“Urban economics and urban policy: challenging conventional policy wisdom” [Cheshire P.C., Nathan M., Overman H.C.]

2014, Cheltenham, Edward Elgar, 256 p

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Les auteurs économistes et géographe, étudient le système urbain du Royaume-Uni et ses politiques urbaines (avec des aperçus sur d’autres pays) à la lumière des théories de l’économie urbaine. C’est un exercice passionnant, car rarement fait : le plus souvent, les chercheurs restent dans leur monde et les responsables des politiques urbaines dans le leur, sans beaucoup communiquer entre eux, pas plus en France qu’au Royaume-Uni (une exception concernant la France : Institut des villes, Villes et économie, La Documentation Française, 2004, 311 p.). Or, Urban economics and urban policy est facile à lire, expliquant en termes simples les raisonnements théoriques, extrayant d’un vaste ensemble d’articles scientifiques les conclusions importantes à destination de non spécialistes. L’ouvrage montre, tout d’abord, le renouveau urbain du Royaume-Uni depuis une dizaine d’années. La croissance des grandes métropoles, que l’on observe partout y compris en France, s’explique par ce que les économistes appellent les économies d ’agglomération, attirant des firmes (car elles augmentent leur productivité) et bénéficiant aussi aux consommateurs (en particulier en leur offrant une variété de biens et services), qui l’emportent sur les coûts urbains, en premier lieu fonciers (la même démonstration a été faite dans le cas de la France).

Cette croissance globale des métropoles s’est accompagnée d’un renforcement des inégalités, d’où un dilemme : comment concilier croissance économique globale et réduction des inégalités entre villes ? Une des conclusions des auteurs, qui revient souvent dans leur ouvrage, est que ces disparités « viennent d’avantage de qui vous êtes que de là où vous êtes ». Autrement dit, c’est la formation, la qualification et les qualités de votre capital humain personnel qui sont à l’origine des disparités urbaines plus que des différences entre les lieux en dotations en biens publics, aménités, accessibilité, etc. Or, comme « qui se ressemble s’assemble », un tri social amène les individus bien dotés à se regrouper, de même que ceux qui le sont moins, les différences spatiales étant au final principalement dues à ce « tri social spatial ». En effet, 1 % seulement des différences salariales au Royaume-Uni s’ex- pliquent par un effet propre de la localisation. Plus généralement, moins du tiers des différences entre villes s’expliquent par des spécificités du lieu, plus des deux-tiers d’entre elles par le tri spatial des individus (en France, des travaux concluent à un rapport 50-50). La préconisation est donc d’améliorer (surtout) le capital humain des personnes (formation, etc.) ou leur mobilité (ce qui est moins efficace) plutôt que de chercher à compenser les inégalités spatiales par des politiques urbaines en faveur des villes ou quartiers défavorisés, qui sont peu efficaces au Royaume-Uni (la même démonstration a été faite dans le cas de la France).

« L’alchimie qui transforme les maisons en or » est une question que les auteurs développent, directement liée à la question foncière. Au Royaume-Uni, depuis la loi de 1947 sur la planification urbaine et rurale, les permis de construire sont accordés au compte-goutte, ce qui renchérit les terrains à bâtir et rend leur prix vola- tile. Le contingentement de l’offre est draconien alors que la demande augmente, moins pour des raisons démographiques qu’économiques : avec l’augmentation du revenu, les britanniques accroissent la taille de leur panier de consommation, en quantité comme en qualité, pour le logement comme pour les autres biens de ce panier. Face à une offre figée, la demande augmente et c’est ce déséquilibre qui entraîne une flambée des prix : depuis 1955, le prix des terrains à bâtir a été multiplié par 12,3 en monnaie constante. C’est insupportable, mais cela ne veut pas dire que la planification urbaine doive être abandonnée. Comme en Allemagne ou aux Pays- Bas, pays pris comme contre-exemples où cette flambée des prix ne s’observe pas, elle doit être souple pour adapter l’offre à la demande par l’ouverture à la construction de suffisamment de nouveaux terrains bien situés. En résumé, « (1) la planification foncière britannique restreint la surface constructible, (2) les gens préfèrent des maisons et des jardins plus grands, (3) quand leur revenu augmente ils dépensent plus en essayant d’acheter plus de terrain ».

Les politiques urbaines sont mises en pièces sans ménage- ment dans cet ouvrage, pour ignorer royalement le b-a-ba de l’économie urbaine. Ce sont parfois des résultats inverses à ceux attendus (ou déclarés) qui sont atteints. Mais cela importe peu pour les responsables, car leurs politiques ne sont pas sou- mises à une évaluation écono- mique rigoureuse. En matière foncière, les auteurs montrent que les politiques dirigistes (loi de 1947 au Royaume-Uni sur la planification urbaine et rurale) échouent, de même que les poli- tiques incitatives, et ils préco- nisent des politiques reposant sur l’observation des signaux de prix de marché. C’est une piste intéressante : si à la jonction de deux segments d’un zonage (par exemple en limite résidentiel – agricole, ou résidentiel – activités économiques) il y a une différence de prix de marché des terrains de part et d’autre, c’est l’indice d’un zonage trop restrictif pour l’un des deux usages, trop laxiste pour l’autre. Par exemple, un prix de terrain à bâtir nu (avant viabilisation) supérieur au prix de la parcelle agricole voisine indique qu’il y a trop de terres agricoles et pas assez de terrain à bâtir. Il faut donc déplacer la limite des deux zones de façon à réduire la surface dédiée aux premières et augmenter celles des seconds. Ce faisant, on accroît le bien- être de l’ensemble de la population (sauf s’il y a des biens environnementaux non marchands qui doivent être sauvegardés). Si les marchés sont concurrentiels et donnent un bon « signal de prix », ce raisonnement basé sur l’observation de discontinuités de prix est imparable en micro- économie. Mais la préconisation est plus incertaine du fait de l’imperfection des marchés. Car, (A) les prix des terrains à bâtir comme des terres agricoles sont influencés par les politiques urbaines et la politique agricole commune. (B) L’optimum local est différent de l’optimum régional ou national du fait « d’effets externes » non pris en compte par les marchés. (C) Les prix correspondent à des équilibres offre – demande instantanés, ne tenant pas compte des évolutions à long terme, pourtant indispensables à prendre en compte car le logement est un bien durable et la conversion agriculture – habitat irréversible. Bien entendu, les auteurs peuvent s’en tirer en disant que les prix actuels incorporent les évolutions futures (théorie des anticipations rationnelles), mais une adhésion à une telle vision libérale est souvent prise en défaut, comme elle l’a été avec la crise financière de 2008.

La place manque ici pour évoquer d’autres politiques urbaines que les zonages fonciers (en particulier la fiscalité locale, ou la décentralisation), qui donnent lieu à des préconisations intéressantes, et souvent originales des auteurs. La conclusion de l’ouvrage sur ces politiques urbaines tient en trois points : « le besoin de réalisme face aux puissantes forces du marché qui entraînent des dis- parités spatiales persistantes, l’inefficacité de nombreuses politiques urbaines actuelles s’attaquant à ces disparités, qui obtiennent parfois un résultat inverse à celui recherché, l’importance de s’attacher aux résultats pour les personnes, pas pour les lieux». Mieux vaut se concentrer sur les aspects indi- viduels (formation, etc.) plutôt que spatiaux (politique de la ville, etc.). Les auteurs n’ignorent pas que certaines de leurs propositions vont « rencontrer une féroce et violente résistance politique ». Raison supplémentaire pour se faire soi-même une idée en lisant cet ouvrage, stimulant pour la réflexion.