L’impact des politiques sur la valeur dans les six marchés fonciers

Chaque terrain appartient à un propriétaire, mais il appartient aussi à un territoire. Or, comme le dit l’article introductif du code de l’urbanisme : « Le territoire est le patrimoine commun de toute la nation. » En pratique, il est soumis à un pouvoir politique qui décide des droits reconnus aux propriétaires et qui peut les modifier. Or, l’impact de la modification de ces droits sur la formation de la valeur dépend du type d’usage que les acquéreurs potentiels ont du terrain.

1745

Ricardo, le politique et la valeur

L’idée de mettre en relation les valeurs foncières et les politiques publiques n’est pas neuve. Elle a juste deux siècles. C’est en 1815, que le père de la théorie de la rente foncière, David Ricardo, écrivait en effet son Essai sur l’influence des bas prix du blé sur les profits du capital 1 dont les thèses allaient être développées dans les trois éditions successives (1817, 1819, 1821) de ses Principes de l’économie politique et de l’impôt. Il n’avait guère le profil d’un théoricien : il était agent de change et autodidacte. C’est son père, issu d’une famille séfarade portugaise réfugiée en Hollande puis en Angleterre, qui l’avait initié très jeune aux activités boursières. Âgé de 42 ans, il venait de se retirer des affaires, fortune faite, avec l’ambition d’engager une carrière politique (il entrera au parlement quatre ans plus tard). Le propos de son essai était de prendre position sur une question d’actualité : la lutte qui opposait l’Angleterre verte des vieilles familles de « land lords », à l’Angleterre noire des nouveaux entrepreneurs.

Il prenait résolument le parti des seconds contre les premiers et s’engageait dans la lutte contre les « Corn Laws », ces lois douanières sur les importations de blé, que le parlement britannique était en train de durcir considérablement puisqu’il prévoyait l’interdiction pure et simple de toute importation de céréales dès que leurs prix tomberaient en dessous d’un certain seuil. L’écroulement de l’empire napoléonien, avait sonné, en effet, la fin du blocus continental, la reprise des relations commerciales… et la dégringolade des cours du blé. Cela risquait d’être la fin des années fastes pour l’aristocratie britannique qui vivait du produit de ses vastes domaines après que le blocus ait conduit à mettre en culture des terres marginales peu productives, avec des coûts de mise en valeur élevés, se traduisant par une rente accrue au bénéfice des terres les plus productives. Pour l’observateur des marchés qu’était Ricardo, les principes de la rente foncière différentielle se lisaient dans le paysage économique.

À l’opposé des grands propriétaires inquiets de la baisse des prix agricoles provoquée par la paix, il se faisait l’avocat de « l’Angleterre noire » des industriels et de l’import-export, il fallait ouvrir les frontières car la baisse du prix de l’alimentation allait aussi permettre d’abaisser les salaires (coût d’entretien de la force de travail) et d’accroître d’autant la compétitivité de l’industrie alors en plein développement. Au passage, il avait démontré que la valeur des terres agricoles dépendait des tarifs douaniers.

 

Pluralité des marchés fonciers

Longtemps, il ne fut question, chez les économistes, que d’un seul marché foncier où s’échangeaient des terres de différentes valeurs en relation avec leur productivité naturelle. Il était possible de distinguer des sous-marchés (celui des vignes, celui des forêts, etc.) mais tous obéissaient aux mêmes principes de formation de la valeur, celui de la rente différentielle, quitte à complexifier quelque peu le modèle en introduisant par exemple le paramètre de la distance entre les terres de production et les marchés d’écoulement des produits puis celui de la variation des coûts des transports pour chaque catégorie de production (modèle de Johan Van Thünen).

Encore dans les années 1960 et 1970, les auteurs néo-marxistes (et néo-ricardiens) s’évertuaient à calquer la théorie de la « rente foncière urbaine » sur celle de la « rente foncière agricole ». À côté des « terres à blés » et des « terres à vignes », on distinguait des « terres à maisons », là où il était plus rentable de Joseph Comby Économiste w Valeurs foncières & politiques publiques 34 La revue foncière construire que de cultiver. Tout comme la distance aux marchés pouvait expliquer des valeurs différentes pour des terres d’égale fertilité, la distance au centre expliquait le gradient des valeurs de terres à maisons pour un même niveau de constructibilité. Toutes étaient régies par des lois économiques similaires, même si c’était dans des gammes de valeurs différentes. La théorie de la rente foncière était censée tout expliquer.

Cela ne collait pourtant pas avec l’observation des faits. De manière toute pragmatique, à partir des premiers travaux d’observation foncière, rendus plus commodes grâce au développement de l’informatique, il apparaissait à l’évidence que l’hétérogénéité des valeurs foncières voisines ne cadrait pas avec les théorisations de la rente foncière qui auraient dû faire découvrir des continuités et des transitions.

Un peu d’attention montrait, par exemple, que dans un même secteur géographique périurbain voué à une urbanisation future, dans un secteur de « terres à maisons » dont on cherchait la valeur foncière moyenne, on était en train de collecter des mutations de nature différentes avec des écarts de valeur considérables. À côté de mutations qui correspondaient à la vente de lots de terrains à bâtir par un aménageur, d’autres mutations correspondaient à l’acquisition de terres agricoles ou d’anciens jardins, par un autre lotisseur en train de préparer une autre opération.

Tandis que d’un côté du chemin, une opération était arrivée à sa phase de commercialisation, de l’autre côté, on en était encore à acquérir les terrains bruts d’une autre opération. Les distances au centre étaient les mêmes. Les achats de foncier matière première étaient mélangés avec les achats de foncier produit fini. C’était un peu comme si on avait cumulé des ventes d’arbres et des ventes de chaises pour calculer le prix moyen du bois. D’un point de vue arithmétique, il était toujours possible de déterminer les prix moyens du secteur. On obtenait un résultat. Mais, à l’évidence 2, ce résultat n’avait aucun sens.

 

Les terrains et le territoire

La propriété, c’est le droit de posséder une chose et d’en céder la possession à qui l’on veut. Mais le foncier, c’est quoi ? Un terrain n’est pas un objet. À preuve : en montagne, en cas de glissement de terrain, la propriété ne change pas de place.

Ce que l’on croit être la valeur d’un terrain est la valeur de droits sur un espace. Or la nature des droits que les propriétaires exercent dépend de la définition qu’en donne le pouvoir politique qui exerce son autorité sur le territoire où se trouve le terrain, qu’il s’agisse de la coutume, de la loi ou de la simple réglementation, qu’elle émane d’un pouvoir central ou d’un pouvoir local. La formation de la valeur foncière est donc impactée par toute décision politique conduisant à modifier la définition des prérogatives du propriétaire sur l’espace, par le plus obscur des règlements. Ces prérogatives sont aussi changeantes, selon l’époque et selon le lieu, que le sont les politiques. Par exemple, dans les pays européens, le propriétaire du sol n’est pas propriétaire des richesses du sous-sol. Au Canada ou aux États-Unis, c’est au contraire le propriétaire du sol qui possède le sous-sol. On comprend tout de suite la différence de l’impact en cas de découverte de gaz de schiste exploitable.

En outre, le propriétaire n’est souvent pas le seul détenteur de droits privés sur « son » terrain. Il existe un droit des occupants, un droit des voisins, un droit des promeneurs, et la loi, expression du Politique, peut toujours déplacer la ligne de partage entre ces droits.

 

Pourquoi six marchés ?

Pour comprendre quelque chose, il était nécessaire de distinguer, dans ce même secteur géographique périurbain, deux marchés fonciers entremêlés, celui des terrains bruts, matière première de l’aménagement et celui des terrains aménagés prêts à construire. Les aménageurslotisseurs étaient acheteurs sur un marché et vendeurs sur l’autre.

Pour la même raison, il allait être nécessaire de distinguer, dans le tissu urbain existant, cette fois-ci, d’une part le marché des terrains encombrés destinés à être démolis, parfois dépollués, souvent réaménagés avec une nouvelle viabilisation, dans le cadre d’opérations de rénovation urbaine, et d’autre part le marché des nouveaux droits à bâtir qui avaient été produits à l’issu de cette opération. Avec cette difficulté supplémentaire pour l’observateur : dans ce nouveau couple de marchés, la matière première apparaissait le plus souvent, physiquement, comme de l’immobilier bâti 3, tandis que le produit fini était un droit à bâtir ou même un terrain nu.

En dehors des espaces urbains (ou sous influence foncière urbaine), dans le rural profond, la situation n’apparaissait pas non plus aussi limpide que semblaient l’indiquer les statistiques foncières agricoles, pourvu qu’on prête attention, là encore, aux anomalies. Ainsi, une étude menée dans le Var indiquait, sans commentaire, que les terres agricoles classées en « friche ou garrigue » se négociaient à des prix deux fois supérieurs à ceux des terres en culture. Ils étaient parfois même plus élevés que ceux du vignoble. Comment la rente foncière produite par une terre inculte (par ailleurs inconstructible) pouvait-elle être supérieure à celle produite par une terre cultivable ? Cela ne pouvait se comprendre que si, à côté de la valorisation agricole des espaces non urbains, existait une autre logique de valorisation des espaces naturels. Compte tenu des localisations, il s’agissait à l’évidence d’espaces de détente ou de loisir.

Au plan conceptuel, ces terres n’étaient pas valorisées comme des biens de production mais comme des biens de consommation. La théorie de la rente foncière différentielle n’était plus d’aucun secours pour comprendre leur valorisation. Les processus de formation de la valeur de ces espaces faisaient plutôt penser à ceux qui sous-tendaient les marchés de l’art. Ils étaient traversés d’effets de mode. L’espace était valorisé parce que la nature y était considérée comme « belle » et désirable. Le passage d’une ligne à haute tension à l’horizon suffisait à lui faire chuter les prix, alors qu’un peu plus loin la même ligne électrique n’avait aucun impact sur la valeur d’une terre agricole.

Au final, la discussion 4 des observations conduisaient à distinguer six marchés, correspondant non pas à six catégories de terrains, mais à six catégories d’usage des terrains.

Un terrain n’appartient pas, par nature, à un marché donné. Par principe, il se vendra sur celui où sa valorisation (le processus de formation de sa valeur) sera la plus forte. Cependant, en pratique, dans la plupart des cas, l’appartenance de la mutation à tel ou tel marché est évidente dès lors que l’on connaît les catégories des acteurs de la mutation :

• Le marché foncier agricole où la valeur se forme à partir de la valeur des produits, déduction faite des coûts de production et où il est possible de distinguer autant de sous-marchés qu’il existe de types de production (céréales, bois, vin, fruits, etc.).

• Le marché foncier de l’espace naturel improductif dont la valorisation reflète la satisfaction qu’en retirent leurs propriétaires (ou les usagers qui paient un droit d’utilisation).

• Le marché des nouveaux terrains bruts achetés pour être aménagés.

• Le marché des nouveaux terrains constructibles produits par cet aménagement. • Le marché des terrains urbains à démolir et à réaménager (opération de rénovation-densification).

• Le marché des nouveaux droits à bâtir issus de la rénovation urbaine.

 

Une grille de lecture des impacts des politiques

C’est parce que l’impact des politiques publiques sur la valeur d’un terrain dépend du mode de formation de cette valeur, qu’il est utile d’étudier l’effet de ces politiques à travers la grille de lecture des six marchés.

Ainsi, il semblerait normal que la modification des limites géographiques d’une AOC ait un fort impact sur le premier marché. Mais il n’en aura aucun sur le 3e marché au cas où cette terre était achetée par un aménageur. Dans certains cas limites, il est cependant possible que la valorisation de l’usage agricole soit telle qu’elle devienne supérieure à une valorisation sur le 3e marché ou a fortiori sur le second. Comme dans cette petite commune alsacienne où l’approbation du plan d’urbanisme était rejetée par le contrôle de légalité préfectoral, au motif qu’il ne prévoyait pas d’espace d’urbanisation nouvelle. Le maire qui ne voulait pas de constructions nouvelles eut alors l’idée de localiser deux « zones d’urbanisation future » sur des vignobles en AOC, tout en imposant des conditions d’aménagement assez draconienne, pour être certaine que le simple jeu du marché interdirait cette urbanisation. Le préfet avait son quota d’espace urbanisable, le conseil municipal savait que cette urbanisation était économiquement impossible. Tout le monde était content.

Impacts sur le 1er marché
Le marché du foncier à usage agricole est fortement impacté par une série de politiques publiques. Inutile de revenir sur l’impact des politiques douanières déjà mises en évidence par Ricardo comme cela a été évoqué plus haut. Cela demeure plus vrai que jamais et le débat demeure d’actualité. Les politiques de labellisation territoriale (aires d’appellation) destinées à contourner le libre échangisme en font partie. Beaucoup plus important demeure cependant, en France, l’impact sur la valorisation de la propriété agricole du « statut du fermage » adopté en 1945 en application du programme du Conseil National de la Résistance. Même si son objectif était d’abord social, il n’en a pas moins un fort impact sur la valeur de la propriété foncière agricole, en réduisant considérablement les droits du propriétaire bailleur par rapport à ceux du fermier qui tend à devenir le quasi-propriétaire de son bail. Cela est si vrai qu’en cas d’expropriation, l’indemnisation du fermier peut être égale ou parfois supérieure à l’indemnisation du propriétaire. Les statistiques annuelles de la FNSAFER permettent de mesurer la valeur moyenne que perd l’appropriation d’une terre agricole en fermage par rapport à une terre agricole « libre ». La pratique des « pas de porte » en agriculture, permettant à un fermier de vendre son bail à son successeur, en dépit de la loi qui l’interdit, est bien connue des notaires et a même fait l’objet d’études statistiques.
Les politiques foncières agricoles proprement dites, initiées quinze ans plus tard par Pisani y ont aussi contribué largement, avec la création des Safer qui visait à éliminer les non-agriculteurs des marchés fonciers agricoles. Elles y sont si bien parvenues, que l’on s’interroge aujourd’hui sur la manière d’assurer un nouveau portage du foncier agricole, les exploitations les plus dynamiques préférant investir dans le matériel et les bâtiments plutôt que dans la terre dont le statut du fermage suffit à donner la maîtrise. Cette législation explique que la terre soit, encore aujourd’hui, moins chère en France que dans les autres pays européens.
L’ancienne « politique des structures (foncières agricoles) », jamais officiellement abandonnée, bien qu’elle ait été mise en veilleuse, destinée à lutter contre la concentration des terres pour préserver une « agriculture familiale », mérite également un bilan. Jouable à l’abri de barrières douanières nationales puis européenne, elle devient un handicap avec la transformation de l’Europe en zone de libre-échange. La récente crise de la viande a montré que les structures foncières agricoles n’étaient plus compétitives par rapport aux nouvelles exploitations agroindustrielles de plusieurs milliers d’hectares de l’Europe de l’Est, et la difficulté de mener des politiques foncières agricoles contradictoires au sein d’un même ensemble économique.

 

…et les espaces hors marché à valeur négative

Il existe un certain nombre d’espaces que l’on refuse de mettre sur le marché, en particulier le domaine public. Mais il est toujours possible de changer de politique, de les mettre sur le marché à la suite d’une procédure de déclassement. Ils se vendront alors comme n’importe quel autre espace. Même soustraits à la vente, ils conservent une valeur potentielle de marché.

Les vrais espaces « hors marché » sont ceux qui, mis sur le marché, restent invendables… parce que leur valeur d’usage est négative ; ceux dont aucun usage potentiel ne permettrait de dégager une valeur positive, les coûts de mise en oeuvre de chaque usage étant supérieurs à la valeur foncière que cet usage permettrait de dégager. Classiquement, il s’agit des espaces pollués dans une localisation peu attractive. Leur réutilisation étant impossible dans le cadre du marché, ces espaces ne peuvent être restaurés que sous contrainte juridique (mise en oeuvre effective des obligations de dépollution par l’ancien exploitant pollueur, avant que celui-ci ne disparaisse dans un paradis juridique) ou à défaut par des subventions publiques.

Attention : le fait qu’un terrain ait une valeur négative pour un usage qui lui était affecté, ne signifie pas qu’il puisse avoir de la valeur pour un autre usage : il a longtemps existé, sur le rebord d’un relief dominant Paris, un terrain constructible qui restait non bâti car nécessitant des fondations spéciales coûteuses. Mais il avait une valorisation de jardin privé assez exceptionnel (2e marché). Il a fallu attendre que le marché de l’immobilier monte suffisamment pour que sa valeur « terrain à bâtir » l’emporte, en dépit du coût des fondations, pour qu’il soit finalement construit.

 

Impacts sur le 2e marché
Le marché de l’espace naturel improductif n’existait pas jusqu’au XIXe siècle et les économistes ont longtemps voulu ignorer son apparition qui dérangeait la théorie. Il reste difficile à étudier, faute de données suffisamment précises car il est très hétérogène. Les statistiques se contentent généralement de parler des « prix des espaces naturels et agricoles ». Les comptes annuels de patrimoine de l’Insee indiquent pourtant que la valeur globale des espaces naturels en est venue à dépasser légèrement celle des espaces agricoles depuis une dizaine d’années 5. La marchandisation de l’espace naturel improductif est nouvelle (à l’échelle historique). Jusqu’au XIXe siècle, personne n’aurait eu l’idée d’acheter une lande bretonne, avec ou sans menhir, et encore moins en bordure de mer, le littoral étant longtemps resté synonyme de danger.
L’intervention du Politique sur ce nouveau marché vise le plus souvent à en contenir l’extension, avec l’idée que la nature doit rester, au moins pour partie, un bien commun. La création du Conservatoire du littoral est une bonne illustration de ces politiques. Elle revient à préférer une politique d’action foncière (acquisition des terrains dont la protection doit être assurée) aux simples interventions réglementaires sur l’usage des espaces naturels privés. Il s’agit de couper court aux processus de spéculation sur une hypothétique levée des contraintes réglementaires actuelles. Et surtout sur un risque de destruction, par leurs propriétaires, des richesses naturelles à protéger, dans l’idée que, n’ayant plus rien à protéger, les contraintes réglementaires finissent par être abandonnées (par exemple, le cas récurrent des incendies « accidentels » dans les espaces boisés classés dont les propriétaires veulent changer l’usage).
Lorsque la loi Littoral a décidé en 1985 de créer une servitude de libre passage sur les propriétés privées en limite du domaine public maritime, il en est automatiquement résulté une diminution de la survaleur dont bénéficient les propriétaires des terrains bénéficiant d’une telle situation. Toutes les modifications des nombreuses servitudes publiques qui peuvent restreindre la libre disposition du propriétaire sur son terrain, exercent de la même façon des modifications de valeur des droits de propriété concernés.

Impacts sur le 3e (et le 5e) marché
Le marché des espaces urbanisables, encore inconstructibles, achetés en vue de leur aménagement pour être revendus avec de nouveaux droits à bâtir, est un marché complètement dépendant des politiques publiques mises en place (droit de l’urbanisme, règles et pratiques de l’expropriation, organisation du financement de l’aménagent, choix de montages opérationnels, politiques de réserves foncières, etc.)
Le principal enjeu foncier est celui du partage des coûts et/ou de la plus-value correspondant au passage d’une valeur d’espace agricole ou naturel à une valeur d’espace constructible. Le partage se fait entre trois acteurs :
• Le propriétaire vendeur (et les propriétaires précédents, une plus-value spéculative d’anticipation, pouvant se former de longue date).
• La collectivité publique qui peut financer tous les aménagements aux frais des contribuables ou, au contraire, en imputer la charge aux propriétaires et à l’opérateur.
• L’opérateur qui, normalement, transmettra la charge aux acquéreurs finaux.
En l’absence de toute politique foncière, l’urbanisation nouvelle se développe spontanément le long des axes, de petits lotissements se créent au hasard des opportunités foncières, les propriétaires en place bénéficient de la totalité de la plus-value, la collectivité publique réalise après coup, aux frais des contribuables, les équipements qui manquent.
De nombreuses stratégies foncières ont été imaginées pour lutter contre la formation des plus-values d’anticipation et autant d’articles devraient être écrits pour en décrire les mécanismes.
La plus radicale est, sans doute, l’ancienne pratique hollandaise, un pays dont le territoire lui-même est une création collective : c’est la commune qui prend directement en charge tout le processus d’urbanisation :
• Elle se place en situation de monopole pour la conduite des opérations d’aménagement foncier, en refusant d’accorder tout permis de construire à un terrain qu’elle n’aurait pas aménagé.
• Elle exproprie pour ce faire, les terrains dont elle a besoin, à leur valeur agricole, puisqu’aucun aménageur privé n’est là pour faire de la surenchère.
Autre approche intéressante : celle du droit germanique consistant à définir l’espace à urbaniser comme un espace que les propriétaires doivent urbaniser, dans un certain délai, selon un cahier des charges, et non pas un espace que les propriétaires reçoivent le droit d’aménager et de construire quand bon leur semblera. L’acquisition de terrains à réaménager, et généralement à densifier, sur le 5e marché, s’inscrit dans une problématique similaire, avec des difficultés supplémentaires (en particulier l’impact des politiques de protection des occupants dont il faut financer le relogement dans le cas des anciens quartiers résidentiels, ou l’impact des coûts de dépollution dans le cas des anciens quartiers d’activité).

Impact sur les 4e et 6e marchés
Les nouveaux terrains à bâtir du 4e marché, ou les terrains à reconstruire du 6e, participent d’un même processus de formation de la valeur foncière urbaine dans lequel toutes les localisations résidentielles (ou d’activité) sont, de proche en proche, en concurrence les unes avec les autres, à l’intérieur d’un même bassin d’habitat.
Au plan conceptuel il serait possible de les traiter comme un unique marché pour comprendre la géographie des valeurs déterminée par leurs deux facteurs principaux de valorisation : l’accessibilité et le marquage social ; puis d’apprécier l’impact des politiques publiques sur ces deux facteurs.
Il existe cependant une difficulté car le 4e marché est le plus souvent constitué de mutations de biens composites constitués d’une part d’une surface de droit à bâtir et d’autre part d’une surface de jardin. Le 6e marché est plus homogène : sauf exception, il ne porte que sur des droits à bâtir. Pour unifier les marchés 4 et 6 dans une modélisation, il serait nécessaire de disposer, pour une même localisation, d’une équivalence entre la valeur d’une charge foncière et la valeur d’un jardin. Cet exercice, facile à concevoir dans une modélisation de type hédonique, ne semble pas avoir déjà été entrepris à large échelle. Il serait pourtant éclairant.
Quoi qu’il en soit, trois catégories de politiques peuvent exercer un impact sur ces marchés.
• Celles qui modifient la géographie des préférences résidentielles, en modifiant l’accessibilité d’un quartier ou son marquage social. La simple modification de la carte scolaire peut ainsi avoir un impact sur les valeurs.
• Celles qui modifient les composantes de la charge foncière (typiquement l’ancien plafond légal de densité, mais aussi les règles de mixité, les contraintes architecturales, etc.).
• Celles qui modifient les coûts de production des nouveaux terrains urbains, y compris dans les localisations les moins recherchées. Ainsi, une politique de production massive de terrains en périphérie ne modifie pas la géographie des préférences résidentielles relatives mais exerce, de proche en proche, une diminution des charges foncières acceptables jusque dans les quartiers les plus recherchés.
Il est à noter que la vente de charges foncières publiques en dessous de leur valeur de marché, par exemple pour favoriser l’implantation de logements sociaux, ne constitue pas une politique foncière dans la mesure où elle ne modifie pas la géographie des valeurs. Le fait d’offrir un terrain ne diminue pas la valeur des autres terrains. Il s’agit seulement d’une subvention en nature… laquelle aurait eu parfois avantage à être versée en argent, grâce au produit de la vente aux plus offrants des terrains publics inutilisés, tant il est vrai que la meilleure localisation d’un logement social n’est pas nécessairement un ancien terrain ferroviaire ou une ancienne caserne.

  1. Voir aussi p. 55.
  2. Cette mise en évidence suppose évidemment qu’on ne cède pas à la facilité statisticienne qui consiste à éliminer au sein d’une base de données, les observations qui dérangent en les jugeant aberrantes et non représentatives, mais que l’on soit, au contraire, attentif aux anomalies.
  3. Dans une économie immobilière de marché, un bâtiment est voué à la démolition lorsque la valeur de l’emplacement (la valeur foncière) devient supérieure à la valeur du bâti existant.
  4. Discussions menées dans le cadre d’un éphémère « Club des observatoires fonciers locaux ».
  5. Voir La revue foncière de janvier 2015, p. 26.