Le modèle hédonique d’estimation des loyers

Les débats sur l’encadrement des loyers, remis à l’ordre du jour depuis la loi Duflot, ont provoqué un regain d’intérêt pour les techniques d’observation des loyers dominants par catégories de localisations et de biens. En France, c’est l’observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP) qui dispose de la plus longue expérience et de la plus grande expertise en la matière. Sa directrice expose ici les méthodologies mises en oeuvre par l’observatoire.

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1. Objectif de l’estimation des loyers par modélisation

L’Olap a été amené à mettre au point un modèle hédonique des loyers pour répondre à trois catégories de besoins :

• la complétion de données manquantes dans le cadre de ses traitements pour la production de données sur l’évolution annuelle des loyers ;

• l’estimation de loyers dits de marché pour répondre à la demande de nombreux acteurs économiques de connaître les loyers à un niveau géographique plus fin que celui de publication des résultats des traitements classiques des enquêtes ;

• l’estimation de loyers dans le cadre d’études spécifiques.

Cet article présente les principaux déterminants du niveau des loyers et les résultats les plus significatifs obtenus par l’Olap à partir de son modèle économétrique dans l’estimation des loyers de marché début 2013 par quartier parisien.

2. Déterminants du niveau des loyers

Le loyer expliqué dans le modèle utilisé par l’Olap et étalonné par le Cnis (cf. encadré en fin d’article) est le loyer mensuel hors charges. De nombreuses caractéristiques ont une influence plus ou moins marquée sur le niveau des loyers. Il est possible de les regrouper en cinq catégories :

• le type d’habitat,

• la taille du logement (nombre de pièces et surface),

• la localisation du logement,

• l’ancienneté du locataire dans le logement,

• les autres caractéristiques : confort et équipement du logement et de l’immeuble, type de gestion et de propriété.

Un « bon » modèle explicatif du niveau des loyers comprendra une ou plusieurs variables de chacune des catégories ci-dessus dont la contribution est jugée significative selon le(s) critère(s) retenu(s).

Les principaux effets : taille-localisation et ancienneté du locataire sont exposés ci-après. Le premier graphique illustre, par département, la décroissance classique du loyer au m² quand le nombre de pièces augmente. Cette « loi » est toutefois contredite dans l’agglomération parisienne dans les zones les plus valorisées à savoir les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, du Val-de- Marne et des Yvelines pour les logements de 5 pièces et plus. Une explication en est la rareté et le standing de ces logements (grands appartements haussmanniens, maisons de grande taille) qui disposent généralement de grandes pièces et d’éléments de confort tels que plusieurs salles d’eau. Le graphique met aussi en évidence la hiérarchie des départements, avec, après Paris et les Hauts-de-Seine :

• Le Val-de-Marne et les Yvelines, situés au même niveau. Cependant, raison d’une surface moyenne plus importante dans les Yvelines la dépense loyer du locataire y est plus élevée que dans le Val-de-Marne : 952 euros contre 805 euros.

• Les trois autres départements de grande couronne affichent des loyers au m2 les plus bas l’agglomération.

• La Seine-Saint-Denis est dans une situation intermédiaire entre ces deux catégories, au niveau de la première pour les petits logements et de la seconde pour les grands.

Le loyer au m² diminue quand augmente l’ancienneté du locataire dans le logement, et ceci dans les trois zones de l’agglomération parisienne, avec une décroissance plus marquée dans le centre (Paris) qu’en périphérie (grande couronne). Trois facteurs peuvent être avancés pour expliquer cette décroissance :

• La tension persistante du marché locatif qui incite depuis de nombreuses années les bailleurs à augmenter le loyer (au-delà de l’indice légal) en cas de changement de locataire.

• La rotation plus importante des petits logements et, a contrario, une surface de plus en plus élevée des locataires restant en place pour une ancienneté donnée.Pour ces locataires, en vertu de la décroissance des loyers au m² quand le nombre de pièces augmente, le loyer au m² est plus faible. Par exemple, la surface moyenne dont disposent les locataires parisiens de 10 ans et plus d’ancienneté dans leur logement est de 56 m² (majorité de 3 pièces et plus) contre 48 m² (majorité de 1 et 2 pièces) pour ceux ayant emménagé dans l’année. Leur loyer au m2 est donc plus faible.

• La tendance des locataires à quitter plus rapidement un logement dont le loyer est élevé par rapport au marché des logements de même catégorie.

Les variables disponibles dans les bases de l’Olap

Les bases de l’Olap contiennent de nombreuses variables et ne comprennent pas de données manquantes sauf le loyer des logements vacants au 1er janvier. On peut citer par exemple parmi les caractéristiques des immeubles et logements :

• l’étage,

• l’époque de construction,

• le nombre de WC et de salles de bains,

• le type de chauffage (collectif, central individuel, non central, sans),

• la présence d’un ascenseur, d’un gardien, d’une terrasse…

Le modèle économétrique de l’Olap permet d’isoler l’effet de chaque variable sur le niveau des loyers, toutes choses égales par ailleurs. La suite de l’article porte sur les résultats obtenus avec le modèle pour Paris. En raison du faible nombre de maisons locatives dans la capitale, l’étude se limite aux appartements. Par ailleurs les appartements avec chambre de service ont été exclus. Ainsi, la base utilisée, fournit des observations sur 17 000 logements.

3. Principaux effets mis en évidence par le modèle pour Paris

Nombre de pièces

A la différence du graphique précédent par département et nombre de pièces qui intègre des effets de structure du parc (les 3 pièces de Paris ne sont pas les mêmes que les 3 pièces des départements de Grande Couronne), les résultats ci-dessous isolent l’effet du nombre de pièces sur le loyer, toutes choses égales par ailleurs. En prenant les 1 pièce comme référence, le loyer des :

• 2 pièces est supérieur de 55 %,

• 3 pièces de 118 %,

• 4 pièces de 176 %,

• 5 pièces de 221 %.

Ancienneté du locataire

En situation de marché déséquilibré où l’offre est insuffisante par rapport à la demande, ce qui est le cas de la capitale, le loyer décroît quand l’ancienneté du locataire augmente. Un locataire ayant au moins 20 ans d’ancienneté paie 31 % de moins en moyenne qu’un locataire entré depuis moins d’un an dans son logement, toutes choses égales par ailleurs.

Époque de construction de l’immeuble

En prenant les logements les plus récents (depuis 1990) comme référence, l’écart est de :

• 5 % pour les logements construits de 1975 à 1989 et pour ceux construits de 1949 à 1974,

• 2 % pour les logements construits de 1914 à 1948,

• 0 % pour les logements d’avant 1914.

Dans Paris, les logements d’avant 1914 (part importante de logements haussmanniens) sont ainsi au même niveau que les logements les plus récents. Les logements construits après-guerre jusqu’à la fin des années 1980 sont décotés de 5 % par rapport aux logements récents en raison, en particulier, de leur mauvaise isolation thermique et phonique.

Confort et équipement du logement et de l’immeuble

La majoration/minoration de loyer liée au niveau de confort et d’équipement du logement a pu être estimée comme suit :

• L’existence de 2 WC par rapport à un seul conduit à un écart de : + 9 %. La présence d’un deuxième WC est donc un élément de confort important qu’un bailleur peut valoriser.

• La présence d’un ascenseur entraîne une valorisation de : + 3 %. Un ascenseur dans un immeuble est un élément de confort sensible à partir du 3e étage qui entraîne, en permettant un prix ou un loyer plus élevé, une certaine sélection des occupants et donc un meilleur standing qui bénéficie aussi aux étages moins élevés

• Le chauffage central individuel, par rapport à chauffage central collectif : + 1,5 %. Le locataire raisonne en loyer charges comprises donc accepte un loyer hors charges d’autant plus élevé que les charges de copropriété sont faibles

• La présence d’une terrasse : + 8 %. La terrasse, assez peu répandue dans le parc parisien, apparaît comme un avantage que les locataires sont disposés à payer 8 % de plus en moyenne.

• Le rez-de-chaussée par rapport à un 3e étage et plus : – 6%. Les nuisances des rez de- chaussée dans les grandes villes sont bien connues : bruit des passants et de la circulation, manque de lumière, risque de cambriolage… et se traduisent par une décote de 6 % par rapport à un logement identique situé au 3e étage.

Quartiers administratifs

L’influence de la localisation sur le niveau des loyers est détaillée dans le paragraphe suivant.

4. Hiérarchie des quartiers parisiens

Ce paragraphe analyse la hiérarchie des 80 quartiers administratifs parisiens ainsi que son évolution entre 2006 et 2013. La hiérarchie des niveaux de loyer par quartier se décline en cercles concentriques autour d’un noyau situé au centre-ouest de Paris et orienté selon une oblique nordouest sud-est : avenue de la Grande Armée, avenue des Champs-Élysées, rue de Rivoli. Les quartiers les moins chers se situent dans les arrondissements de l’est (19e, 20e et moitié est du 18e) ainsi que dans le 12e avec le quartier de Bercy (Gare de Lyon). Début 2013, les deux quartiers parisiens les moins chers (La Villette et Pont de Flandre dans le 19e arrondissement) se situent à 39 % en dessous du quartier le plus cher (Saint- Thomas-d’Aquin dans le 7e arrondissement).

La cote plus ou moins élevée des arrondissements est en partie corrélée à la taille moyenne des logements locatifs privés. D’après les enquêtes de l’Olap, la surface moyenne du parc locatif privé parisien est de 50 m² mais elle varie fortement d’un arrondissement à l’autre. Ainsi, les arrondissements offrant les surfaces moyennes les plus importantes sont le 8e (76 m² en moyenne), le 7e (64 m²) et le 16e (68 m²), tous trois situés dans les zones les plus chères. A l’opposé, les arrondissements proposant les plus petits logements sont le 11e et le 18e (43 m²) et le 20e (45 m²). Il est intéressant d’examiner l’évolution de la cote relative des quartiers au fil du temps. Dans cet article, les données 2013 ont été comparées aux résultats de 2006 obtenus avec le même modèle. Il a été comparé les coefficients obtenus en 2006 et 2013 par rapport au quartier 58 (Necker) pris comme référence. La valorisation ou dévalorisation relative d’un quartier en sept ans a été calculée par différence entre les deux coefficients de ce quartier. La carte suivante montre qu’en sept ans, l’Est parisien a connu une valorisation relative de ses quartiers (du 9e au 11e et du 18e au 20e à l’exception de 3 quartiers) et le Sud une dévalorisation relative (14e au 16e). On a donc assisté à un resserrement de la dispersion des loyers mesuré par l’indice par quartier : les quartiers les moins chers (La Chapelle et Pont de Flandre) se situaient début 2006, 43 % en dessous du quartier le plus cher (Notre-Dame). Il faut aussi noter la résistance des quartiers du centre-ouest (nord du 6e, 7e 8e sauf le quartier de l’Europe et nord-est du 16e) qui malgré des niveaux déjà élevés en 2006 ont continué à se valoriser.

 

5. Application : détermination du loyer de marché à Paris

Méthodologie

Le champ d’observation de l’observatoire correspond aux loyers du secteur privé : les résidences principales non HLM louées ou sous-louées vides et dont le loyer est fixé librement à l’entrée du locataire dans les lieux1. Conformément à ce champ d’observation, le loyer estimé par l’observatoire à l’issue de ses campagnes d’enquête est le loyer de l’ensemble des locataires : locataires ayant emménagé dans l’année et locataires dont le bail est en cours ou arrivé à échéance. Ce loyer est représentatif du stock de logements loués et non du seul flux des locations de l’année.

Les loyers appelés loyers de marché sont les loyers des emménagés récents (depuis moins d’un an dans le logement sauf précision contraire). Il s’agit donc du loyer inscrit dans le bail initial sans indexation. Ces loyers, en situation de marché non équilibré, sont différents des loyers des baux en cours (locataires présents depuis plus d’un an dans le logement) : ils sont plus élevés dans les marchés tendus, mais peuvent s’avérer plus faibles dans les marchés très détendus. La demande forte concernant les loyers de marché à un niveau géographique fin (grand public, collectivités locales…) a conduit rapidement l’observatoire à mettre au point un traitement spécifique lui permettant de la satisfaire dans sa production statistique de base. Les méthodes classiques de traitement d’enquêtes utilisées par l’Olap ne permettant pas de fournir des données fiables à une niveau géographique fin sur les seuls loyers de marché sans une augmentation considérable de la taille de l’échantillon, et donc des coûts de collecte, l’observatoire s’est tourné vers des techniques de modélisation. En effet les logements mis sur le marché de la location ne sont pas les mêmes, sauf pour une infime partie d’entre eux, d’une année sur l’autre et les mesures directes intègrent donc des effets de structure liés à la diversité des logements du parc locatif. Les logements mis sur le marché de la location et reloués en 2012 ont la particularité d’avoir, au 1er janvier 2013, une durée d’occupation de moins d’un an. Il est bien établi en zone de tension locative que le loyer d’un logement donné est une fonction décroissante de la durée d’occupation : plus la durée d’occupation est longue moins le loyer est élevé (toutes choses égales par ailleurs). Le modèle utilisé permet d’isoler et évaluer exactement la part de loyer ou l’excédent de loyer imputable à cette durée d’occupation de moins d’un an.

 

Pour en savoir plus sur l’Olap

observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap) est une association loi de 1901 créée en 1987 et agréée par le ministère chargé du Logement. L’Olap collecte, exploite et diffuse des informations sur les loyers du parc locatif libre de l’agglomération parisienne. Les informations sont diffusées sous forme de références de loyers (données individuelles anonymisées) ou sous forme d’agrégats statistiques. Pour répondre à ses missions, l’Olap a été amené à développer et améliorer au fil des années une méthodologie rigoureuse de collecte, contrôle et traitement des données de loyer lui permettant d’établir des niveaux et évolutions de loyer fiables et comparables dans le temps. Pour l’agglomération parisienne, la qualité de la production statistique de l’Olap a été reconnue du niveau de celle de la statistique publique par le directeur général de l’Insee dans son avis du 27 mars 2013 à l’issue de la procédure d’étalonnage auprès du Cnis. www.observatoire-des-loyers.fr

Les travaux de l’Olap sur la province

Le suivi de l’évolution des loyers pour la DHUP

L’Olap assure depuis plus de 20 ans pour le compte de la DHUP le traitement de données de loyer de 11 agglomérations de province (ramenées à 6 en 2014) selon une méthodologie similaire à celle de l’agglomération parisienne, les résultats strictement comparables à Paris et en province permettant l’élaboration par le ministère chargé du logement du rapport présenté au Parlement sur l’évolution annuelle des loyers du parc privé.

L’expérimentation sur les observatoires locaux des loyers

Fin 2012, le ministère chargé du Logement a confié conjointement à l’Olap et à l’Anil une mission expérimentale de mise en place d’un réseau national d’observatoires locaux des loyers (OLL). Dans ce cadre, l’Olap a plus particulièrement été chargé de l’accompagnement technique des OLL consistant à :

• proposer une méthodologie complète de collecte, de contrôle et de traitement des données pour validation par un comité scientifique national indépendant ;

• accompagner les observatoires locaux candidats (19 en 2013) dans leurs opérations de définition de zonage, collecte et contrôle des données ;

• traiter les données collectées selon la méthodologie validée.

Malgré les difficultés de collecte liées au blocage des professionnels à l’occasion de la discussion au parlement du projet de loi Alur (juin 2013), 9 sites pilotes ont pu être traités et l’expérimentation se poursuit en 2014 avec une vingtaine de territoires.

 

Pour estimer un loyer de marché, on suppose que tous les logements de la base se sont reloués dans l’année. On va donc imputer un loyer de marché à chaque logement de la base en faisant comme si tous les logements étaient supposés occupés par des locataires ayant une durée d’occupation de moins d’un an, de ce fait le modèle leur attribue l’effet d’une durée d’occupation de moins d’un an. Sous cette hypothèse, tous les loyers sont ré-estimés. Les différentes statistiques agrégées (loyer moyen pondéré de marché au m²…) sur un secteur donné sont calculées à partir de cette base de relocations reconstituée.

Exemple : les loyers de marché des 2 pièces

Les 2 pièces sont les logements les plus fréquents dans le parc locatif privé parisien : ils représentent 38 % de l’offre. Les résultats sont présentés sous forme de carte avec une partition des niveaux de loyer en sept classes. Les regroupements de quartiers sont différents de ceux de la carte des indices (carte 1) car les loyers estimés intègrent, outre l’effet de la localisation, les effets de structure du parc du quartier (répartition par époque de construction, présence plus ou moins importante d’ascenseurs…).

Outre les loyers de marché par quartier parisien disponibles sur le site de l’Olap et sur smartphones (Iphone, Androïd, Ipad), plusieurs études ou présentations utilisant ce modèle sont téléchargeables sur le site à la rubrique « Productions et prestations. Les études diverses ou Les partenariats et communications » parmi lesquelles :

• 2013, « La part des dispositifs fiscaux dans l’investissement locatif de 1996 à 2010 »,

• 2010, « Devenir des logements neufs »,

• 2010, « Niveau de loyer à la commune »,

• « EDHEC, Rentabilité d’un investissement locatif ».

  1. Ou du moins l’était avant l’application, en 2012 et 2013, des décrets plafonnant le loyer du nouveau locataire.