Le Grand Paris Express ralentit

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Le 22 février, le Premier ministre annonçait le maintien du programme du « Grand Paris Express », ce projet de métro automatique que la Société du Grand Paris (SGP) doit réaliser autour de la capitale…, en même temps que le ralentissement de son exécution.

Toutes les lignes, seront réalisées… mais plus tard. Compte tenu de la forte augmentation des coûts prévisionnels, le phasage du projet sera étalé dans le temps. Schématiquement, les lignes prioritaires seront réalisées pour 2024 – notamment celles qui sont nécessaires pour les Jeux olympiques – tandis que les autres attendront jusqu’en 2030.

Cette annonce faisait suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur la Société du Grand Paris, et à un mois de discussions entre le gouvernement et les élus locaux. Le rapport était sévère : les coûts ne cessaient de dériver, la soutenabilité financière était incertaine, et la gouvernance à revoir. Ainsi, l’estimation du projet qui était de 19 milliards au départ, en 2010, était passée à 25 milliards au printemps 2017, pour atteindre 35 milliards en juillet. Pour la Cour, ces réévaluations successives étaient de nature à remettre en cause la pertinence socio-économique du projet, qui reposait sur des montants sousestimés.

Alors que c’est aujourd’hui la SNCF dans son ensemble qui est dans le collimateur de l’État, rappelons qu’il n’était justement pas prévu que le Grand Paris Express soit financé par l’effort national. Compte tenu de la richesse de l’Île-de- France, il avait été décidé que le financement du projet serait assuré au niveau régional, sans faire appel au contribuable national.

Par ailleurs, le montage du financement était préservé des aléas budgétaires annuels, grâce au recours à l’emprunt. Pour que celui-ci soit supportable, une capitalisation initiale conséquente et des ressources fiscales affectées – dès la phase études – devaient permettre de dégager une importante trésorerie les premières années, et de limiter le poids des frais financiers.

Mais, en 2013, l’État a divisé par quatre ses engagements au capital de la SGP, les faisant passer de 4 milliards à 1 milliard. En outre, cette même année, il a mis à la charge de la SGP une contribution de 3 milliards au plan de modernisation des transports régionaux, augmentée de 500 millions en 2016. 1

En dégradant la trésorerie de la SGP – qui devait limiter le recours à l’emprunt – il compromettait le modèle économique de l’établissement public, tandis que la réévaluation du projet à 35 milliards, avec un planning de réalisation très contraint, conduisait à un quadrupler les frais financiers, les faisant passer de 32 à 134 milliards.

L’échéance du remboursement complet de la dette était en effet prolongée de 25 ans, passant de 2059 à 2084. Une variation, même limitée, des différents paramètres2, pouvait reporter le remboursement au-delà de 2100, voire faire entrer la SGP dans un « système de dette perpétuelle ».

Dans ce contexte, la Cour des comptes estimait que la trajectoire financière du projet était « non maîtrisée » et elle recommandait – au-delà du simple phasage des travaux – de revoir l’ampleur du projet. Selon la Cour, la SGP était trop peu charpentée pour mener un projet de cette ampleur et contrôler l’ensemble de ses prestataires 3.

Mais l’État était également mis en cause. Jusqu’à présent, le dimensionnement de la SGP était limité par une disposition législative. Et la Cour des comptes relevait que l’État, par le biais des ministères de tutelle, exerçait un contrôle insuffisant sur le directoire de la SGP, et qu’ils étaient insuffisamment coordonnés entre eux. C’est d’ailleurs à l’État que la Cour adressait cinq de ses six recommandations. Une seule était adressée également à la SGP.

Edouard Philippe avait entendu le message. Le 22 février, le titre de sa conférence de presse était clair : « Grand Paris Express : l’État s’implique plus fortement dans le projet ». Et il y annonçait le départ du président du directoire de la SGP, la levée du plafonnement des moyens humains de l’établissement public, et une recherche d’optimisation des coûts du projet.

Par ailleurs, il demandait au député Gilles Carrez de consolider le modèle économique de la SGP, avec l’objectif d’augmenter ses ressources afin qu’elle puisse emprunter dans de meilleures conditions. Or, c’est précisément Gilles Carrez qui avait déjà rendu un premier rapport à François Fillon en 2009 sur le financement du projet, et c’est lui qui avait saisi la Cour des comptes en décembre 2016, lorsqu’il était président de la commission des finances à l’Assemblée nationale.

  1. Ce montant de 3,5 milliards mis à la charge de la SGP s’ajoute aux 35 milliards du Grand Paris Express.
  2. Le coût des travaux, les taux d’intérêts ou la progression des recettes fiscales.
  3. 210 équivalents temps plein.