Les gouvernements successifs ont tous, de manière plus ou moins forte, favorisé l’accession à la propriété. Certains ont même pu afficher un objectif de 70 % de propriétaires. Quelles qu’en soient les raisons, on constate, sondage après sondage, qu’une majorité de ménages souhaite être propriétaire. Alors même que les prix immobiliers, après une phase de hausse inédite, par son ampleur et son caractère ubiquiste, entre 1997 et 2008, ont connu depuis 2015 une nouvelle phase de forte hausse.
La hausse du prix des logements favorisée par un contexte de taux d’intérêt faibles, n’en a pas moins impliqué un effort supplémentaire de la part des ménages, en particulier les plus modestes, pour accéder à la propriété.
L’augmentation des taux d’intérêt, débutée en 2022, et ses effets désolvabilisateurs, renforce, dans ce cadre, la pertinence d’une réinterrogation des dispositifs d’accession à la propriété. A l’image de la dissociation foncière remise au goût du jour par le mécanisme OFS/BRS (office foncier solidaire et Bail réel solidaire), quels modèles économiques dissociants peuvent être envisagés ? Quelles innovations financières pour articuler le couple investisseur/occupant ? Et plus globalement, quelles conditions économiques et financières de montages favorisant des statuts d’occupation hybrides, proches de l’accession à la propriété ?
L’objet des deux ateliers animés par Fonciers en Débat n’est pas de faire un tour exhaustif de la question, mais d’illustrer concrètement ce sujet que nous pensons trop souvent évoqué de manière superficielle, à travers la présentation détaillée (et notamment chiffrés) d’exemples réels.
Compte – Rendu de l’Atelier n°1 du 18 janvier 2023 – 14h-17h
Intervenants :
- Arnaud Bouteille, Fonciers en Débat : Introduction
- Xavier Lépine, IEIF : Présentation 1
- Clément Théry, Ogic : Présentation 2
Des innovations dans un contexte de hausse des taux
Arnaud Bouteille (FED)
En guise d’introduction Arnaud Bouteille a proposé quelques points de repère au regard des objectifs de l’atelier.
Tout d’abord, concernant l’appréciation de la solvabilité des acquéreurs. La pratique bien instaurée chez les acteurs financiers de l’immobilier (banquiers, tutelle des banques, opérateurs) est d’apprécier la solvabilité par le ratio rapportant l’annuité de remboursement aux revenus nets de l’acquéreur.
Un standard professionnel bien installé fixe ce seuil pour la première annuité au niveau de 0,33 complété par une appréciation du risque que ce ratio se dégrade par la suite (stabilité de l’emploi de l’acquéreur, historique bancaire, âge).
Ce ratio, centré sur l’annuité de démarrage, est aveugle sur ce que sera le “poids réel” de l’opération d’accession pour l’acquéreur, si on mesure ce poids en parts de son revenu qu’il devra, au fil des années tout au long de son emprunt, rembourser effectivement. Ce poids réel dépendra du prix d’achat et des conditions de financement, et aussi de l’inflation effective pendant la durée de remboursement, qui n’est connue qu’a posteriori[1].
Pour agir sur le ratio a/R la dissociation fournit un cadre juridique permettant la présence dans le montage d’un acteur supplémentaire dont les contraintes et les attentes sont différentes de celles d’un prêteur classique et assurant une partie du financement total.
Dans les cas où cet acteur supplémentaire est lui-même prêteur (il y a d’autres cas qui seront examinés dans l’atelier), la dissociation permet un mécanisme de « double prêt » : un prêt classique d’accession à la propriété pour une part, un prêt d’une durée beaucoup plus longue pour la seconde part, apporté par un prêteur de caractéristiques différentes. C’est par exemple le cas aujourd’hui du BRS où, au travers des OFS la deuxième part est assurée par les prêts GAÏA de la Caisse des Dépôts et Consignation, d’une durée de 60 ans ou de 80 ans.
Les limites de ce mécanisme apparaissent nettement :
- L’effet solvabilisateur existe mais il est réduit au regard des objectifs poursuivis. Ainsi dans le cas du BRS, dans les conditions favorables de taux du premier semestre 2022, l’incidence du mécanisme de financement est un abaissement de l’annuité de l’ordre de 13%. C’est significatif mais insuffisant par rapport aux objectifs poursuivis et c’est ce qui implique que le BRS soit nécessairement accompagné d’un taux de TVA réduit qui double l’effet solvabilisateur. Mais dès lors que ce taux réduit est une forme de subvention publique il est normalement réservé à une clientèle à revenus plafonnés.
- De plus, la baisse des taux et l’allongement de leur durée sont deux phénomènes qui sont intrinsèquement liés. Ça n’est que lorsque les taux sont faibles, qu’il est intéressant de lisser longuement dans le temps les remboursements. Quand les taux sont élevés, un allongement supplémentaire de la durée de remboursement n’a rapidement plus, ou pratiquement plus, d’intérêt.
- Du coup, les mécanismes de double prêt voient leurs effet solvabilisateur se dégrader très vite si les taux viennent à augmenter. Il est significatif que ces mécanismes n’aient pris une certaine place qu’au cours de la période récente marquée par le très faible niveau des taux d’intérêt.
Ces observations invitent dans la suite des travaux, à comparer les différentes formules qui seront examinées au cours de l’atelier, qu’elles relèvent du double prêt ou d’autres configurations, en appréciant dans chaque cas les critères suivants :
– Comment et de combien elles améliorent la solvabilité des acquéreurs, exprimée par le ratio ?
– Comment elles sont modifiées par (ou quelle est leur résilience à) une hausse des taux d’intérêt ?
Un exemple de montage nue-propriété / usufruit
Xavier Lépine (IEIF)
Ce premier montage a été testé avec succès sur plus de 140 ménages dans les Hauts de France. Il s’adresse à un grand nombre d’acquéreurs potentiels, primo-accédants, familles recomposées avec enfants, famille monoparentale dont les ressources financières ont été divisées par 2, senior qui souhaite transmettre par anticipation une fraction de son patrimoine à ses enfants en monétisant partiellement son logement.
Il repose sur un mécanisme de démembrement où l’investisseur devient nu propriétaire alors qu’un usufruit de 50 ans est cédé à un preneur particulier qui en a donc l’usage.
Plusieurs enjeux/objectifs ont animé la conception de ce produit :
- à droit constant et sans subvention publique ;
- être adapté à l’immobilier ancien, comme au neuf ;
- être industrialisable (scalabilité) ;
- s’assurer que la relation investisseur/occupant soit équilibrée : chacun doit y trouver son intérêt.
L’objectif principal est que les mensualités de crédit qu’il paye soient comparables au loyer qu’il payerait s’il restait locataire. Cet objectif implique une décote du prix de 30 % environ : par exemple, il paie 70 000 € pour l’usufruit d’un bien qui en vaut 100 000 € (valeurs bien sûr virtuelles, utilisées pour la démonstration).
Le remboursement du crédit immobilier sur 20 ans est alors comparable à un loyer alors que l’acquéreur du logement en a la jouissance pendant 50 ans. Dans les faits, la durée moyenne de détention d’un ménage dans un logement dont il est propriétaire dans les zones tendues étant de 7 à 10 ans, l’usufruit est revendu à l’investisseur initial.
La revente à l’investisseur s’effectue sur la base du prix initial (70 000 €) moins 2% par année d’occupation (l’usufruit s’éteignant au terme de 50 ans : 50 x 2% = 100 % de décote).
De son côté, l’usufruitier récupère son investissement initial moins les 2% par année d’occupation, donc par exemple 20% de baisse de valeur au terme de 10 ans, i.e. un rachat à 80% de la valeur qu’il a acheté initialement (soit 80 % de 70 000 €, donc 56 000 €) et il rembourse parallèlement sa banque par anticipation.
Au terme de 10 ans, il a par définition remboursé environ 40% de son crédit (crédit sur 25 ans) et son remboursement par anticipation est égal à 60% du montant initial de son emprunt (42 000 € s’il a emprunté l’intégralité de la somme). Il engrange donc la différence entre le prix de rachat à 80% par l’investisseur (56 000 €) et le remboursement anticipé de 60% du principal restant dû (42 000 €), soit 14 000 € pour cet exemple virtuel.
Il récupère ainsi, s’il reste 10 ans, environ 30% de la totalité des échéances de crédit qu’il aura payé (14 000 / 42 000 = 33 %). Au total, au lieu de payer un loyer à fonds perdu il se créé automatiquement une épargne significative qui lui permet ultérieurement d’acheter classiquement en pleine propriété.
De son côté, l’investisseur nu propriétaire, qui a donc investi 30% (30 000 €) n’a ni de revenu locatif ni de coût et il réalise son profit lors du rachat de l’usufruit décoté des 2% annuels, majoré de l’évolution potentiellement positive des prix de l’immobilier. A titre d’illustration, il investit donc 30% en 2023, rachète les 70% de l’usufruitier pour 80% de leur valeur initiale au bout de 10 ans – soit 56%- plus tard en 2033 et même si les prix de l’immobilier n’augmentent pas pendant 10 ans, il revend le bien à 100% et réalise un profit de 14% alors que son investissement n’a été que de 30%. De même si l’immobilier augmente de 2% par an, au terme de 10 ans le bien vaut alors 122.000 € et son profit est alors de 36.000 € en 10 ans alors qu’il n’a investi que 30.000 € (mais il n’a reçu aucun loyer pendant 10 ans, ni payé de charges).
A noter que plus les taux augmentent, plus l’avantage comparatif de cette solution est important pour l’usufruitier (à prix de vente constant), d’où son intérêt dans un univers de hausse des taux. C’est l’inverse pour les loyers qui subissent l’inflation.
Enfin, l’investisseur ne prend un risque que sur 30 % de la valeur initialement et son risque-rendement est ainsi très supérieur à celui d’un rendement locatif classique.
Un exemple de montage en indivision
Clément Théry (Ogic)
Il s’agit ici d’un produit en indivision, monté avec un partenaire institutionnel qui joue le rôle de bailleur pour la partie locative. Le ménage achète une part et loue l’autre.
L’indivision (ménage + institutionnel) achète en VEFA le logement au promoteur, avec une répartition variable : 30/70, 40/60, etc. en fonction de l’effort financier possible pour le ménage. Cet effort, remboursement + loyer, doit se situer autour de 28 à 30 % du revenu du ménage. Pour la part locative, le loyer se situe à un niveau de loyer intermédiaire (15 % sous le prix de marché environ).
Le montage est prévu pour une durée de 15 ans. L’idée est que le ménage, à cet horizon, bénéficie, en moyenne, d’une augmentation de revenus de + 25 % (chiffres INSEE). Cette évolution des revenus doit lui permettre sans peine de racheter la part (30 %) appartenant au bailleur. A l’issue des quinze ans : soit un des deux coindivisaires rachète, soit les deux revendent.
L’idée est aussi de permettre un gain en surface : la pièce en + que les ménages ont du mal à acheter.
Ce montage permet de desservir 1 à 2 déciles de plus qu’un montage traditionnel (passage du 8 au 6 par exemple).
En conclusion
Ces montages sont matures et devraient pouvoir se traduire concrètement dans les mois qui viennent. Un enjeu central est, au-delà des ménages dont il faut s’assurer que ces statuts d’occupation hybrides les intéresse, de convaincre l’ensemble des acteurs de la filière de production de logements de l’intérêt et de la solidité de ces montages : aménageurs, collectivités et banques notamment.
Prochains sujets envisagés :
- Les prêts à annuités indexées
- Le recours à l’emphytéose en secteurs aménagés
- Quel impact de la remontée des taux pour les OFS ?
- Quels angles morts juridiques pour le montage de ces opérations ?
Liste des participants :
Arnaud Bouteille, Fonciers en Débat
Quentin Lamour, Directeur Régional IdF-Normandie, Adéquation
Jean-Claude Driant, Professeur, UPEC (excusé)
Yann Gérard, Fonciers en Débat
Guillaume Ghaye, Avocat (excusé)
Sonia Guelton, Présidente de Fonciers en Débat
Pierre Lebrun, Chercheur, UMR Espaces (excusé)
Xavier Lépine, Président de l’IEIF
Clément Thery, Directeur de l’Innovation, OGIC
Philippe Vansteenkiste, Directeur Général, EPF et OFS de Haute-Savoie
Marion Vion-Dury, Associate Director Research – Département Etudes & Prospective, CBRE
[1] Une étude antérieure publiée sur politiquedulogement.com évalue la variation de ce ratio, en moyenne en France, de + de 3,5 années de revenus pour les acquéreurs des années 1998 –2002 à + de 5 années pour les acquéreurs des années 2009-2012.