community Land Trust, décliné, en France, par de nombreuses collectivités, sous la forme d’Organisme Foncier Solidaire, assorti d’un Bail Réel Solidaire : l’OFS-BRS, à but non lucratif, reste propriétaire du sol, ainsi sanctuarisé comme un bien commun, et les habitants, sélectionnés selon leurs revenus, sont propriétaires des seuls murs de leur appartement, à un prix en général de 30% à 50% inférieur au marché qui leur assure donc des économies immédiates. Ils pourront revendre au prix initial éventuellement majoré de l’inflation à de nouveaux occupants sélectionnés eux-aussi selon leurs revenus. L’avantage consenti au premier occupant perdure ainsi de propriétaire en propriétaire, sans spéculation. La plus-value que l’on réaliserait (ou pas) en revendant un logement ordinaire, l’acquéreur en perçoit une fraction tout de suite, dès le premier mois d’occupation sous forme d’économie substantielle de mensualité et ainsi, chaque mois, pendant toute la durée de résidence.
Coopérative Utop, première à Paris, inaugurée en 2024, Paris 20ème

Coopérative Utop, première à Paris, inaugurée en 2024, Paris 20ème © I. Rey-Lefebvre

Vienne, le succès de cent ans de politique volontariste : L’exemple de Vienne, qui mène depuis cent ans une politique de création de logements abordables pour tous, montre aux autres villes d’Europe qu’il ne s’agit nullement d’une utopie. Ainsi, 60% des viennois, riches et pauvres, habitent un logement à loyer contrôlé, entre 8 à 10 € le mètre carré mensuel, charges de chauffage incluses. La maire adjointe-ministre du logement et du renouvellement urbain (Vienne est une ville-état, avec une grande autonomie de gestion) Kathrin Gaàl, se félicite, en outre, que « à Vienne, on ne peut pas deviner les revenus des habitants à partir de leur adresse », ajoutant « contrairement à d’autres pays européens, nous n’avons jamais vendu un seul logement municipal », et j’ajoute ‘ni démoli’. Les très grands ensembles, que les français rejettent sans doute parce qu’ils sont devenus des ghettos, sont ici plébiscités. La barre Karl Marx Hof, datant de 1920, longue de plus d’un kilomètre et comptant 1268 appartements donnant sur de vastes cours plantées et dotée notamment de deux buanderies communes, est toujours aussi recherchée. Le grand ensemble des années 1970, Alt-Erlaa, avec ses 3180 appartements statutairement invendables, tous avec terrasse, de multiples clubs d’activité et lieux partagés, sept piscines dont cinq sur les toits, dans 18 tours hautes de 85 mètres, ne désemplit pas : plusieurs générations d’une même famille y sont locataires et l’attente est de 6 à 7 ans pour tout demandeur extérieur. La coop Alt-Erlaa AG appartient à 40% à ses coopérateurs-locataires et à 60% à la plus que centenaire coopérative Gesiba, aujourd’hui propriété de la ville. La politique viennoise du logement repose sur deux parcs étroitement imbriqués : – Les 220 000 logements municipaux accueillent 500 000 personnes, soit le quart de la population de Vienne. Le loyer y est de 8,5 € le mètre carré mensuel et 10% des locataires font partie des 25% des ménages les plus aisés. Les plafonds de revenu pour y accéder sont élevés, à 80 000 € par an pour un couple, ce qui rend éligible 75% des viennois (à titre de comparaison, le plafond de revenu, en Île-de-France, est de 50 600 € (chiffre 2024), permettant à 66% des franciliens d’être éligibles). – Les 200 000 logements détenus par une cinquantaine de coopératives, dont certaines étroitement liées à la ville, qui bénéficient de terrains proposés par la foncière de la ville et de prêts sur 35 ans à taux préférentiel de 1%. La municipalité a donc, directement ou indirectement, la haute main sur ces deux parcs. Les locataires ne versent pas de caution, peuvent rester dans le logement même s’ils le sous occupent ou si leurs revenus dépassent les plafonds, leur bail est à durée indéterminée et transmissible une fois aux héritiers vivant dans le logement : ce statut assure une sécurité absolue aux locataires et une grande pérennité à la vie de l’immeuble et du quartier. La ville consacre entre 440 et 500 millions d’euros par an à sa politique du logement, dont la moitié provient d’une taxe sur les salaires (1%) et l’autre moitié des remboursements des prêts consentis par la ville aux coopératives. A noter : tous ces logements sont réservés à la résidence principale et interdisent, bien sûr, la sous-location, a fortiori touristique. Vienne, ville attirante pour les autrichiens et les étrangers – sa population augmente de 16 000 habitants par an -, n’en est pas moins confrontée à la pression foncière : des fonds d’investissement nationaux et internationaux ont, après 2008 et jusqu’en 2022, acheté des terrains et des immeubles à surélever, ce qui a provoqué un triplement du prix du foncier, passé de 516 euros le mètre carré, en 2010, à 1773 euros en 2023 (chiffres Arbeiterkammer).
Vienne, nouveau quartier Kuku23, architecte Dietrich Untertrifaller

Vienne, nouveau quartier Kuku23, architecte Dietrich Untertrifaller, © I. Rey-LefebvreVienne : coopérative Alt-Erlaa, vue d’ensemble des 18 tours , architecte Harry GlückVienne : coopérative Alt-Erlaa, vue d’ensemble des 18 tours , architecte Harry Glück ( © I. Rey-Lefebvre)

Vienne : Coopérative Alt-Erlaa, détail de façade avec balcons

Vienne : Coopérative Alt-Erlaa, détail de façade avec balcons © I. Rey-Lefebvre

La Suisse, pionnière des coopératives d’habitants
5% des logements de Genève sont coopératifs et plus de 20% de ceux de Zurich. La Suisse ne disposant pas d’un parc de logement social a choisi de développer les coopératives d’habitants dans un environnement propice : une foncière cantonale, qui achète et fournit les terrains ; des banques sociales qui prêtent à très long terme, jusqu’à cent ans ; des sociétés faîtières qui fournissent les premiers fonds et les garanties nécessaires. Genève compte 70 coopératives et envisage de soumettre à votation le doublement du parc d’habitat coopératif, de 5% à 10%, d’ici 2030.
Le modèle de la coopérative d’habitants repose sur la propriété collective : le terrain appartient à la coopérative ou, comme c’est le cas en Suisse, reste propriété du canton qui concède à la coopérative un « droit de superficie » par bail de longue durée ; l’immeuble appartient, lui, à la coopérative et ses habitants sont à la fois locataires et actionnaires-coopérateurs.
Lorsqu’ils ont la chance d’être là lors de la création de l’immeuble, les coopérateurs font preuve d’une grande créativité au service d’un art de vivre convivial et de plus en plus écologique, faisant la part belle aux espaces partagés : salles de réunions et de fêtes, chambres d’hôtes, jardin potager, toit-terrasse, buanderies, atelier de bricolage, généreux paliers aménagés pour se rencontrer et ranger des équipements et objets à partager (aspirateur, table à repasser, livres…). La liste est sans fin.
Les statuts d’une coopérative sont assez libres et peuvent contenir des prescriptions liées aux objectifs du collectif : ainsi, la coopérative genevoise Équilibre, d’inspiration très écologiste, interdit l’usage d’une automobile personnelle et dispose d’un système autonome de traitement des eaux, sans raccordement au tout à l’égout.
La coopérative est à but non lucratif et loue les logements à prix coutant en y intégrant des provisions pour la rénovation à terme de l’immeuble.

La Codha, dynamique coopérative d’habitants genevoise née d’un mouvement de squatteurs : Dans les années 1980, à Genève, un groupe de squatteurs investit des immeubles laissés à l’abandon par un promoteur en faillite. En 1995, après huit années d’occupation illégale, la banque Crédit Suisse, devenue propriétaire des lieux, accepte de leur céder l’immeuble qui sera le premier de la coopérative Codha, créée en 1994. Aujourd’hui, la Codha, qui vient de fêter ses 30 ans, réunit 7000 coopérateurs, détient 18 immeubles et loge 759 foyers à des loyers inférieurs de 20% à 40% à ceux du marché privé. Sa démarche est très participative et ses réalisations remportent de nombreux prix, notamment sur des critères écologiques. Elle a des projets plein ses cartons et s’est même expatriée en France, pour un projet près de Saint-Julien-en-Genevois, de l’autre côté de la frontière, une démarche qui a mis en relief les obstacles à de tels projets, en France.
Genève : Coursive dans l’immeuble Jonction de la Coopérative Codha (source Codha)

Genève : Coursive dans l’immeuble Jonction de la Coopérative Codha (source : Codha)

Les expérimentations, en France
En France, il existait une dynamique coopérative dans les années d’après-guerre, stoppée net, en 1971, par Albin Chalandon, alors ministre de la construction qui a non seulement interdit de créer de nouvelles coopératives mais aussi enjoint aux existantes de se transformer en copropriété ou en logement social. Les coopératives d’habitants n’ont été remises en vigueur qu’en 2014, par la loi Alur de Cécile Duflot, mais se heurtent à l’absence d’éco-système coopératif en France, notamment d’une ‘culture coopérative’ des élus et des banquiers. Utop, à Paris 20ème arrondissement, est l’une des premières coopératives d’habitants dites « loi Alur » et une vraie réussite humaine et architecturale : inaugurée en 2024, elle aura mis plus de dix ans à élever ses 17 appartements (loués 15 € le mètre carré mensuel, pour les plus chers des loyers) sur l’un des trois terrains proposés par la Ville de Paris, après un montage financier complexe en étroite collaboration avec la Coopimmo Île-de-France et de longs et coûteux travaux de consolidation d’un terrain ingrat, notamment miné par d’anciennes carrières.

De nombreux élus font plutôt le choix de développer une offre en OFS-BRS, qui autorise une forme de propriété, du bâti seul, qui peut être revendu et constituer donc un capital. Cette revente au prix initial légèrement majoré permet à la collectivité de sanctuariser son effort initial pour créer des logements éternellement abordables. Fin 2023, dans la France entière, 1865 logements en OFS-BRS sont livrés et 15 000 en projet, majoritairement situés dans les zones les plus tendues, là où le différentiel avec les prix du secteur privé est le plus creusé. Rennes s’est fixé un programme de création de 1700 logements en OFS, par an. Paris et sa foncière dédiée propose près de 1000 logements par an, au prix de 4900 à 5100 € le mètre carré, soit moitié moins cher que le prix de marché, dans 22 programmes répartis dans sept arrondissements de la capitale. La Métropole de Lyon, elle aussi, très dynamique pour retrouver la maîtrise de son foncier, se donne pour objectif 1000 logements par an en OFS-BRS. Cette formule est très administrée, laissant peu de place à l’initiative des habitants en tant que collectif, jusqu’ici peu associés à la conception des immeubles, parfois enserrés dans un mille-feuille de gestion copropriété-OFS et laissant entière la question du financement de l’entretien et de la réhabilitation de l’immeuble, à terme. La dynamique des OFS à la française est bien là et leur stock va croître rapidement sans impact réel sur le marché privé.


Tous ces exemples et d’autres, visités à Barcelone, Amsterdam, Berlin, Bruxelles, Lyon, sont développés dans l’ouvrage « Halte à la spéculation sur nos logements – Les solutions pour revenir habiter les villes », Editions Rue de l’Echiquier.

Isabelle Rey-Lefebvre est Journaliste, autrice, fondatrice de l’Association des responsables de la copropriété.

 

 

 

 

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