Tous rentiers ! Pour une autre répartition des richesses [Philippe Askenazy]

éd. Odile Jacob, février 2016, 221p

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Cet essai relativement bref vient confirmer le retour de la rente, et notamment de la rente foncière, au cœur des réflexions des économistes, et plus particulièrement des économistes de gauche. Comme Thomas Piketty, Philippe Askenazy considère que les rentes de diverses natures sont devenues une source majeure d’inégalités. L’auteur se place toutefois dans une position politique bien différente de celle de Piketty. Il critique en particulier l’accent mis par ce dernier sur la redistribution, soulignant que vivre d’aides et d’allocations est une position sociale dévalorisée et dévalorisante, non seulement au regard des autres, mais aussi pour soi-même. Pour Philippe Askenazy, il convient avant tout de s’attaquer aux sources des inégalités, et de promouvoir une distribution plus juste des revenus primaires, ce qui le conduit à une contestation beaucoup plus radicale du système capitaliste que Thomas Piketty (qui propose principalement une taxe harmonisée à l’échelle mondiale sur les patrimoines). Une partie importante du livre est ainsi consacrée à démontrer que les salariés considérés comme peu productifs ont en réalité vu leur productivité fortement augmenter dans les années récentes et devraient à ce titre être nettement mieux rémunérés et récupérer une plus large part des profits des entreprises.

Dans ce cadre, et c’est un point qui intéressera plus particulièrement les lecteurs de La revue foncière, Philippe Askenazy considère que l’enjeu politique clé est la mise en cause de ce qu’il appelle le « propriétarisme », c’est-à-dire le poids devenu trop important des droits de propriété. Le propriétarisme dont il est question concerne non seulement la propriété immobilière et foncière, mais aussi la propriété intellectuelle, tant en matière de brevet que dans le domaine du numérique.

Les habitués de la revue n’apprendront pas grand-chose sur la rente foncière et ils sursauteront même sur plusieurs points (propriété foncière et propriété immobilière ne sont ainsi pas clairement distinguées). Il faut cependant se réjouir de voir des économistes non spécialistes du sujet (Philippe Askenazy est connu avant tout pour ses travaux sur l’emploi, le travail et la croissance) placer la rente au cœur de leurs préoccupations, et la considérer comme un élément clé des inégalités et des enjeux économiques et politiques contemporains. À ce titre, la lecture de ce livre est particulièrement recommandable, pour ceux qui s’intéressent au renouvellement des projets politiques et économiques de la gauche. On lira notamment un plaidoyer pour le logement social qui tranche avec les discours convenus sur la mixité sociale, puisqu’il s’agit ici avant tout de capter la rente foncière, et ceci tant pour limiter les inégalités que dans un souci d’efficacité économique (il est regrettable sur ce point que l’auteur ne traite pas du cas fort instructif de Singapour)