Les quatorze « échantillons territoriaux » de forme carrée opérés dans la France rurale, soit un peu plus de 2 600 communes, sont décomposables selon le découpage en aires urbaines réalisé par l’Insee. Selon ce découpage, 6 % de ces communes sont situées dans des pôles urbains, 45 % sont des communes périurbaines, 34 % sont multi-polarisées et 15 % sont rurales. En somme, la moitié de ces communes sont situées en dehors de l’aire d’attraction d’un pôle dominant.
Cet ensemble de communes représente un peu moins de 950 000 actifs et environ 700 000 emplois. Les actifs qui quittent leur domicile pour aller travailler parcourent en moyenne 14 km, les emplois offerts par l’ensemble des communes sont pourvus par des actifs qui parcourent en moyenne 10 km.
Mais ces moyennes recouvrent d’importantes disparités, tout comme le découpage en aires urbaines lisse de grandes différences géographiques au sein de chacun des échantillons, en raison même de la définition des catégories spatiales, et notamment de celle du périurbain.
C’est ainsi que la décomposition des navettes domicile-travail en tranches de longueur montre que 41 % des actifs qui résident dans les « échantillons » travaillent dans leur commune de résidence ou bien dans la « commune d’à côté », c’est-à-dire limitrophe de la commune de résidence ou située à moins de 5 km dans le cas des plus petites trames communales. Si l’on y ajoute les actifs qui parcourent entre 5 et 15 km, on monte à 65 % des navetteurs. Inversement, les emplois sont pourvus à 55 % par des actifs provenant de la même commune ou bien d’une commune limitrophe (ou située à moins de 5 km), et à 79 %
si l’on y ajoute les actifs provenant d’une tranche de distance allant de 5 à 15 km. C’est bien la proximité qui l’emporte sur les longues distances, ce qui module singulièrement l’image d’un aspirateur urbain asséchant les espaces sous influence urbaine, selon l’expression consacrée, même si, en termes environnementaux, ces 35 % de longues navettes (plus de 15 km) se traduisent par 76 % des kilomètres parcourus. On s’est proposé de substituer – ou d’ajouter – à la décomposition des aires urbaines en périurbain, multi-polarisé et rural une typologie en quatre classes de communes fondée sur le rapport entre actifs et emplois et sur des tranches de longueur des navettes des actifs sortants de leur commune pour travailler et des actifs entrants.
Quatre situations communales bien différentes
Plus proche des réalités de terrain vécues par les habitants des territoires étudiés, cette typologie permet de distinguer quatre classes de communes correspondant à des situations bien différentes.
Classe 1 – De petits centres locaux, vivant dans la proximité
Ils représentent environ 40 % des communes, des actifs et des emplois de l’ensemble des communes étudiées. Avec un ratio emplois/actifs de 0,67, une part d’actifs employés dans la proximité un peu supérieure à 40 % et une part des emplois pourvus par des actifs de grande proximité voisine de 60 %, ils sont le centre de microbassins interdépendants avec les petits centres voisins.
Classe 2 – Des communes peu attractives situées dans les petites aires d’attraction des centres locaux
Cette catégorie représente 13 % des actifs et 6 % des emplois de l’ensemble des communes étudiées. Avec un ratio emplois/actifs des plus faibles, 0,36, on y trouve peu d’emplois de proximité, largement pourvus par des actifs eux-mêmes très voisins, mais les emplois plus éloignés restent situées dans un rayon plutôt court, la part des longues navettes étant également faible (22 %).
Classe 3 – Des communes peu attractives vivant dans une courte proximité et dépendantes de foyers d’emploi éloignés
Ces communes représentent 20 % des actifs et 9 % des emplois de l’ensemble des communes étudiées. Avec un ratio emplois/ actifs très faible, 0,33, il y a peu d’emplois sur place, mais ils sont largement pourvus par des actifs proches, une part élevée des actifs devant aller chercher leur emploi à grande distance (47 %), dans des pôles urbains régionaux.
Classe 4 – Des communes actives à grand rayon d’attraction
Peu nombreuses, elles représentent 25 % des actifs mais 47 % des emplois de l’ensemble des communes étudiées. Offrant plus d’emplois qu’il n’y a d’actifs résidant dans la proximité (ratio emplois/actifs de 1,41), ces communes sont des foyers d’emploi locaux qui fixent plus de la moitié des actifs résidant à proximité, mais recrutent également près de 30 % leurs employés à moyenne et longue distance.
Comment se répartissent les communes appartenant aux différentes catégories spatiales de l’Insee entre les quatre classes de l’étude ?
Les communes périurbaines se retrouvent de façon équilibrée entre les classes regroupant les petits centres locaux (34 %), mais aussi les communes peu attractives dépendantes des petits centres locaux (21 %) ou bien des pôles urbains plus lointains (39 %). En revanche, les communes attractives ne représentent que 6 % des communes périurbaines.
Paradoxalement, c’est dans l’espace rural que les communes attractives sont les plus nombreuses (19 %). Un peu plus de la moitié de ces communes rurales se situe dans la classe regroupant de petits centres locaux, alors que seulement 26 % sont situées dans les deux classes des communes peu attractives, contre 60 % pour les communes périurbaines et 42 % pour les communes multi-polarisées.
La structure sociale des actifs joue naturellement un grand rôle dans la diversification des navettes. Selon toute attente, les cadres et les membres des professions intellectuelles parcourent de plus longues distances que les ouvriers, les employés et même que les professions intermédiaires. Les navettes de plus de 30 km sont à hauteur de 31 % des navettes de cadres ou de membres de professions intellectuelles (25 % des cadres sont dans ce cas), celles qui sont longues de moins de 8 km sont à 8 % des navettes de cadres (mais il faut tenir compte du fait que les professions intellectuelles, largement libérales, sont pour une grande part des professions de service, comme la santé ou le droit, qui exercent au coeur de leurs bassins de population).
Inversement, les navettes des employés représentent 31 % des navettes courtes, et 22 % des navettes longues. En revanche, 43 % des ouvriers (y compris agricoles) trouvent leur emploi à proximité de leur résidence, ce qui confirme la persistance moyenne d’activités industrielles dans ces espaces non urbanisés, les salariés agricoles ne représentant que 10 % des ouvriers dans les communes rurales françaises, et seulement 5 % dans les couronnes périurbaines.
De la diversité des profils communaux, comme en sousoeuvre des grands découpages : application aux Monts du Lyonnais
Afin de cerner de façon géographique ces types de communes, on a retenu à titre d’exemple cinq communes faisant partie de l’aire d’étude qui comprend pour l’essentiel les Monts du Lyonnais, margés à l’est par le pôle urbain lyonnais, et à l’ouest par la Loire entre Saint Étienne et Roanne.
Entre ces trois pôles urbains, les Monts du Lyonnais sont constitués de petites communes que le découpage territorial de l’Insee classe presque exclusivement en couronne périurbaine et ensembles multipolarisés, incluant les deux petits pôles urbains de Tarare et de Feurs, et le pôle rural d’Amplepuis.
Profils communaux dans les Monts du Lyonnais
Représentative de la classe 3, caractérisée par un ratio emplois/actifs particulièrement bas (0,25), la commune de Sainte-Colombe-sur-Gand, multi-polarisée selon l’Insee, est très éloignée des pôles majeurs de Roanne (à 31 minutes de voiture) et de Saint-Étienne, mais aussi des pôles urbains locaux de Feurs et de Tarare (respectivement à 24 et à 26 minutes de voiture). On y trouve un peu plus de 400 habitants, moins de 50 emplois dont les 3/5es sont pourvus sur place. Sur les 185 actifs résidents, la moitié parcourt plus de 15 km pour
aller travailler. Sainte-Colombe est une commune située au milieu d’un ensemble sans emplois, dépendante de pôles urbains, mêmes modestes, relativement éloignés (plus de 20 km).
Machezal, commune multipolarisée selon le découpage de l’Insee d’un peu plus de 400 habitants, est limitrophe du pôle rural d’Amplepuis, qui compte près de 2 100 emplois. Cette commune, avec un ratio actifs/emplois de 0,22 voisin de celui de Sainte-Colombe, voit en revanche ses 220 actifs la quitter à hauteur de 67 % pour des communes proches, le pôle rural d’Amplepuis étant situé à 10 kilomètres, 33 % seulement parcourant plus de 15 kilomètres, et 13 % plus de 30 kilomètres.
Mobilités des actifs de Sainte-Colombe-sur-Gand et Machezal
À quelques kilomètres de Sainte-Colombe et de Machezal, dans un cadre géographique comparable, les communes présentent des profils bien différents. Les unes sont multipolarisées, les autres sont isolées dans l’espace rural.
Les profils de ces communes modifient l’idée globale, généralement admise et validée par des découpages destinés à exprimer des réalités spatiales à d’autres échelles, de communes dépourvues d’emplois, ayant accueilli des actifs contraints à de longues navettes pour aller travailler dans les pôles urbains. Si certaines communes correspondent à cette vision généralisante, la plupart du temps les emplois sont en grande partie trouvés dans une relative proximité, ce qui redonne à la notion de réseau urbain des échelons que l’on aurait pu penser disparus. D’autre part, des communes attractives, petits foyers d’emplois locaux organisant des micro-bassins, peuvent être trouvées aussi bien dans les couronnes périurbaines que dans les espaces multi-polarisés ou même dans les ensembles de communes rurales dites isolées, ce qui souligne la grande diversité interne des catégories fondées sur l’influence plus ou moins grande des pôles urbains.